Pourquoi on a envie d’apprendre. L’autodidaxie ordinaire à Neuchâtel (XVIIIe siècle) - article ; n°1 ; vol.70, pg 65-110
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Pourquoi on a envie d’apprendre. L’autodidaxie ordinaire à Neuchâtel (XVIIIe siècle) - article ; n°1 ; vol.70, pg 65-110

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Description

Histoire de l'éducation - Année 1996 - Volume 70 - Numéro 1 - Pages 65-110
Dans le Jura suisse, la principauté de Neuchâtel offre, au XVIIIe siècle, l'exemple d'une société où l'autodidaxie est un phénomène banal, répandu jusque dans les milieux paysans, artisans et ouvriers. Depuis les apprentissages élémentaires du lire-écrire-compter jusqu'à l'acquisition d'une culture savante, incluant l'histoire ou le latin, cette autodidaxie ordinaire s'insère dans un dispositif éducatif beaucoup plus large, qui révèle l'importance accordée par la société au savoir et à la formation. L'article s'attache à expliquer cette envie d'apprendre, en la reliant à la démocratie, politique et sociale, qui caractérise la société neuchâteloise.
In the Swiss Jura in the XVIIIth century, the principality of Neuchâtel offers an example of a society where autodidacticism was a common phenomenon, widespread amongst peasants, artisans and workers. This ordinary autodidacticism ranged from the elementary skills of reading, writing and arithmetic to the acquisition of an elite culture including history or Latin. It was part of the extensive educational offerings in the area which reveals the importance this society allotted to knowledge and training. This article seeks to explain this desire to learn by linking it to the political and social democracy that characterized Neuchâtel' s society.
Im Schweizer Jura kann das Fürstentum Neuchâtel im 18. Jahrhundert als Beispiel einer Gesellschaft gelten, in der autodidaktisches Lernen im alltäglichen Leben durch aile Gesellschaftsschichten hindurch (einschließlich der Bauern- sowie der Handwerker- und Arbeiterschaft) praktiziert wurde. Elementares Grundwissen im Rechnen, Schreiben und Lesen, aber auch Lutein - und Geschichtskenntnisse, ja sogar eine umfassende gelehrte Bildung eignete man sich auf diese Welse an. Insgesamt ist dièse weite Verbreitung des Selbstunterrichts als Teil eines sehr viel umfassenderen Bildungsangebots zu sehen, aus dem sich der Stellenwert ablesen läßt, den man Wissenserwerb und Weiterbildung schon damais zumaß. Der Beitrag sucht nach Gründen für diese Lust am Lernen, die überwiegend in einer (politisch wie sozial) demokratischen Struktur der Neuchâteler Gesellschaft liegen dürften.
46 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 25
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Pierre Caspard
Pourquoi on a envie d’apprendre. L’autodidaxie ordinaire à
Neuchâtel (XVIIIe siècle)
In: Histoire de l'éducation, N. 70, 1996. Autodidaxies. XVIe-XIXe siècles. pp. 65-110.
Citer ce document / Cite this document :
Caspard Pierre. Pourquoi on a envie d’apprendre. L’autodidaxie ordinaire à Neuchâtel (XVIIIe siècle). In: Histoire de l'éducation,
N. 70, 1996. Autodidaxies. XVIe-XIXe siècles. pp. 65-110.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hedu_0221-6280_1996_num_70_1_2848Résumé
Dans le Jura suisse, la principauté de Neuchâtel offre, au XVIIIe siècle, l'exemple d'une société où
l'autodidaxie est un phénomène banal, répandu jusque dans les milieux paysans, artisans et ouvriers.
Depuis les apprentissages élémentaires du lire-écrire-compter jusqu'à l'acquisition d'une culture
savante, incluant l'histoire ou le latin, cette autodidaxie ordinaire s'insère dans un dispositif éducatif
beaucoup plus large, qui révèle l'importance accordée par la société au savoir et à la formation. L'article
s'attache à expliquer cette envie d'apprendre, en la reliant à la démocratie, politique et sociale, qui
caractérise la société neuchâteloise.
Abstract
In the Swiss Jura in the XVIIIth century, the principality of Neuchâtel offers an example of a society
where autodidacticism was a common phenomenon, widespread amongst peasants, artisans and
workers. This ordinary autodidacticism ranged from the elementary skills of reading, writing and
arithmetic to the acquisition of an elite culture including history or Latin. It was part of the extensive
educational offerings in the area which reveals the importance this society allotted to knowledge and
training. This article seeks to explain this desire to learn by linking it to the political and social
democracy that characterized Neuchâtel' s society.
Zusammenfassung
Im Schweizer Jura kann das Fürstentum Neuchâtel im 18. Jahrhundert als Beispiel einer Gesellschaft
gelten, in der autodidaktisches Lernen im alltäglichen Leben durch aile Gesellschaftsschichten hindurch
(einschließlich der Bauern- sowie der Handwerker- und Arbeiterschaft) praktiziert wurde. Elementares
Grundwissen im Rechnen, Schreiben und Lesen, aber auch Lutein - und Geschichtskenntnisse, ja
sogar eine umfassende gelehrte Bildung eignete man sich auf diese Welse an. Insgesamt ist dièse
weite Verbreitung des Selbstunterrichts als Teil eines sehr viel umfassenderen Bildungsangebots zu
sehen, aus dem sich der Stellenwert ablesen läßt, den man Wissenserwerb und Weiterbildung schon
damais zumaß. Der Beitrag sucht nach Gründen für diese Lust am Lernen, die überwiegend in einer
(politisch wie sozial) demokratischen Struktur der Neuchâteler Gesellschaft liegen dürften.POURQUOI ON A ENVIE D'APPRENDRE
L'autodidaxie ordinaire à Neuchâtel (XVIIIe siècle)
par Pierre CASPARD
« Un jour, du temps du grand Frédéric, l'ambassadeur d'Anglet
erre auprès de la cour de Prusse se présenta au palais du roi en grand
deuil et tout triste. Frédéric II lui demanda la cause de son deuil et de
sa tristesse : "Le plus grand amiral d'Angleterre, répondit l'ambassad
eur, vient de mourir; c'est une perte irréparable !". "Bah ! dit le roi,
j'ai ce qu'il vous faut : je possède un pays qui a à revendre des ami
raux, des généraux, des grands politiques, et où l'on sait tout sans
rien avoir appris : c'est ma principauté de Neuchâtel" » (1).
L'anecdote est sans doute apocryphe, mais traduit, sur le mode
ironique, une opinion dont on trouve bien d'autres expressions à
l'époque : elle donne l'idée d'un peuple neuchâtelois présentant une
disposition particulière pour les apprentissages les plus divers, en
dehors même d'un système de formation institutionnalisé. Dès 1714,
évoquant les Alpes suisses tout entières, Abraham Ruchat évoque
« leurs paysans qui apprennent sans maître » (2). En 1764, Frédéric-
Samuel Ostervald multiplie les exemples d'artisans et paysans neu
châtelois qui témoignent des connaissances et des talents acquis « par
(1) Cité par Arthur Piaget : Histoire de la Révolution neuchâteloise. Introduction,
Neuchâtel, 1909, p. 20. Principauté alliée aux cantons suisses, Neuchâtel fut sous la
possession des Orléans-Longueville jusqu'en 1707, sous celle de la Prusse à partir de
cette date et jusqu'en 1857, avec l'intermède des années 1806-1814, où son Souverain
fut le maréchal Berthier. La principauté n'entra dans la Confédération helvétique qu'en
1814. En 1755, le tout jeune Edward Gibbon observe que « Les Neuchâtelois sont plu
tôt protégés que gouvernés par le roi de Prusse ». De fait, le pays est pratiquement
autonome, ses chartes et coutumes préservant, notamment, l'exercice de très larges
libertés communales.
Le pays compte environ 30000 habitants en 1750, 50000 en 1800; il comprend
trois petites villes (Neuchâtel, Le Locle et La Chaux-de-Fonds) et une soixantaine de
villages. La meilleure introduction à l'histoire du pays au XVIIIe siècle est : Histoire
du Pays de Neuchâtel. 2 : De la Réforme à 1815, Hauterive, 1991, 366 p., par Philippe
Henry et al.
(2) Abraham Ruchat, pseud. Gottlieb Kypseler : Les Délices de la Suisse, Leyde,
1714, p. 788.
Histoire de l'éducation - n° 70, mai 1996
Service d'histoire de l'éducation
I.N.R.P. - 29, rue d'Ulm - 75005 Paris 66 Pierre CASPARD
une sorte d'instinct » et « sans le secours des collèges » (1). L'anglais
William Coxe, visitant le pays dans les années 1770-1780, partage ce
jugement en précisant, par exemple, que « les habitants des districts
de La Chaux-de-Fonds et du Locle sont, en général, très bien instruits
des différentes branches de la science » (2). Mais l'expression la plus
flamboyante de cette opinion est donnée par Jean- Jacques Rousseau,
dans le célèbre passage de sa Lettre à d'Alembert, où il évoque les
Montagnons neuchâtelois : « Tous savent un peu dessiner, peindre,
chiffrer. La plupart jouent de la flûte, plusieurs ont un peu de musique
et chantent juste. Ces arts ne leur sont point enseignés par des
maîtres, mais leur passent, pour ainsi dire, par tradition. De ceux que
j'ai vus savoir la musique, l'un me disait l'avoir apprise de son père,
un autre de sa tante, un autre de son cousin, quelques-uns croyaient
l'avoir toujours sue » (3).
Au jugement croisé des contemporains, autochtones ou étrangers
au pays, Neuchâtel donne ainsi l'exemple d'une sorte d' autodidaxie
collective, qui tranche avec la dimension individuelle ou personnelle
que revêt le plus souvent ce genre de pratique. Les cas d'
les plus célèbres - pour la France du XVIIIe siècle, Jamerey-Duval
(4) ; pour la Suisse, Jean- Jacques Rousseau - situent en effet l'autodi
dacte en rupture avec son milieu culturel ou professionnel, voire avec
son propre pays. L'autodidaxie paraît lourde de subversion sociale,
politique (5) ou religieuse (6), par « l'inversion des rapports de savoir
et de pouvoir » (W. Frijhoff) sur laquelle elle repose, ou semble repos
er. Aux confins de la révolte ou de la marginalité, l'autodidacte
apparaît comme un être d'exception, dont la volonté de distinction
s'oppose fondamentalement à l'inertie des positions culturelles et
(1) Frédéric-Samuel Ostervald : Description des Montagnes et des Vallées qui
font partie de la Principauté de Neuchâtel et Valangin. lre éd. : Neuchâtel, 1764 ; rééd.
par Michel Schlup, Neuchâtel, 1986, 126 p.
(2) William Coxe : Lettres à M. W. Melmoth, sur V état politique, civil et naturel
de la Suisse, Paris, 1781, 2 vol. et Voyage en Suisse, Paris, 1790, 3 vol.
(3) Jean-Jacques Rousseau : Lettre à d'Alembert sur les spectacles, 1758. Les
Montagnons sont les habitants des montagnes neuchâteloises, notamment des régions
du Locle et de La Chaux-de-Fonds.
(4) Valentin Jamerey-Duval : Mémoires. Enfance et éducation d'un paysan au
XVIIIe siècle. Prés, par Jean-Marie Goulemot, Paris, 1981, 423 p. Sur ses apprentis
sages, voir Jean Hébrard : « Comment Valentin Jamerey-Duval apprit-il à lire ? L'auto
didaxie exemplaire » in Roger Chartier (Dir.) : Pratiques de la lecture, Paris, 1985, pp.
24-60.
(5) Cf. Jacques Rancière : La nuit des prolétaires. Archives du rêve ouvrier, Paris,
1981, 455 p., e

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