Tristesse de l historien - article ; n°1 ; vol.45, pg 109-132
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Tristesse de l'historien - article ; n°1 ; vol.45, pg 109-132

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Description

Vingtième Siècle. Revue d'histoire - Année 1995 - Volume 45 - Numéro 1 - Pages 109-132
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1995
Nombre de lectures 16
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Henri-Irénée Marrou
Tristesse de l'historien
In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°45, janvier-mars 1995. pp. 109-132.
Citer ce document / Cite this document :
Marrou Henri-Irénée. Tristesse de l'historien. In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°45, janvier-mars 1995. pp. 109-132.
doi : 10.3406/xxs.1995.3388
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1995_num_45_1_3388DOCUMENT
TRISTESSE DE L'HISTORIEN
Henri-Irénée Marrou
Le document que nous reprenons ici in extenso est un article publié dans
Esprit, le 1er avril 1939, par Henri-Irénée Marrou sous son pseudonyme
d'Henri Davenson.
L'historien de saint Augustin et de la prétendue fin de la culture antique (sujet
de sa thèse de 1937) collabora, on le sait, très régulièrement à la revue d'Emman
uel Mounier depuis 1935. Il y a donné d'éblouissantes chroniques musicales,
des comptes rendus originaux et maints papiers plus proprement politiques1.
Ainsi va-t-il, de l'automne de Munich à la déclaration de guerre, y fustiger le
racisme montant dans l'Italie mussolinienne, plaider pour l'élection d'un pape
italien après la mort de Pie XI et, surtout, rappeleren septembre 1939, à l'occasion
de la commémoration pâlotte de la grande Révolution, la force de «La liberté
ou la mort» chez les vrais héritiers de 89.
Sur l'entrefaite, le voici qui rompt, avec ce « Tristesse de l'historien », le silence
des mandarins de l'histoire qui, les Annales en tête, n'ont pas cru devoir s'inté
resser à la thèse si vigoureusement soutenue par Raymond Aron, son camarade
de la Rue d'Ulm, le 26 mars 1938, à quelques jours de l'Anschluss, et publiée
par Gallimard. Un «vieux Monsieur» - de 35 ans — propose à un jeune disciple
«anxieux de découvrir ce que peut être l'Histoire» de se plonger dans l'eau fraîche
de /Introduction à la philosophie de l'histoire2. Et porté par ce courant, il argu
mente joyeusement sur le présent et le passé, la science et l'amitié, sur /historia
magistra vitae.
N'en disons pas davantage. Il suffit de se laisser gagner par cette éloquence
pétillante et de bien vouloir considérer qu'à près de soixante ans de distance
maintes questions ici évoquées demeurent si pendantes qu 'il serait peut-être oppor
tun de retrouver un peu de l'allant avec lequel Marrou les embrasse, pour redon
ner «le salut à la terre».
1. Voir Henri-Irénée Marrou, Crise de notre temps et réflexion chrétienne (de 1930 à 1975), Paris, Beauchesne, 1978,
recueil de ses meilleurs textes engagés, publié avec un préface de Charles Piétri et une introduction de Jean-Marie Mayeur.
2. Celle-ci a été rééditée en 1986 par Sylvie Mesure (Gallimard). Sur la thèse elle-même, qu'à l'exception de Marrou
seul Bernard Groethuysen salua à bonne hauteur, dans La Nouvelle Revue française du 1er octobre 1939, voir Nicolas Baver
ez, Raymond Aron. Un moraliste au temps des idéologies, Paris, Flammarion, 1993, chap. 6.
109- Nous remercions Madame Françoise Flamant, sa fille, et Olivier Mongin,
l'actuel directeur ^Esprit, de nous avoir si généreusement autorisés à reproduire
ce petit bréviaire d'avant guerre, pour l'édification fin-de-siècle de nouvelles
générations d'historiens.
J.-P.R.
place exorbitante que l'histoire de l'art a L'auteur, un historien, suppose que,
maître, il s'adresse à de jeunes disciples fini par s'attribuer dans la vie artistique
anxieux de découvrir ce que peut être aux dépens de l'expérience esthétique
l'Histoire, et plus encore ce que peut proprement dite: on n'admire plus la
signifier être un historien. Ce n'est bien courbure d'une voûte, on la situe dans
entendu qu'une fiction ; l'auteur n'a pas l'évolution de telle école romane ou gothique.
de disciples à endoctriner, sinon un seul, Songez d'autre part à la politique extérieure :
et rétrospectif: celui qu'il aurait pu être, les Traités, Versailles ou Trianon, farcis
autrefois, quand il avait vingt ans... de réminiscences erudites, d'astuces de
Chartistes; et les droits millénaires de la
Couronne de Saint-Étienne, la restauraJe choisirai, mes amis, comme texte à
tion de 1'« empire» à Rome, celle du pagacette homélie familière, le verset du
nisme des Germains de l'âge de La Tène prophète Isaïe (XXVI, 18): Concepi-
(ça, vraiment le bouquet: c'est tellement ...us, et quasi parturivimus, et peperimus
de l'histoire que même nous, archéologues, spiritum... Ou mieux, selon l'hébreu:
ne savons pas très bien ce que c'était). «Nous avons conçu dans la douleur et
C'est le point d'aboutissement d'une enfanté du vent ; nous n'avons pas donné
longue évolution: au commencement, le salut à la terre».
vous le savez, il y a eu les Chrétiens. Leurs Vous êtes jeunes, mais l'histoire que
notions étonnantes de Révélation et vous allez servir ne l'est plus, hélas. Vous
d'Incarnation suspendaient la légitimité marchez dans une arrière-garde : l'histoire
de leur foi à un certain nombre de faits est une conception fatiguée. Il fut un
historiques; de là pour eux la nécessité temps - qui n'est pas si loin, où nous
de se pencher anxieusement sur le passé occupions le haut du pavé: toute la
et d'y retrouver les points d'insertion de culture était suspendue à nos arrêts, à nos
la transcendance divine; de là, du vieil oracles. C'était à nous de dire s'il fallait
apologiste Théophile d'Antioche à Eusèbe croire en Dieu, si l'Iliade était belle, si la
de Césarée, d'Eusèbe à saint Augustin, à Bohême était une nation, si le pape était
Pascal, de Pascal au père Lagrange 1 toutes infaillible, si Marx avait raison...
On a souvent décrit cette obsession du 1. Le lecteur de formation protestante est gentiment prié de passé, cette tyrannie exercée par l'histoire lire ici pour son compte : • de Lefèvre d'Étaples à Harnack ou
Maurice Goguel». sur la culture moderne. Réfléchissez à la
-110- :
TRISTESSE DE L'HISTORIEN
ces recherches historiques dont la portée point paru si évidente: les chrétiens, en
apologétique exigeait, supposait atteinte, gros, étaient battus, réduits à une minorité
une objective vérité. souvent timide et qu'on n'acceptait pas de
Les plus grands ne se sont pas mépris croire irréductible; la «pensée moderne»,
sur la portée de leurs travaux: je perçois comme on l'appelait, demeurait maîtresse
très nettement chez eux un sentiment du terrain. Notre Klio s'attribuait naïve
confus mais profond de l'ambiguïté essent ment une bonne part de la victoire. Nul
ielle de la connaissance historique; elle ne lui contestait sa prééminence: le pli
est d'ailleurs pour eux providentielle, car était pris, il paraissait normal de résoudre
il faut que la Foi reste une grâce et une par l'histoire tous les problèmes de la
vertu. Tout ce que l'histoire peut faire, culture, ceux du présent, ceux même de
c'est d'établir que la foi chrétienne est l'avenir.
possible, qu'elle ne se heurte pas à une L'idéologie du Progrès définissait l'idéal
contradiction logique ou de fait1. nouveau dont se consolait maintenant le
Mais tous les apologistes, et ils furent cœur des hommes ; pensée à l'hégélienne,
à chaque époque les plus nombreux, de elle ne pouvait se passer de nos services :
qui le zèle n'était pas soutenu par un cer nous remplacions les philosophes comme
tain sens philosophique, firent le saut, et vérificateurs attitrés des poids et mesures ;
entreprirent d'obtenir de l'histoire une maîtres des secrets du passé, généalogist
série de propositions catégoriques fones de l'humanité, c'étaient nous qui
dant sur l'évidence la légitimité des dogmes apportions les preuves de sa noblesse, qui
chrétiens. De science auxiliaire de l'apolo retracions aux yeux émerveillés de la
gétique, l'histoire devenait une machine foule le chemin triomphal du Devenir.
à convertir. «Hors de Dieu, l'avenir s'étendait en
Vous connaissez les suites de ces naïves dé

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