Une lettre d Édouard Berth à Daniel Halévy sur les « nouveaux aspects du socialisme » - article ; n°1 ; vol.17, pg 91-102
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Une lettre d'Édouard Berth à Daniel Halévy sur les « nouveaux aspects du socialisme » - article ; n°1 ; vol.17, pg 91-102

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Description

Mil neuf cent - Année 1999 - Volume 17 - Numéro 1 - Pages 91-102
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 27
Langue Français

Extrait

Michel Prat
Édouard Berth
Une lettre d'Édouard Berth à Daniel Halévy sur les « nouveaux
aspects du socialisme »
In: Mil neuf cent, N°17, 1999. pp. 91-102.
Citer ce document / Cite this document :
Prat Michel, Berth Édouard. Une lettre d'Édouard Berth à Daniel Halévy sur les « nouveaux aspects du socialisme ». In: Mil neuf
cent, N°17, 1999. pp. 91-102.
doi : 10.3406/mcm.1999.1205
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1999_num_17_1_1205DOCUMENTS
Une lettre d'Edouard Berth
à Daniel Halévy
sur les « nouveaux aspects
du socialisme »
Michel Prat
L'année 1908 marque sans conteste l'apogée de la «nouvelle
école » du marxisme syndicaliste formée autour de Georges
Sorel et regroupée autour du Mouvement socialiste. Elle voit
en effet non seulement la parution en livre des Réflexions sur
la violence et des Illusions du progrès, les deux écrits les plus
connus de Sorel, mais aussi, dans la collection de la « Biblio
thèque du mouvement socialiste », celle des deux brochures-
manifestes, La décomposition du marxisme de Sorel et Les
nouveaux aspects du socialisme de Berth. Cette série de publi
cations, parallèlement à la consolidation de la revue de Lagar-
delle, va attirer l'attention sur la figure de Sorel, jusqu'ici
connu seulement de cercles très restreints, et sur l'apparition
d'un nouveau courant du socialisme qui prétend exprimer en
théorie une nouvelle forme du mouvement ouvrier alors en
plein essor : le syndicalisme révolutionnaire.
Parmi les nombreux commentaires que suscitent, en France
comme à l'étranger, les écrits de Sorel et de la « nouvelle
école », l'un des plus originaux est l'article que Daniel Halévy
consacre à la brochure d'Edouard Berth et qui paraît en tête du
dernier numéro de Pages libres l. Attiré par le socialisme dès
sa jeunesse, Daniel Halévy s'était rapproché du mouvement
ouvrier à la suite de l'affaire Dreyfus. Très engagé dans
le mouvement des Universités populaires, animateur avec
1. Daniel Halévy, « Les nouveaux aspects du socialisme », Pages
libres, IX, 457, 2 octobre 1909, p. 367-379.
91 Charles Guieysse de Pages libres, collaborateur et ami de
Péguy, il avait eu l'occasion de fréquenter Sorel et Berth aux
Cahiers de la Quinzaine 2. Fortement impressionné par la puis
sance et la singularité de la pensée de Sorel, il avait initié et
financé (avec André Spire) la première édition des Réflexions
sur la violence à la Librairie de Pages libres, contribuant ainsi
de manière décisive à la découverte de Sorel par le grand
public 3. L'intérêt de la discussion par D. Halévy des idées de
la « nouvelle école » est qu'elle émane d'un familier de ses
principaux représentants en même temps que d'un observateur
attentif de l'évolution du mouvement ouvrier. Par cet article,
l'auteur des Essais sur le ouvrier précisait sa
propre conception du socialisme, en révélant notamment sa
dimension anti-moderne 4.
Daniel Halévy déploie sa critique de l'exposé par Berth des
« nouveaux aspects du socialisme » 5 selon deux axes bien dis
tincts. Dans un premier temps, se plaçant d'un point de vue
interne à la construction théorique de Berth, il conteste l'op
position radicale établie entre le syndicalisme révolutionnaire
et les deux formes traditionnelles du mouvement ouvrier : le
socialisme étatique, représenté en France par le guesdisme, et
l'anarchisme. Si dans «cette sombre doctrine de discipline et
de lutte » toute trace d'étatisme lui semble effectivement él
iminée, il n'en va pas de même pour l'anarchisme. Reprochant
à Berth de présenter « de manière simpliste » le mouvement
anarchiste, Halévy, qui s'appuie sur la distinction opérée par
Péguy entre les différents types d'autorité, critique l'idée
d'une « organisation libertaire des ateliers ». La représentation
2. Sur l'itinéraire de Daniel Halévy, voir Sébastien Laurent,
Daniel Halévy (1872-1962), un écrivain entre littérature et politique.
Du libéralisme au traditionalisme, thèse de doctorat en histoire,
IEP de Paris, 1999, et son article « Daniel Halévy et le mouvement
ouvrier. Libéralisme, christianisme social et socialisme » dans ce
numéro.
3. Cf. Michel Prat (éd.), « Lettres de Georges Sorel à Daniel
Halévy (1907-1920) »,Mil neuf cent, 12, 1994, p. 151-223.
4. L'élaboration de l'article remonte à la fin 1908, comme il res
sort des remarques contenues dans la lettre d'Élie Halévy à son
frère du 31 décembre 1908, cf. É. Halévy, Correspondance (1891-
1937), textes réunis et présentés par Henriette Guy-Loë, Paris,
Éd. de Fallois, 1996, p. 399-400.
5. On sait que la formule vient en fait de Sorel, voir ses lettres à
Berth du 10 juin et du 24 décembre 1907, Cahiers Georges Sorel, 3,
1985, p. 129 et 142.
92 « atelier sans maître », où régnerait le « travail libre » et d'un
volontaire, comme aboutissement du développement de la pro
duction industrielle sous la contrainte capitaliste lui paraît li
ttéralement inconcevable : « Si nos syndicats révolutionnaires
parviennent jamais à diriger les industries, ils les dirigeront
avec cette rudesse et cette absence de sentimentalité dont le
patronat leur donne l'exemple et dont le maniement des
masses aveugles leur donne dès aujourd'hui l'habitude »
(p. 372).
Passant ensuite sur le plan des rapports qu'entretient cette
théorie avec la réalité historique et sociale, Daniel Halévy en
conteste la pertinence avant de s'interroger sur sa signification
même. Loin d'être porteuse d'une future « morale des product
eurs », la classe ouvrière réelle lui semble manifester, avec le
déclin du « vieux patriotisme de métier », une horreur du tra
vail qui s'exprime notamment dans la pratique du sabotage.
Pour Halévy au contraire, du fait des progrès du capitalisme,
la classe ouvrière a perdu progressivement son statut de seule
classe productrice et « l'amour fanatique du travail et de la
production » exalté par Berth ne se rencontre plus que chez les
chefs d'industrie, les ingénieurs et les techniciens. En réussis
sant à surmonter les difficultés de sa croissance, le système
capitaliste a fini par asseoir sa domination et contraint le mou
vement ouvrier à s'installer dans la société existante. En dépit
de ses violences occasionnelles, le développement du syndi
calisme est l'expression d'un processus d'intégration qui voit
les ouvriers de la grande industrie « se ranger dans les cadres
de la société qu'ils n'ont pu détruire ». Même si les masses
« restent hantées par l'ancienne espérance, par les anciens
mythes », ceux-ci, tel le collectivisme intégral longtemps
identifié au socialisme, ne persistent plus que comme « sym
boles de foi » et « visions consolatrices ». Sur la base de ce
diagnostic, Halévy se demande si l'industrialisme de Berth ne
risque pas de se transformer involontairement en « un hymne
au triomphe du capitalisme », et si celui-ci, sous l'influence de
Nietzsche, ne sera pas « un jour contraint à soutenir des thèses
entièrement aristocratiques ». Se situant aux antipodes et rap
pelant que le socialisme a « pour origine et justification la
résistance nécessaire à ce fanatisme industriel qui, si les
masses assujetties et les élites morales ne veillaient, aurait tôt
fait de régir impitoyablement l'humanité, de l'accabler enfin »,
Halévy estime que la mission qui incombe désormais à la
93 classe ouvrière consiste « à régler, non à hâter, le mouvement
déjà trop intense et rapide peut-être, qui précipite parmi nous
la production des richesses et le rythme entier de la vie matér
ielle » (p. 378, 379).
Pour Daniel Halévy enfin, cette vision erronée de la réalité
sociale s'appuie chez Berth sur une approche de l'œuvre de
Sorel qu'il récuse. Au lieu de considérer celle-ci comme l'œu
vre d'un moraliste qui se sert des

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