Les Pyrénées
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Les Pyrénées

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Langue Français

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Lettres sur les Pyrénées Devilleneuve
Revue des Deux MondesT.1, 1831 Lettres sur les Pyrénées
Lettres sur les Pyrénées, à l’occasion de l’ouvrage de M. Melling.
Première lettre
Je vous ai promis plusieurs fois, Monsieur, de vous parler de la promenade que je fis, il y a quelque temps, dans le midi de la France, [1] sans que je me sois mis jusqu’à présent en devoir de vous tenir parole. LeVoyagede M. Mellingdans les Pyrénées françaises , dont je me propose de vous entretenir aujourd’hui, va me fournir l’occasion de m’acquitter jusqu’à un certain point ; en vous en rendant compte, je trouverai naturellement le moyen de vous exposer quelques-uns de mes propres souvenirs sur la contrée qui fait l’objet de cet ouvrage, et je profite d’autant plus volontiers de l’à-propos, que cette contrée a été la partie la plus intéressante de mon voyage.
De tous les aspects, Monsieur, que nous offre la nature terrestre, il n’en est point, à mon avis, qui donne une aussi haute idée de sa puissance et de sa force que les grandes chaînes de montagnes qui sillonnent la surface du globe. La mer est empreinte d’un caractère de grandeur qui élève l’âme, et nous frappe d’étonnement ; mais otez les rivages qui en font toute la variété, et le spectacle se réduit à la seule pensée de l’immensité. Citera-t-on le désert ? ce n’est qu’une tache hideuse sur la robe verdoyante de la terre ; c’est une lacune de la vie que la nature y répand de toutes part, et ce serait bien mal juger de son action que de la juger sur un point où précisément elle en a suspendu le cours. La vue de cette vaste solitude est trop horrible et trop menaçante pour inspirer un sentiment sublime, car l’immobilité de la mort dont elle est l’image peut être de ces choses qui effraient et épouvantent, et non de celles qu’on admire. On pourrait opposer avec plus de raison les volcans ; mais ils font partie des montagnes, ils en sont le plus brillant épisode ; sans cela, ils occuperaient le premier rang, car ils sont à la fois la plus merveilleuse et la plus imposante des scènes qui apparaissent aux regards de l’homme.
L’intérieur de certaines forêts qui semblent n’avoir été jeunes qu’avec le monde, et dont chaque arbre est un monument ; certaines chutes d’eau, telles que celles du Niagara et du Parana ; les grands fleuves considérés dans la totalité de leur cours, les champs de glace du pôle et ses îles flottantes où se reflètent les couleurs prismatiques, sont encore autant d’objets pittoresques à mettre au nombre des grands traits physiques du globe, susceptibles d’imprimer le sentiment de cette terreur délicieuse dont notre esprit se montre avide ; cependant aucun ne me paraît devoir rivaliser avec le premier terme de ma comparaison, tous n’offrent qu’une face, ne donnent qu’une seule sensation trop uniforme et trop facilement épuisée.
Reste donc à chercher parmi tous les sites variés que forment les eaux, les bois, les collines, et quelques autres accidens du terrain, et j’y vois en effet répandus à l’infini des paysages en hauteurs, des retraites délicieuses, séjours d’une douce paix, sources inépuisables d’ivresse et de jouissances paisibles. Mais au milieu de toutes ces riantes campagnes, de ces bocages, de ces belles eaux, de ces riches guérets où la grâce se joue, il ne se rencontre rien qui puisse lutter avec les tableaux gigantesques, avec les lignes audacieuses et bizarres des chaînes montagneuses. Ces vastes sommités peuvent seules nous présenter la réunion des contrastes les plus heurtés et des harmonies lui plus suaves, des déchiremens les plus horribles et des contours les plus moelleux ; les masses glacées du pôle y reposent à côté de vertes prairies et de fertiles cultures ; les eaux y affectent toutes les formes, s’étendent en lacs, murmurent en ruisseaux, se précipitent en cataractes, ou roulent en fleuves limoneux. C’est là que la nature découvre à nos yeux les entrailles du globe et ses grands ossemens ; c’est là aussi qu’elle nous montre de près le mécanisme intéressant des nuages et tous les jeux de l’atmosphère, réunissant ainsi dans un contact singulier les hauteurs du ciel et les profondeurs de la terre. Ne demandez plus comment s’agglomèrent ces météores aqueux qui voyagent si rapidement au-dessus de nos têtes, comment se forment les fleuves et les rivières : voyez les vapeurs se balançant sur les larges flancs de la montage envelopper sa cime comme d’un crêpe noir, puis se diviser et partir pour aller au gré des vents porter au loin le ravage ou la fertilité ; voyez des glaciers éternels renfermés entre ces mêmes flancs descendre à la fois vingt ruisseaux à travers la verdure, comme des ciselures d’argent sur un fond noirâtre, pour se réunir dans la vallée, et ne plus remplir qu’un même lit.
Edifices immenses, les montagnes dans leur énormité ne nous charment pas moins par les grâces et la légèreté de leurs coupes, que toutes les petites constructions de nos grands architectes. Quand le ciel est pur, la limpidité de l’atmosphère qui les enveloppe est d’un effet prestigieux, leurs vastes cimes échancrées, déchiquetées de mille façons surprenantes, semblent jetées dans les airs pour le disputer aux nues par leur mobile souplesse. Il y a même plus que de la mobilité matérielle dans cette illusion, et si quelques ondulations de terrain, quelques accidens ordinaires qui rompent l’uniformité de la plaine, ont pu justifier l’expression de mouvement qu’on leur applique habituellement, il faut dire que dans la variété infinie, dans le croisement innombrable de lignes, de plans et de contours que présente le relief des hautes proéminences, il y a une agitation, un ébranlement qui tiennent de la vie. Placez-vous seulement sur le pic du Midi de Bigorre dans les Pyrénées, contemplez le large horizon des crêtes altières qui se dressent fièrement devant vous sous les rayons d’un soleil brillant, inspirez-vous du sentiment que vous fera naître cette grande scène, appesantissez-y profondément votre pensée, et vous verrez, à travers cette extase rêveuse, que ces grands corps à figures si nouvelles, si insolites, sembleront s’animer d’une expression vivante. Frappé de leurs physionomies tranchées et disparates, vous interrogerez les traits des plus voisines pour y lire comme dans ceux d’un homme des impressions tristes ou riantes, sévères ou gracieuses, et toutes ensemble feront surgir dans votre âme l’idée d’un peuple, d’une foule agitée, non pas d’hommes, mais d’être géans, monstrueux, [2] dont la notion n’était pas encore entrée dans le domaine de votre imagination.
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