AMITIÉ
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AMITIÉ

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Charles de Saint-Évremond Œuvres mêlées L’amitié sans amitié
L’AMITIÉ SANS AMITIÉ. 1 À M. le comte de Saint-Albans.
J’ai cru longtemps que les femmes avoient un assez grand avantage sur nous, en ce que nous ne sommes aimés que des moins sages, et que le plus sage des 2 hommes atrouvé à propos de les aimer toute sa vie. Le plus galant de l’antiquité, le plus vertueux, le plus grand, Alcibiade, Agesilas, Alexandre, ont connu d’autres appas que ceux des dames. Le plus magnanime des Romains, Scipion, l’honneur d’une république, à qui on ne peut rien reprocher que l’ingratitude qu’elle eut pour lui ; Scipion est loué d’une continence qui ne fut autre chose que le peu de goût, que le peu de sentiment qu’il eut pour elles. César, qu’il suffit de nommer pour tout éloge, ne se montra difficile àaucun amour. Salomon fut bien éloigné de ces partages et de ces dégoûts ; il s’attacha pleinement aux femmes, insensible à tous autres charmes que les leurs.
C’est une chose assez surprenante que les plus galants, les grands hommes, les gens de bien, les magnanimes, aient pu se passer de l’amour des femmes ; et, comme si cet amour étoit réservé pour le caractère du sage, que Salomon en ait fait la plus ordinaire occupation de sa vie. Il est surprenant, je l’avoue ; mais après y avoir fait quelque réflexion, je n’y trouve rien qui doive étonner. Les galants de l’antiquité avoient une grande répugnance pour la sujétion. Amoureux de tous agréments, ils se gardoient la liberté de passer d’un sexe à l’autre, à leur fantaisie. L’amour des femmes auroit amolli le courage des grands hommes ; la vertu des gens de bien en eût été altérée ; la grandeur d’âme des magnanimes en eût pu être affoiblie : mais la sagesse couroit peu de danger avec les femmes. Le sage, supérieur à leurs foiblesses, à leurs inégalités, à leurs caprices, sait les gouverner comme il lui plaît, ou il s’en défait comme bon lui semble. Tandis qu’il voit les autres dans la servitude, agités de quelque passion malheureuse, il goûte une douceur qui charme ses maux, qui lui ôte le sentiment de mille ennuis, qu’on ne rend pas insensibles par la raison. Ce n’est pas qu’il ne puisse tomber en quelque erreur ; la nature humaine ne laisse à notre âme aucun état assuré : mais il n’est pas longtemps, sans retrouver ses lumières égarées, et sans rétablir la tranquillité qu’il a perdue.
C’est ce qu’on a vu pratiquer à Salomon, lequel aima les femmes toute sa vie ; mais, différemment, selon les temps différents. Étant jeune, il eut la tendresse d’un amant : ses expressions molles et amoureuses le témoignent assez ; et il suffit de lire le Cantique des Cantiques, pour s’en convaincre. Qu’on me pardonne, si je n’y cherche pas un sens mystique. On ne me persuadera jamais que Salomon ait voulu faire parlerJésus-Christ à son Église, avec des sentiments plus mous, et des expressions plus lascives que n’en ont eu Catulle pour Lesbie, Ovide pour Corinne ; en vers plus tendres que ceux de Pétrarque pour Laure, plus galants que ceux de Voiture pour Belize. Je crois que Salomon ne parloit pas même à une épouse. Tant d’amour, tant d’ardeur, regardoit une maîtresse chèrement aimée. Il aima moins toutefois qu’il ne fut aimé. Il avoit connu par l’expérience de ses amours que les femmes sont plus passionnées que les hommes. C’est une vérité dont l’Écriture même a pris la peine de nous assurer ; car, voulant exprimer les sentiments que 3 David et Jonathan avoient l’un pour l’autre,ils s’aimoient,, dit-ellede l’amour d’une femme: pour montrer que c’étoit le plus tendre des amours.
Salomon, dans la vigueur de son âge, fait voir moins de tendresse et de sincérité, dans ses affections. Il employa jusqu’à la réputation de sa sagesse, pour se faire aimer. C’est par là qu’il tira tant d’or de la reine de Saba, de cette reine follement éprise de la sagesse, qui voulut quitter son royaume pour voir un sage.
Comme Salomon approcha de la vieillesse, il changea de conduite avec les femmes. Lorsqu’il eut perdu le mérite de plaire, il s’en fit un d’obéir. Il pouvoit commander, il pouvoit contraindre ; mais il ne voulut rien devoir à la puissance ; il voulut que la docilité et la soumission lui tinssent lieu de ses agréments passés.
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