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La Nouvelle Revue,T. 1, 1879, p. 5-11.Juliette AdamÀ nos lecteursLa Nouvelle Revue/À nos lecteursÀ NOS LECTEURS.1er octobre 1879Chaque siècle a son œuvre ; chaque période de siècle a sa tache.Il y a plus de deux mille années, Thalès, rejetant de son esprit les chimères que latradition y avait accumulées, regarda les choses face à face, découvrit le réel et vitles lois simples de la constitution physique du monde. En communication directeavec sa propre intelligence que seule il rencontra dans l’univers visible, Thalèsplanta les premiers jalons de la recherche dans les sentiers de la vérité. Thalès fitplus encore : il fonda, sur l’observation des phénomènes humains, cette philosophiehaute et sereine que l’un de ses disciples appelait la santé morale.Ce que Thalès trouva de naturel dans la nature, d’humain dans l’homme, nepourrions-nous le trouver de social dans la société ? L’heure n’est-elle pas venuede rechercher les éléments de la santé sociale ?Lorsqu’un observateur, libre de toute préoccupation métaphysique, l’esprit dégagéde toute hypothèse, étudie un peuple vivant, il croit voir un ensemble de fonctionsorganiques, un corps qui participe au mouvement universel, avec une sorte d’unitévitale. La pensée ne lui vient-elle pas alors de procéder pour cette étude commepour les autres, et d’appliquer la méthode expérimentale à l’observation et à laconnaissance des faits humains ?Un scrupule pourrait seul arrêter le chercheur : celui d’inquiéter les ...

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Publié le 17 mai 2011
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Langue Français

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La Nouvelle Revue, T. 1, 1879, p. 5-11. Juliette Adam
À nos lecteurs La Nouvelle Revue/À nos lecteurs
À NOS LECTEURS.
1er octobre 1879
Chaque siècle a son œuvre ; chaque période de siècle a sa tache.
Il y a plus de deux mille années, Thalès, rejetant de son esprit les chimères que la tradition y avait accumulées, regarda les choses face à face, découvrit le réel et vit les lois simples de la constitution physique du monde. En communication directe avec sa propre intelligence que seule il rencontra dans l’univers visible, Thalès planta les premiers jalons de la recherche dans les sentiers de la vérité. Thalès fit plus encore : il fonda, sur l’observation des phénomènes humains, cette philosophie haute et sereine que l’un de ses disciples appelait la santé morale.
Ce que Thalès trouva de naturel dans la nature, d’humain dans l’homme, ne pourrions-nous le trouver de social dans la société ? L’heure n’est-elle pas venue de rechercher les éléments de la santé sociale ?
Lorsqu’un observateur, libre de toute préoccupation métaphysique, l’esprit dégagé de toute hypothèse, étudie un peuple vivant, il croit voir un ensemble de fonctions organiques, un corps qui participe au mouvement universel, avec une sorte d’unité vitale. La pensée ne lui vient-elle pas alors de procéder pour cette étude comme pour les autres, et d’appliquer la méthode expérimentale à l’observation et à la connaissance des faits humains ?
Un scrupule pourrait seul arrêter le chercheur : celui d’inquiéter les esprits faibles, moins effrayés d’ordinaire par l’ignorance que par l’inconnu. La science sociale est encore à l’état si embryonnaire que les conservateurs craignent de découvrir, dans les phénomènes sociaux, des lois perturbatrices de l’ordre établi.
Mais si, pour échapper aux mystères de l’astrologie, les esprits forts ne reculèrent point devant la théorie des tourbillons de Descartes, de même peut-être ne faut-il pas hésiter à chercher dans les révolutions les lois de la stabilité sociale. Aujourd’hui, l’astronomie est devenue une science d’où l’agitation est exclue ; Newton ne fait plus de sectaires. Ne pourrions-nous prévoir le jour où la science sociale, née du socialisme, comme l’astronomie née de l’astrologie, comme la chimie née de l’alchimie, comme la biologie née de l’amas confus d’observations entassées par Buffon, mais ordonnées par Bichat, ne pourrait-on prévoir le jour où la science sociale entrera dans l’ordre immuable des systèmes qui se développent sans se contredire ?
La fin de chaque siècle concentre ses efforts pour produire le siècle suivant. Un siècle, à l’heure où il en conçoit un autre, est encore viril. Pareil à l’homme, qui engendre l’homme dans l’âge de sa plus grande force, lorsqu’un siècle engendre le e siècle futur, c’est qu’il est mûri pour cette paternité. La fin du xviiisiècle a conçu le e xix . Elle a donné corps à tous les éléments épars des sciences cosmologiques en e astronomie, en mathématiques, en chimie. La fin duxix donnera-t-ellecorps aux éléments épars des sciences sociales en économie, en histoire, en politique ?
Est-ce que la raison moderne, rassurée par la découverte des lois qui ordonnent et classent tant de faits d’apparence contradictoire, se trouble encore lorsqu’un nouveau terrain d’observation surgit ? Au milieu de ces innombrables travaux de physiologie, de paléontologie, d’ethnologie, de linguistique, d’archéologie, d’histoire, de jurisprudence, une grande et saine conviction pénètre les esprits : c’est que la science, par la connaissance des lois physiologiques, donne à
l’homme le religieux sentiment de l’ordre dans la nature, ordre qui, chaque jour, s’affirme plus absolu et qui ne peut être que constaté une fois de plus, non détruit, par un ensemble de phénomènes vivants.
Les tâtonnements d’une fausse science politique, d’une sorte d’alchimie sociale, inspirent des systèmes bizarres, dont les formules entraînent les visionnaires à la recherche de la pierre philosophale, exaltent l’esprit des ignorants, provoquent à l’appel du miracle. Dans le chaos informe, où semblent flotter encore à l’heure présente les impulsions des forces sociales, beaucoup de troubles s’excitent, bien des courants qui pourraient être dirigés se heurtent en sens contraire et se neutralisent. Des conditions factices de gouvernement se créent ; l’arbitraire naît d’exigences irréalisables ; des réactions violentes succèdent à des actions violentées.
La politique, tantôt imposée par ceux qui prétendent décréter la fin des malheurs publics et la paix universelle, – nous savons comment ils tiennent leurs promesses, – tantôt conduite par ceux qui enseignent les joies des épreuves terrestres, – nous avons appris comment ils donnent l’exemple du sacrifice, – n’est-elle pas destinée à n’appliquer un jour que les lois découvertes dans les rapports des hommes entre eux ? L’observation de ces rapports ne peut-elle se faire par les procédés ordinaires des sciences exactes, dans le calcul des actions partielles et dans l’étude des évolutions normales d’une société ?
Dès à présent, le jeu libre de la puissance individuelle se mesure avec plus de précision dans la marche du corps social. L’expérience des institutions démocratiques et du suffrage universel, faite empiriquement faute de méthode, ne permet-elle pas déjà de reconnaître, jusqu’à ce que la science les fixe, les droits de l’homme à l’action et les droits de la société au mouvement ?
Le souffle de quelque Thalès balaiera-t-il dans la politique les nuages qui furent autrefois balayés dans la nature, et les lois simples de la constitution du monde social seront-elles découvertes par un philosophe, comme ont été découvertes les lois simples de la constitution du monde physique ?
Jusqu’à présent, les hommes d’État, qui transmettaient les traditions gouvernementales, faisaient mystère de leur savoir, comme font les prêtres d’un culte profitable, et prétendaient, le croyant peut-être, qu’il faut, pour gouverner les hommes, une sorte d’initiation.
Après que les castes gouvernementales, en 1870, eurent été broyées par les malheurs mêmes qu’elles avaient attirés sur notre France, des hommes nouveaux surgirent. N’ayant tout d’abord qu’un mérite, – celui d’avoir les premiers retrouvé leur équilibre dans un milieu soulevé par la guerre et par la révotution, – ils émergèrent au-dessus de la masse encore oscillante et furent pour ainsi dire portés au gouvernement de la République. Les grands industriels, les grands ingénieurs, les grands financiers, les grands commerçants, produits spontanés des nouvelles couches sociales, jetés tout à coup dans l’arène parlementaire, regardent à cette heure le monde social comme Thalès regardait le monde physique, face à face ! Eux aussi, peut-être, vont découvrir le réel, caché jusqu’ici par l’entassement des traditions et par les chimères des cerveaux imaginatifs.
Ces hommes pratiques, – qualification vulgaire que la science sociale ennoblira, – s’aperçoivent que l’expérience des faits journaliers conduit à l’expérience des faits généraux, que le gouvernement de tous s’apprend par le gouvernement de quelques-uns, et que les travaux individuels préparent aux travaux publics. Formés au jour le jour, tout frémissants, encore des battements de l’opinion qu’ils peuvent tâter à leur propre pouls, mêlés à la circulation des affaires, ils puisent la vie politique dans le jeu de l’orgaanisme universel. Leur action, en s’exerçant, ne communique et ne reçoit que des impulsions normales ; car leur activité se règle au contact des autres activités.
N’est-ce pas dans l’accord perfectible ou plutôt dans le développement coordonné des initiatives individuelles, mêlées à la puissance régulatrice d’une société, que se démontrent les progrès ?
L’Angleterre, l’Allemagne, dans notre vieux monde, nous donnent le spectacle de certains progrès par l’ordre dans le mouvement ou par l’accumulation des forces. Mais leur système gouvernemental crée des obstacles à la marche en avant de ces corps sociaux tout entiers. Si nous nous appliquons à le vouloir, favorisés, soutenus par nos institutions politiques, nous pourrons atteindre leur vitesse acquise et non-seulement les rejoindre, mais encore les dépasser !
Quelle nation plus que la française a l’amour, en qualités égales, de l’ordre et du mouvement ? Ces deux passions, que l’on juge contradictoires, sont d’ailleurs complémentaires, l’inertie étant parfois de la violence amassée.
Répudions enfin la devise imposée par l’Église à la noblesse des Croisades « Vivre pour mourir ! » et que le cri des Gaulois « Vivre pour agir ! » réveille en nous la conscience de notre force.
Surpris par les Germains dans la négligence de nos devoirs patriotiques, et rejetés, momentanément vaincus, derrière les portes de notre histoire, nous nous y sommes ralliés, quoi qu’on dise, sans distinction de partis, sous le drapeau national. Essayons maintenant de retrouver notre puissance dans nos vertus héréditaires. Les instincts natifs de notre race nous conduiront sûrement aux vérités politiques et sociales, au progrès libérateur, si nous savons dénouer les liens du passé dont le servage féodal nous a trop longtemps enveloppés.
Aux derniers jours des tyrannies de la noblesse franque, les serfs avaient mangé de la terre gauloise et pris un appétit brutal pour la grande nourricière. Depuis un siècle, cette communion sacrée, qui excita jusqu’au fanatisme l’amour du sol chez le paysan, a-t-elle incarné la terre dans l’homme et réenfanté des Gaulois ?
La guerre germaine a-t-elle ressuscité en France le vieil esprit de la Gaule, celui de l’ancienne Rome ? Et la République recrée-t-elle en nous les vrais fils des hommes libres ?
Si nous redevenons Gallo-Romains, prenons garde de nous laisser surprendre, dans l’avenir, par les épreuves de nos qualités. Si nous retrouvons nos facultés initiales et nos facultés acquises, si nous renaissons tout à fait Gaulois et Latins, il nous faudra, non pas comme aux temps impériaux du pain et les jeux du cirque, non plus comme aux temps féodaux des guerres de castes, mais, comme en Gaule et dans Rome, de la liberté et des actes ! Craignons de ne pas satisfaire les exigences de nos vigueurs renouvelées, et de les amasser en découragement ou en irritation. Si « Vivre pour agir » redevient le cri national, notre devoir ne sera-t-il pas d’agir pour vivre ?
La violente amour que nous avons de la Gaule, notre sentiment de fraternité latine, notre passion pour la liberté, notre obéissance aux lois codifiées par les sciences vivantes, sont-elles de la doctrine ? N’est-ce pas plutôt des dogmes que tous les cultes français reconnaissent, et auxquels, un à un ou confondus, nous ferons une large place dans une église que nous ne bâtissons point petite ?
Juliette LAMBER (Mme ADAM).
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