Biographie et roman chez Anatole France - article ; n°1 ; vol.19, pg 143-154
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1967 - Volume 19 - Numéro 1 - Pages 143-154
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1967
Nombre de lectures 56
Langue Français

Extrait

Professeur Jean Levaillant
Biographie et roman chez Anatole France
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1967, N°19. pp. 143-154.
Citer ce document / Cite this document :
Levaillant Jean. Biographie et roman chez Anatole France. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises,
1967, N°19. pp. 143-154.
doi : 10.3406/caief.1967.2338
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1967_num_19_1_2338BIOGRAPHIE ET ROMAN
CHEZ ANATOLE FRANCE
Communication de M. Jean LEVAILLANT
{Nancy)
au XVIIIe Congrès de Г Association, le 27 juillet 1966.
Auteur de contes, d'essais et d'ouvrages historiques comp
ortant une grande part de commentaires ironiques, on r
eproche souvent à France de ne pas organiser des formes
romanesques rigoureuses et stables. En 1894, Pellissier
écrit : « Le nom de roman ne s'applique pas d'ordinaire à
des ouvrages comme Le Livre de mon ami, Le Crime de Syl
vestre Bonnard, La Rôtisserie de la Reine Pêdauque » ; quant
à l'Histoire contemporaine, elle fut considérée surtout comme
une chronique. Toutefois, après Thaïs, en 1891 un critique
accorde à France le rôle de libérateur des formes du roman,
sur le même plan que Huysmans et Barrés. Et lbrsqu'en
1926 Boylesve souhaite « une forme romanesque qui pût
juxtaposer l'observation du monde extérieur à un esprit de
méditation centrale, analogue à celui des Essais » (1), il re
tarde, il oublie que France fut précisément l'inventeur de ce
genre de roman. Il contribua en effet à distendre ou à dis
loquer le récit romanesque rigide, à substituer un ordre
contrapunctique à l'ordre linéaire, à assouplir de l'intérieur
(1) Cf. Edmond Jaloux, Boylesve, dans Les Nouvelles Littéraires, 23 jan
vier 1926. JEAN LEVAILLANT 144
l'esthétique du genre. Mais les conditions de cette métamor-
morphose impliquent une attitude particulière et en partie
nouvelle du romancier : un traitement nouveau des rapports
de la biographie et du roman. C'est un moment important de
la transformation de l'esthétique romanesque à la fin du der
nier siècle et au début du nôtre, accompagnant elle-même une
métamorphose intellectuelle plus profonde.
* #
D'abord, le roman francien n'est plus orienté par une
visée biographique comme l'étaient encore pour une grande
part plusieurs des romans de Balzac, ceux de Flaubert, et
comme le sont encore ceux de Maupassant : Une vie, ce titre
même formule à la fois un contenu et l'idéal du projet roma
nesque. France d'ailleurs, aussi longtemps qu'il resta, dans
sa jeunesse, disciple de Flaubert, conçut le roman comme une
biographie ; jfocaste, puis Les Désirs de Jean Servien déve
loppent l'un et l'autre le récit d'une vie, et, si l'on veut bien
tenir compte des retours en arrière souvent substantiels qui
font connaître les premières années d'Hélène, héroïne de
jfocaste, c'est chaque fois la courbe d'une existence, de l'en
fance à la mort ; vie brève, sans doute, mais vie complète,
dont on peut faire la somme au bout du compte. Malgré des
modulations qui appartiennent sans doute en propre à France,
le roman se confond encore pour lui avec le récit biographique.
Tout change lorsque France écrit Thaïs dans les années
tournantes de la fin du siècle, en 1889- 1890, et désormais le
roman francien n'aura plus pour but de suivre le déroule
ment d'une vie, mais d'étudier une crise. Dans n'importe
quel roman de France, les lacunes biographiques sont évi
dentes. Sur Jacques Dechartre, le lecteur du Lys rouge
possède un minimum de renseignements concernant ce qu'il
fut avant de rencontrer Thérèse Martin-Bellème : peut-être
deux pages, au total, sur sa jeunesse et ses rapports avec sa
mère, quelques lignes sur sa liaison avec une actrice, et encore,
ce sont des anecdotes, racontées par lui ou par d'autres, mais
de biais. Même ignorance quant à Robert de Ligny, avant BIOGRAPHIE ET ROMAN CHEZ ANATOLE FRANCE 145
sa rencontre avec la jeune comédienne d'Histoire comique.
De Bergeret, lorsqu'il pénètre d'emblée dans les chroniques
de VEcho de Paris qui formeront l'Histoire contemporaine,
nous ne savons presque rien, hors quelques formules défi
nissant sa situation actuelle ; il faut attendre deux ans et
plus, au fil des chroniques, pour que la vie de Bergeret qui
précède le temps de la chronique se constitue peu à peu, par
petites tranches lui donnant successivement un père, une
enfance, des souvenirs, une vie antérieure et intérieure ; et
ce sont, ici encore, des anecdotes isolées, sujets de réflexion
plutôt que récit libre d'une vie. Cette manière d'éluder la
forme biographique du récit, ce refus d'appréhender la vie
globale, se manifestent également par des discontinuités
chronologiques, des disparates temporelles. Lors de la pre
mière édition du Crime de Sylvestre Bonnard, la critique avait
aussitôt remarqué d'évidentes invraisemblances de dates :
les éditions ultérieures n'en ont effacé qu'une partie. Si l'on
établit la datation du roman Thaïs d'après Paphnuce et d'après
Thaïs elle-même, on s'aperçoit que les deux computs ne
coïncident pas ; quant à la ligne temporelle de Brotteaux,
dans les Dieux ont soif, elle ne correspond pas toujours avec
la ligne temporelle de Gamelin.
Mais ces lacunes, ces décalages, qui seraient à inscrire au
débit de l'écrivain s'il s'agissait encore de récits biographiques,
n'ont plus la même valeur si les éléments biographiques uti
lisés ont seulement pour but de permettre et de nouer une
crise qui les dépasse. La prédilection si souvent affirmée de
France pour les nouvelles brèves ou les contes déjà oriente
sa vision romanesque : il organise pour ses romans une struc
ture dramatique, ou tragique. L'œuvre exemplaire de ce
point de vue, Les Dieux ont soif, s'ordonne autour d'une par
faite unité de lieu : la quasi-totalité des lieux indiqués se
situent à cinq cents mètres au plus du Tribunal révolution
naire — qui est lui-même cité, évoqué ou décrit dans vingt-
sept chapitres sur vingt-neuf. Cet effet de huis-clos est redou
blé par l'unité de temps : la première « journée » s'achève par
la rencontre du premier condamné du Tribunal, la dernière
par la condamnation de Gamelin le n thermidor qui sym- JEAN LEV AILLANT 146
bolise la suppression du Tribunal : le cercle, ou le cycle, est
bouclé. Les premiers chapitres s'éclairent de la pleine lumière
du matin, les derniers se déroulent dans un demi-jour,
au crépuscule, ou la nuit : le roman naît et s'achève ainsi
au cours d'une même « grande journée », de l'aube de la Révo
lution de 93 à la nuit de son échec. On peut ajouter à ces procé
dés tragiques l'emploi des symboles : lys rouge de Florence
teint du sang de Thérèse et associant ainsi la beauté et la
mort dans le Lys rouge, symbole d'Hercule à la massue ou
d'autres encore dans les Dieux ont soif. La condition d'une
telle structure, c'est que l'on s'interdise de suivre toute une
vie, c'est que l'on concentre l'effet sur quelques parties de la
durée, au lieu de provoquer majeur du récit biogra
phique, cette impression de durée longue, cette imprégnation
par la lenteur du temps malgré des ellipses ou tels accents
intenses, l'effet inimitable de Y Éducation sentimentale.
Cependant, si le projet biographique est ainsi abandonné,
si le personnage perd en grande partie la dimension personn
elle et intime du temps, la question se pose de savoir quel
substitut permet au héros de conserver une épaisseur, une
profondeur de champ d'existence suffisante. Le substitut
principal utilisé par France est la création du type. Il ne peut
être dans mon propos ici d'analyser en détail la typologie
francienne, mais seulement de souligner d'une part la pré
sence foisonnante des types dans l'œuvre romanesque de
France, et de marquer d'autre part comment la création
typique remplace la création biographique. — L'orientation
de France vers l'esthétique du type correspond à un besoin
profond de retrouver d'abord non pas le détail singul

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