Claudel paysagiste - article ; n°1 ; vol.29, pg 115-130
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1977 - Volume 29 - Numéro 1 - Pages 115-130
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1977
Nombre de lectures 29
Langue Français

Extrait

Monsieur Roger Lefevre
Claudel paysagiste
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1977, N°29. pp. 115-130.
Citer ce document / Cite this document :
Lefevre Roger. Claudel paysagiste. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1977, N°29. pp. 115-130.
doi : 10.3406/caief.1977.1138
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1977_num_29_1_1138CLAUDEL PAYSAGISTE
Communication de M. Roger LEFÈVRE
(Caen)
au XXVIIIe Congrès de l'Association, le 26 juillet 1976.
Pourquoi « Claudel paysagiste » ? N'est-ce pas centrer
notre propos sur un aspect relativement secondaire de cet
artiste, alors que nous aurions pu choisir une piste qui nous
introduisît au cœur des massifs dramatiques ou lyriques
de l'œuvre claudélienne ? Une telle objection, me semble-
t-il, n'est pas fondée et le sujet de cet exposé me paraît
légitime.
Premièrement, il correspond à une réalité : Claudel est,
aussi, un peintre de paysages. Même si on refuse, à juste
titre, d'appeler « paysage » une image de nature qui fleurit
isolément dans une ode ou un drame, on trouve des pay
sages, d'authentiques paysages, chez Claudel, que ce soit
une marine, un panorama alpestre, un coucher de soleil ou
un paysage urbain. Je songe certes à Connaissance de l'Est,
mais aussi à bien d'autres pages de Claudel, depuis son
premier texte publié Dans l'île de Wight jusqu'aux écrits
tardifs qui évoquent le Dauphine — sans oublier les sou
venirs du Brésil, « ce merveilleux quartier de la planète
où la forêt vierge vient somptueusement marier ses plis à
ceux de l'océan » (Prose, p. 1096) (1).
Secondement, si, au lieu de nous laisser entraîner par
la diversité planétaire des paysages claudéliens, nous nous
attachons à Claudel paysagiste, si nous essayons de déga-
(1) Les références des citations de Claudel sont données en utilisant
les abréviations suivantes : C. Est : Connaissance de l'Est ; Po : Œuvre
Poétique (Pléiade, 1967) ; Prose : Œuvre en prose (Pléiade, 1965) ; Th. :
Théâtre ; C. Cl. : Cahiers Paul Claudel (Gallimard) ; O.C. :
Œuvres complètes (Gallimard). Il6 ROGER LEFÈVRE
ger certaines caractéristiques de sa manière de percevoir
et de rendre le paysage, alors nous pouvons espérer about
ir à quelques aperçus sur ce que j'appellerais « les struc
tures fondamentales de l'imaginaire et de la poétique clau-
déliens ».
# *
La première caractéristique que nous formulerons dis
tingue Claudel de bien des écrivains peintres de paysages.
Ce que nous présente Claudel paysagiste n'est pas essen
tiellement un tableau. Un tableau, c'est d'abord la des
cription d'une réalité simultanée, description que seules
les nécessités de l'expression linguistique rendent succes
sive et réalité simultanée fixée à un moment précis, perçue
d'un point de vue choisi et s'organisant spatialement :
à droite... à gauche... au fond... au premier plan... Dans
ce genre de texte descriptif, la réalité accapare le regard,
et la présence du sujet décrivant n'est pas marquée, sinon
parfois par un très évasif « on » : « on apercevait... on dis
tinguait... » Or, ce type de paysage est relativement rare
chez Claudel. Bien des exemples qu'on croirait pouvoir
citer ne sont que des indications pour la réalisation d'un
décor de théâtre (2). Ce ne sont pas vraiment des textes
littéraires.
Le paysage claudélien se distingue du tableau également
dans un second sens du mot (qui est à vrai dire premier) :
tableau comme réalisation d'art pictural, l'écrivain cher
chant alors à rivaliser à sa manière avec le peintre. Or nous
(2) Par exemple à l'acte IV de La Jeune Fille Violaine (2e version)
(Th., I, 637. C'est nous qui soulignons certains mots) :
« Le fond du jardin. L'après-midi du même jour. Fin de l'été.
Les arbres chargés de fruits. De quelques-uns les branches qui
plient jusqu'à terre sont soutenues par des étais. Les feuillages,
comme usés et pleins de pommes rouges et jaunes, font comme une
tapisserie.
Au fond inondée de lumière, telle qu'après la moisson, la plaine
immense ; des éteules et, déjà, des terres labourées. On voit les routes
et les villages. Des rangées de meules qui apparaissent toutes petites,
et, çà et là, un peuplier. Très loin et de différents cités, des trou
peaux de moutons. L'ombre des grands nuages passe sur la plaine. » CLAUDEL PAYSAGISTE 117
pouvons constater que le vocabulaire de la critique d'art
auquel a recours bien souvent l'écrivain paysagiste, qui
parle d' « éclairage de « lignes », est », de très « masses rare dans », de les « plans paysages », de claudéliens. « touche »,
Pourtant, un texte de Connaissance de l'Est n'a-t-il pas
pour titre Peinture et ce simple mot ne suffit-il pas à réfu
ter ce que j'ai dit ? Lisons au delà du titre : « Que l'on me
fixe par les quatre coins cette pièce de soie... Du haut en
bas et d'un bord jusqu'à l'autre, comme entre de nou
veaux horizons, d'une main rustique j'y peindrai la terre»
(C. Est-Fo, 55). Ce texte, vous le voyez, ne cherche pas à
rivaliser avec un tableau : il évoque l'activité du peintre
et non le résultat ; il met en scène le sujet peignant, le sujet
en action.
Et c'est ce mot d'activité qui va nous permettre de com
prendre cette distance fréquente entre le paysage claudél
ien et le tableau, le tableau qui, même lorsqu'il représente
le mouvement, ne peut se libérer d'un certain statisme. Ici,
deux lignes de recherche : d'abord le paysage claudélien
nous met en contact avec une réalité dynamique et vivante :
il ne nous présente généralement pas une scène unique,
mais une suite de scènes, une évolution ; dans un pay
sage claudélien, il se passe quelque chose, ne serait-ce que
« la lente modification des heures » (C. Est-Fo, 45). Presque
dans chaque poème de Connaissance de l'Est se lève ou se
couche un astre. Mais le mouvement est souvent bien plus
véhément : tantôt, c'est un fleuve, « liquéfaction de la
substance de la terre, éruption de l'eau liquide enracinée
au plus secret de ses replis, du lait sous la traction de l'océan
qui tette » (C. Est-Fo, 117). Tantôt, « la nue d'orage dans
le ciel indéfiniment continue l'escalade monstrueuse de
la montagne » (C. Es/-Po, 84). Même le clair de lune est
plein de vitalité, tel un fleuve de lumière jaillissante : « Je
vois, avec une puissance irrésistible, de bas en haut débou
cher l'estuaire de magnificence dans le ciel tel qu'un bassin
concave et limpide »... (C. Est-Fo, 91). La terre elle-même
n'est pas immobile. Voici le « vaste paysage » qui remplit
l'étroit « enclos » d'un jardin chinois : « Qu'on se figure un Il8 ROGER LEFÈVRE
charriement de rochers, un chaos, une mêlée de blocs cul
butés, entassés là par une mer en débâcle, une vue sur
une région de colère, campagne blême telle qu'une cervelle
divisée de fissures entrecroisées. Les Chinois font des écor-
chés de paysages » (C. Est-Vo, 35). Certes, tous les pay
sages claudéliens ne sont pas aussi impétueusement ani
més et Claudel sait aussi rendre la douceur d'un geste
d'apaisement. Voici une phrase pour éventail (Po, 709) :
La sur
neige toute la terre
pour la neige
étend
un tapis de
neige
La paix n'a pas, ici, le statisme de la mort. Dans chaque
paysage claudélien est sensible un certain rythme.
A cette activité de la nature correspond — seconde
ligne de recherche — l'activité du sujet. Il est présent, vis
iblement présent à l'intérieur de chaque paysage, où il cir
cule « perpétuel piéton » (C. Est-Fo, 45). Parfois dans le
lointain, grâce à un plaisant dédoublement : « Le corbeau,
comme l'horloger sur sa montre ajustant sur moi un seul
œil, me verrait, minime personnage précis, une canne sem
blable à un dard entre les doigts, m'avancer par l'étroit
sentier en remuant nettement les jambes (C. Est

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