L expression des sentiments dans la tradition naturaliste - article ; n°1 ; vol.26, pg 269-280
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1974 - Volume 26 - Numéro 1 - Pages 269-280
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1974
Nombre de lectures 35
Langue Français

Extrait

Professeur Michel Raimond
L'expression des sentiments dans la tradition naturaliste
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1974, N°26. pp. 269-280.
Citer ce document / Cite this document :
Raimond Michel. L'expression des sentiments dans la tradition naturaliste. In: Cahiers de l'Association internationale des études
francaises, 1974, N°26. pp. 269-280.
doi : 10.3406/caief.1974.1066
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1974_num_26_1_1066L'EXPRESSION DES SENTIMENTS
DANS LA TRADITION NATURALISTE
Communication de M. Michel RAIMOND
[Sorbonně)
au XXVe Congrès de l'Association, le 27 juillet 1973.
Je ne suis pas sûr que l'expression « Tradition natural
iste » soit très heureuse. Je n'avais adopté ce titre que de
façon provisoire, en me réservant de centrer mon exposé
sur Henry Céard qui, dans ses deux romans, Une Belle
Journée et Terrains à vendre au bord de la mer, avait poussé
jusqu'au bout l'esthétique naturaliste d'un récit dépourvu
d'intrigue, à l'instar de L' Éducation sentimentale : dans
mon souvenir, Une Belle Journée annonçait même l'atmos
phère de certains romans modernes ; je pense par exemple
au Square de Marguerite Duras : les héros ne font que
frôler l'aventure ; les heures passent, il ne s'est rien passé ;
chacun rentre chez soi. Et puis je vous avouerai qu'ayant
relu Une Belle Journée, j'ai eu le sentiment que mes
souvenirs m'avaient trompé, non sur les intentions de
Céard, mais sur la qualité de son livre. Il reste que j'aime
encore beaucoup Terrains à vendre. Mais j'ai pensé que,
pour étudier l'expression des sentiments, mieux valait
étendre le champ de mon enquête à un certain nombre de
romans qui ont, si je peux dire, escorté l'œuvre de Zola :
ceux de Maupassant, bien sûr, mais aussi de Céard, de
Léon Hennique, du premier Huysmans, de Paul Bonnetain,
de Mirbeau, de Jules Renard, de Gustave Geffroy. Voilà
bien des noms un peu oubliés ; et parfois injustement.
Zola se trouve délibérément exclu de mon propos. D'abord
notre Association lui a consacré, il y a peu de temps, une 270 MICHEL RAIMOND
journée ; et puis je pense que l'historien des lettres, et
même l'esthéticien auraient tort de ne s'occuper que des
chefs-d'œuvre. Des romans de moindre envergure et parfois
de deuxième ou de troisième ordre nous aident à respirer
l'air d'un temps ; parce qu'ils ont moins de secrets que les
chefs-d'œuvre, ils livrent mieux leur mode de fonctionne
ment, comme on dit de nos jours ; et la lecture de ces
livres oubliés est souvent riche d'enseignements de toute
sorte.
* * *
Les romanciers naturalistes ne passent pas, en général,
pour avoir fait la part trop belle à l'expression des senti
ments. D'abord parce que les sentiments sont un luxe
auquel doivent renoncer, assez souvent, les personnages
de petite condition qu'ils mettent en scène. De façon révé
latrice, Auguste et Désirée, dans Les Sœurs Vatard,
renoncent sans trop de peine à leur amour : ils s'avouent,
dans leur dernière entrevue, qu'il faut « songer au solide »
et qu'ils ne sont plus d'âge à « s'amuser comme des enfants ».
Les sentiments sont des jeux interdits ; ce sont aussi
des jeux dangereux : il faut s'en défier. Comme beaucoup
d'autres, le héros de L ' Écorni fleur entend ne pas s'en
laisser accroire. Dans Terrains à vendre, le personnage
principal est mis en garde par un de ses amis contre les
entreprises d'une femme exaltée qui a jeté sur lui son
dévolu : « Comment, se dit le héros, pourrait-elle m'être
si dangereuse ? (...) Je vis seul ; et puisque je ne commettrai
jamais la sottise de devenir son amant, qu'est-ce qui pourra
bien m'arriver ? Rien du tout. Et une vie où rien n'arrive,
c'est le rêve, c'est l'Idéal. » Oui, et le roman où rien l'idéal de ce romancier. Mais, comme eût dit Thibaudet,
un roman où rien n'arrive, c'est un roman où il n'y a pas
d'amour, pas de haine, pas de jalousie. Rien de ce qui fait
sortir la vie de son train ordinaire. Maupassant Га noté,
dans la préface de Pierre et Jean : « Si le romancier d'hier
choisissait et racontait les crises de la vie, les états aigus SENTIMENTS DANS LA TRADITION NATURALISTE 27 I LES
de l'âme et du cœur, le romancier d'aujourd'hui écrit
l'histoire du cœur, de l'âme, de l'intelligence à l'état
normal. »
II y a chez plusieurs des romanciers de la tradition natur
aliste l'idée que les sentiments appartiennent au monde
des livres, qu'ils font partie de l'univers du roman, mais
qu'on ne saurait les rencontrer dans la vie réelle, et, de
Jules Vallès à Henry Céard ou à Jules Renard, ils ne se
sont pas fait faute de dénoncer, de façon indignée, mélan
colique ou ironique, ce décalage entre la littérature et la
vie. Dans Terrains à vendre, le héros, en vacances au bord
de la mer, est rejoint par une cantatrice célèbre, fervente
wagnérienne, interprète de Tristan et Yseult, Mme Trénis-
san. Un beau jour, cédant à ce qu'on appelait, en ce temps-
là, un vertige sensuel, il l'embrasse sur la nuque, éperdu-
ment. Scène romanesque ; expression presque stéréo
typée du désir et de la passion. C'est ainsi que peut com
mencer une histoire d'amour. Mais Mme Trénissan ne
perd pas la tête : « L'art, réplique-t-elle à son compagnon
trop entreprenant, a trouvé le secret de donner de la dignité
aux platitudes galantes de la vie. Mais ne réglons point
nos sentiments et nos mœurs sur la beauté des chefs-
d'œuvre. Vous ne serez jamais Tristan, je ne serai jamais
Yseult. Plus simplement, nous deviendrions amant et
maîtresse. Nous aurions des contributions à payer, des
notes de fournisseurs à acquitter, nos humeurs à subir ;
nos caractères à mettre d'accord. (...) Remarquez en outre
que Tristan et Yseult meurent dès la première étreinte (i).
Avec votre santé et la mienne, l'échéance de nos décès est
certainement moins rapprochée. Donc il nous faudrait
faire beaucoup d'efforts pour nous accommoder l'un
de l'autre (...). A défaut d'un impossible amour, conten
tons-nous d'une bonne amitié. Vous comprenez mainte
nant l'inutilité de m'embrasser. En appuyant sur les mots
(1) Cette phrase ne saurait s'appliquer au Tristan de nos vieux trou
vères imité par Gottfried de Strasbourg, mais à l'opéra que Wagner en
a tiré. C'est l'acte II en effet qui évoque la nuit où Tristan a été surpris
près d'Yseult et blessé aussitôt. 272 MICHEL RAIMOND
elle ajouta : puisque nous manquons de philtre. » Oui, il
n'y a de philtre que dans les œuvres de fiction ; et si l'amour
est impossible, c'est qu'il n'existe que dans les livres. Tout
le malheur des hommes — Vallès l'avait bien montré à
propos de Balzac, — c'est de vouloir jouer dans la vie les
héros de roman. La nature a toujours tort de vouloir
imiter l'art.
Léon Guichard a bien vu, dans sa thèse, tout le parti
que Jules Renard a su tirer de ce décalage entre ce que
l'on ressent effectivement, dans la vie, et ce que l'on
s'imaginait que l'on devait ressentir d'après des souvenirs
de lectures. Il y a, dans son admirable Écornifleur, la
dénonciation de certains schémas romanesques du xixe siè
cle. Prenez la scène de séduction de la femme mariée,
bourgeoisement installée, par le jeune homme ambitieux,
frotté de littérature : autant Julien Sorel avait de l'aplomb,
volait audacieusement à la victoire, autant Henri, soixante
ans après, a perdu de la conviction dans l'expression de
ses sentiments ! Descendra-t-il dans la chambre de
Mme Vernet ? Il attendrait plutôt qu'elle monte dans la
sienne. Elle ne vient pas ? « Quelle femme stupide, mur-
mure-t-il. Ne pouvait-elle m'inviter à la suivre ? Ne
voyait-elle pas que j'en avais envie ? Est-ce qu'elle n'est
pas l'aînée ? Est-ce que je sais, moi, si je dois ou si je
ne dois pas ? » Le même personnage dira, un peu plus
loin, qu'il ne sait « ce qu'il faut éprouver ». Le mot est
profon

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