La Rochefoucauld, d une culture à l autre - article ; n°1 ; vol.30, pg 155-169
16 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

La Rochefoucauld, d'une culture à l'autre - article ; n°1 ; vol.30, pg 155-169

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
16 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1978 - Volume 30 - Numéro 1 - Pages 155-169
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 41
Langue Français

Extrait

Professeur Jean Lafond
La Rochefoucauld, d'une culture à l'autre
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1978, N°30. pp. 155-169.
Citer ce document / Cite this document :
Lafond Jean. La Rochefoucauld, d'une culture à l'autre. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1978,
N°30. pp. 155-169.
doi : 10.3406/caief.1978.1168
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1978_num_30_1_1168LA ROCHEFOUCAULD,
D'UNE CULTURE A L'AUTRE
Communication de M. Jean LAFOND
(Tours)
au XXIXe Congrès de l'Association, le 26 juillet 1977.
Après avoir donné ailleurs à l'augustinisme la meilleure part
dans la conception des Maximes et des Réflexions diverses (1),
je voudrais aujourd'hui tenter de prendre en compte les diverses
« cultures » auxquelles renvoie le texte, les divers « discours »
qui le constituent. Quel que soit en effet son intérêt, le propos
augustinien sur l'amour-propre et sur les vertus ne permet guère
d'assumer l'ensemble du texte, comme le remarquait naguère
Mme Margot Kruse. Et, si l'on admet que le texte assemble dif
férentes nappes de discours, il peut sembler utile de les traiter
séparément pour, s'il est possible, en faire apparaître l'étage-
ment et les articulations. On verrait sans doute ainsi plus nettesi les discours qui se rencontrent ici s'organisent en un
ensemble cohérent ou si leur différence ne fait pas éclater le
sens en une poussière de significations hétérogènes. L'état de la
critique peut le laisser craindre qui, selon qu'elle a porté attention
à telles ou telles maximes, a abouti à des conclusions pour le
moins divergentes.
On peut étudier le champ culturel qu'occupent les Maximes
selon les deux axes de la diachronie et de la synchronie. Même
si, en bonne méthode, chaque approche devait être menée dis
tinctement, diachronie et synchronie apporteraient des éléments
susceptibles de s'éclairer mutuellement. Je n'en prendrai qu'un
exemple. Les notions ď humeurs et at fortune, auxquelles la cri
tique a parfois donné un poids considérable dans l 'argumenta-
il) La Rochefoucauld : Augustinisme et littérature, Paris, Klincksieck, 1977. 156 JEAN LAFOND
tion en faveur d'un La Rochefoucauld « libertin », doivent
être envisagées d'abord comme les survivances de la tradition
culturelle du « long xvie siècle » : les causalités instables, capri
cieuses qu'elles représentent les situent dans cet univers sublu
naire de la cosmologie aristotélicienne que les baroques ont
remis à l'honneur avec la thématique de l'inconstance. Pourt
ant, la diachronie n'est pas seule en cause : la motivation par
les humeurs est l'occasion d'un conflit révélateur entre le
P. Le Moyne et Jansenius. Le Moyne met en garde contre la
sentence de Galien — mores sequuntur temperamentum — qui
peut conduire à un déterminisme physiologique (2). UAugusti-
nus, qui se réfère également à Galien, utilise la formule sans
réserve (3). De Jansenius à Senault et à J. Esprit (4), l'augusti-
nisme porte ainsi à revaloriser une notion en elle-même très
ancienne : entre les deux dangers, d'une liberté humaine trop
indépendante de la grâce et d'un déterminisme susceptible de
nier la liberté, les augustiniens ont choisi le second risque : ils
ont choisi d'aggraver les déterminismes naturels. Que fait
d'autre La Rochefoucauld?
Pour m'en tenir aux limites de cet exposé, je ne m'engagerai
pas dans l'étude diachronique, et je limiterai la synchronie à la
relation qui peut s'instaurer dans le texte entre l'idéologie aristo
cratique et la culture augustinienne. Si j'ai choisi ces deux
formes de culture, c'est que leur coexistence est l'exemple même
des conflits latents qui font peser leur menace sur la cohérence
du texte.
Un exemple suffira : la maxime 24 condamne les héros qui,
« à une grande vanité près [...], sont faits comme les autres
hommes », alors que la maxime 217 fait l'éloge de cette force
d'âme « extraordinaire » qui leur donne de conserver « l'usage
libre de leur raison dans les accidents les plus surprenants et les
plus terribles ». La maxime 24 s'insère dans la critique générale
(2) Le Moyne, Les peintures morales [1™ partie], Paris, 1640. Un long déve
loppement sur ce thème occupe les pages 342 à 399.
(3) Jansenius, Augustinus, Paris, 1641, t. II, p. 108, selon Anthony Levi,
French moralists, Oxford, 1964, p. 239.
(4) Senault, L'homme criminel, Paris, 1665 (lre éd. 1644), p. 520 et L'homme
chrestien, Paris, 1648, p. 12. J. Esprit, De la fausseté des vertus humaines, Paris,
1678, t. I, p. 38-39, et t. I, p. 13, où Esprit allègue Galien pour l'influence de la
bile. ROCHEFOUCAULD D'UNE CULTURE A L'AUTRE 157 LA
du courage, critique augustinienne dont la Logique de Port Royal
présente une version très voisine de celle de La Rochefoucauld
lorsqu'elle dénonce « cette valeur si estimée dans le monde » (5)
(La Rochefoucauld : « cette valeur si célèbre parmi les
hommes »). Et on trouverait chez J. Esprit des expressions très
comparables. A quoi rattacher dès lors la maxime 217, sinon au
modèle mythique du héros, d'un héros supérieur au danger et à
la peur dont serait victime, à sa place, l'homme du commun?
Ce modèle idéal représente bien l'une des pièces maîtresses de
l'idéologie noble puisqu'il sert à justifier, dans l'affrontement
accepté avec la mort, la supériorité du noble sur le roturier.
Le clivage qu'instaure l'éthique noble, cet « orgueil stylisé et
exalté » (Huizinga), s'exprime particulièrement dans les maximes
que J. Starobinski cite à l'appui de ce qu'il appelle une « éthique
de la force » : « grands défauts » des « grands hommes » dans la
maxime 190, éloge de « la force d'être méchant » la 237, condamnation de la faiblesse dans la maxime 445,
supériorité des « grandes âmes » et amoralisme de la maxime
supprimée 31. L'idéologie noble s'exprime encore dans le
mépris affiché pour la modération, la médiocrité, l'absence de
volonté, l'incapacité de soutenir le nom qu'on porte (6). Elle
inspire également la haine de l'avarice, de l'envie, du mensonge,
tous défauts réputés indignes d'une âme bien née. Elle donne
la préférence aux « personnes qui ont de la fermeté », aux
« forts » comme dit Mmc de Sévigné à l'occasion de Mme de
Lafayette et de La Rochefoucauld (7), et aux « habiles gens »
sur les imprudents et les sots qui n'ont pas même « assez d'étoffe
pour être bons ».
Un certain nombre d'idées-forces de l'idéologie nobiliaire
passent ainsi dans les Maximes. L'attitude de l'auteur, ce
« désir de s'élever au-dessus des illusions communes » dont
parle P. Bénichou, son ironie qui frôle parfois le mépris, ne sont
peut-être pas non plus sans rapport avec l'orgueil de caste du
duc et pair. On attribue à Mme de Longueville menacée par les
(5) A. Arnauld et P. Nicole, La logique ou Vart de penser, 1" partie, ch. X
(addition de 1664), éd. L. Marin, Flammarion, 1970, p. 112.
(6) Cf. les maximes 30, 498, 130, 94, etc.
(7) Mme de Sévigné, Lettres, éd. Gérard-Gailly, 1956, t. I, lettre du 27 mai
(1675), p. 722. 158 JEAN LAFOND
foudres royales la jolie formule : « Je n'aime pas les plaisirs
innocents » (8). Son ami La Rochefoucauld n'aime pas davan
tage une écriture innocente : entre la platitude et le risque, c'est,
en tous sens, le risque qu'il ne peut pas ne pas choisir.
Entreprendre dans ces conditions d'adopter les contre-
valeurs de l'augustinisme peut passer pour une trahison du rêve
chevaleresque ou pour une gageure intenable. Comment affirmer
sans équivoque l'absurdité des valeurs du monde quand on croit
encore aux valeurs nobiliaires du sang et du rang? Comment se
rallier à une doctrine qui dénonce dans le héros et dans la
grande âme les produits d'un « intérêt d'honneur et de gloire »
quand on laisse entendre que le héros est toujours admirable?
Les catégories augustini

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents