Les allusions à la vie politique de l Empire dans les tragédies de Sénèque - article ; n°2 ; vol.123, pg 205-220
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Les allusions à la vie politique de l'Empire dans les tragédies de Sénèque - article ; n°2 ; vol.123, pg 205-220

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Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres - Année 1979 - Volume 123 - Numéro 2 - Pages 205-220
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1979
Nombre de lectures 22
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Pierre Grimal
Les allusions à la vie politique de l'Empire dans les tragédies de
Sénèque
In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 123e année, N. 2, 1979. pp. 205-
220.
Citer ce document / Cite this document :
Grimal Pierre. Les allusions à la vie politique de l'Empire dans les tragédies de Sénèque. In: Comptes-rendus des séances de
l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 123e année, N. 2, 1979. pp. 205-220.
doi : 10.3406/crai.1979.13596
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1979_num_123_2_13596TRAGÉDIE ET POLITIQUE CHEZ SÉNÈQUE 205
COMMUNICATION
LES ALLUSIONS À LA VIE POLITIQUE DE L'EMPIRE
DANS LES TRAGÉDIES DE SÉNÈQUE,
PAR M. PIERRE GRIMAL, MEMBRE DE L'ACADÉMIE.
Les tragédies de Sènéque nous restent très mystérieuses : outre
leur esthétique étrange, leur grandiloquence, leur caractère statique,
qui les mettent à part dans l'histoire du théâtre, elles nous appa
raissent isolées dans l'œuvre de leur auteur, et l'on ne sait à quels
moments de sa vie elles ont pu être composées. Ont-elles été écrites
vers le même temps, à peu de distance l'une de l'autre, ou bien à
des dates éloignées, et dans des circonstances différentes ? Le
problème de leur chronologie continue de se poser1. Mais ce n'est
pas lui que nous aborderons directement dans cette étude, même
s'il nous semble possible d'apporter, indirectement, quelques él
éments susceptibles de contribuer à sa solution. Nous voulons aujour
d'hui nous demander quels échos l'on peut y entendre de la vie poli
tique contemporaine — cette vie à laquelle, sous les règnes de
Tibère, de Caligula, de Claude et de Néron, Sénèque se trouva plus
ou moins directement mêlé.
A priori, l'on peut douter que ces tragédies, inspirées de pièces
grecques, et de sujets connus, fixés depuis longtemps, se soient
prêtées à des allusions concernant l'actualité politique romaine.
Assurément, il n'est pas question de soutenir que tel ou tel person
nage, Atrée, Thyeste, Oedipe ou Hercule ait servi de masque à un
empereur ou à quelque homme d'État contemporain. Il serait
assurément ridicule de considérer les tragédies de Sénèque comme
des pièces « à clef ». Tout s'oppose à cette hypothèse, qui n'a même
pas besoin d'être discutée. Les allusions possibles, s'il y en a, devront
être plus subtiles. Certes, les sujets eux-mêmes sont traditionnels,
mais il apparaît à la simple lecture, que l'environnement hellénique
dans lequel ils sont présentés n'est pas celui de la légende grecque :
le plus souvent, cet environnement est décidément romain. Les
pays évoqués ne sont pas toujours ceux que l'on attendrait si Sénèque
s'était conformé à la tradition. Mais, en fait, il y est question du
Baetis, des lions de l'Afrique, des bœufs lucaniens, et de peuples
ignorés des poètes grecs classiques ; des peuples et des pays qui ne
sont entrés dans les œuvres littéraires qu'avec le développement
1. Y., en dernier lieu, Marc Rozelaar, Seneca, Amsterdam 1976, p. 539-548. COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS 206
de l'empire romain. L'image du monde dans les tragédies de Sénèque
est celle que porte en lui un Romain de son temps. Il est difficile
de penser que ce soit là simple inadvertence du poète et anachro
nisme maladroit : ce parti-pris, qui nous surprend, correspond
assurément à un dessein délibéré. Un dessein dont il convient sans
doute de se demander la raison.
Et d'abord, à eux seuls, ces anachronismes géographiques nous
inviteraient à chercher s'il n'existe pas d'autres harmoniques
romaines dans ces poèmes, mais il s'y ajoute une autre considération.
Les historiens de cette époque nous apprennent en effet que les
auteurs tragiques ne répugnaient pas, alors, à mettre dans la bouche
de leurs personnages des maximes de caractère politique en rapport
avec l'actualité. C'est ainsi que Mamercus Aemilius Scaurus, au
dire de Dion Cassius, fut contraint par Tibère de se suicider parce
qu'il avait conseillé à l'un de ses personnages de « supporter le
manque de décision du prince ». Tibère se crut visé et répondit
« qu'il ferait de Mamercus un Ajax »2. La tragédie de Mamercus
Scaurus était un Atrée. Suétone, lui, parle d'un poète qui, sous le
même Tibère, se vit reprocher des vers à double sens dans un Aga-
memnon3. Et, si l'on remonte le cours des temps, on s'aperçoit bien
vite que, déjà sous la République, le public était prompt à saisir
et interpréter malignement tous les vers qui pouvaient s'appliquer
à un homme ou à une situation qui défrayaient alors la chronique.
Il semble même que ce fût là comme une fonction du théâtre,
tragique aussi bien que comique : le poète se préoccupe d'instruire
et de conseiller le peuple — comme le rappelle Horace dans Y Art
poétique*. Il n'est donc pas contraire à la vraisemblance de penser
que les tragédies de Sénèque ont sacrifié à cette tradition, surtout
si l'on se souvient que l'une des maximes fondamentales du stoi-
cisme voulait que chaque homme aspirant à la sagesse « servît »
le genre humain5. Nous nous demanderons donc par quels moyens
et dans quelle mesure Sénèque a suivi ce conseil de ses maîtres, en
s'efforçant de placer dans la bouche de ses personnages des propos
susceptibles de donner aux auditeurs des leçons utiles.
On pourrait peut-être objecter que ces pouvaient se pré
senter de manière intemporelle, et ne pas concerner la vie politique :
n'est-ce pas ce qu'il faisait dans des Dialogues comme ceux qu'il
adressait à son beau-père (le De breuitate uitae) ou à son ami Serenus
(le De tranquillitate animi), ou encore dans les Lettres à Lucilius ?
Mais ce qui est vrai des Dialogues et des de caractère
2. Cassius Dio LVIII, 24,4 et suiv. (34 ap. J.-C) ; Tacite, Ann. XI, 29,3.
3. Suétone, Tib. 61, 10.
4. Art poétique, v. 341-346.
5. P. Grimai, Sénèque ou la coœiienee de l'Empire, Paris 1978, p. 135 et suiv. TRAGÉDIE ET POLITIQUE CHEZ SÉNÈQUE 207
privé, ne l'est pas des tragédies. On ne saurait oublier en effet
que le genre tragique, par lui-même, conduit le poète à poser,
qu'il le veuille ou non, des problèmes relatifs à l'exercice du pouvoir.
Ce ne sont, dans le répertoire des sujets hérités de la Grèce, que
tyrans abusant de leur sceptre, rois dépossédés par quelque incident
de Fortune, chefs d'armée en guerre, prétendants essayant de
conquérir un trône. Par essence, la tragédie est de caractère poli
tique — tandis que la comédie est « bourgeoise » et ne concerne
que les particuliers. Or nous savons que Sénèque, avant même de
participer directement au gouvernement de l'Empire, s'est préoccupé
des affaires publiques. Nous voyons qu'il l'a fait dans les Consolations,
dans le De ira, dans le De clementia6 : il s'interroge sur la nature de
la monarchie, ses dangers, les limites légitimes de l'autorité royale.
Les tragédies le ramenaient à des préoccupations de même nature.
Il n'est donc pas étonnant que le poète, traitant les sujets tradi
tionnels dans une ambiance volontairement romanisée, ait été
amené à aborder, au moins allusivement, des problèmes de l'actual
ité politique ou, plus généralement, des inhérents à
toute royauté. Quelques sondages opérés dans les tragédies elles-
mêmes vont, nous l'espérons, confirmer cette hypothèse.
Et d'abord l'allusion la plus certaine. Il se trouve que, dans le
Thyeste, Sénèque s'est inspiré, sans contestation possible, d'une
situation réelle : les événements qui se déroulèrent, en 35 et 36
ap. J.-C, sous le gouvernement de Tibère, et qui eurent pour
théâtre l'Arménie. Le chœur, évoquant la véritable royauté, celle
que possède seule le mens bona, l'esprit en paix avec lui-même,
s'écrie :
« même si se coalisaient les rois qui gouvern

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