Marivaux et Malebranche - article ; n°1 ; vol.25, pg 141-160
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1973 - Volume 25 - Numéro 1 - Pages 141-160
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1973
Nombre de lectures 47
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Henri Coulet
Marivaux et Malebranche
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1973, N°25. pp. 141-160.
Citer ce document / Cite this document :
Coulet Henri. Marivaux et Malebranche. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1973, N°25. pp. 141-
160.
doi : 10.3406/caief.1973.1029
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1973_num_25_1_1029)Ч\
MARIVAUX ET MALEBRANCHE
, f Communication .' , {Aix-èn-Provénce) de M. Henri COULET '
au XXIVe Congrès de l'Association, le 25 juillet 1972. \
. En appelant Blectrue le meneur de jeu de l'Ile de la
Raison, Marivaux a posé une petite énigme à ses comment
ateurs. Selon une hypothèse d'Oscar A.. Haac,' signalée
par F. Deloffre {Théâtre complet de Marivaux, Paris, t. I,
p. 582, n. 3), Blectrue transposerait la prononciation
anglaise de Blictri, mot employé par John Toland pour
désigner quelque chose dont on n'aurait aucune idée. Mais
Toland avait emprunté Blictri aux Entretiens sur la méta
physique de Malebranche (IIe Entretien) : « II est certain
que vous voyez [l'infini en lui-même] ; car autrement
quand vous me demandez s'il y a un Dieu, où un être infini,
vous me feriez une demande ridicule par une proposition
dont vous n'entendriez pas les termes. C'est comme si
vous me demandiez s'il y a un Blictri, c'est-à-dire une telle
chose, sans savoir quoi », et Malebranche explique Blictri
en note : « C'est un terme qui ne réveille aucune idée ».
Mais Blectrue est un sage ingénieur des âmes, Blictri n'est
qu'un flatus vocis, les deux termes n'ont aucun contenu
commun. Si la rencontre n'est pas un pur hasard, si vra
iment Blectrue a été suggéré à Marivaux par le Blictri de
Malebranche (mais on peut imaginer d'autres hypothèses),
il faut admettre que l'écrivain en quête d'un nom bizarre
pour un personnage d'utopie s'est laissé guider par une
réminiscence verbale ou auditive. Encore conviendrait-
il d'expliquer cette réminiscence elle-même : elle peut avoir
des causes inconscientes qu'il ne m'appartient pas de psycha- Î42 HENRI COULET
nalyser, elle peut aussi venir de ce que Marivaux, sans la
concevoir peut-être clairement, sentait une ressemblance
entre la morale professée par Blectrue, morale de la raison
et de la lucidité, et certains aspects de la de Male-
branche.
Le rapprochement entre Malebranche et Marivaux
avait été fait dès le xviii6 siècle par l'abbé Trublet dans
ses Mémoires pour servir à l'histoire de la vie et des ouvrages
de M. de Fontenelle et par d'Alembert dans son Éloge de
Marivaux. Toute une page de la vingt et unième feuille
du Spectateur français semble un résumé de la doctrine de
Malebranche selon qui l'âme s'ignore elle-même : « Laissez
à certains savants, je veux dire aux faiseurs de systèmes,
à ceux que le vulgaire appelle philosophes, laissez leur
entasser méthodiquement visions sur visions en raisonnant
sur la nature des deux substances, ou sur choses pareilles.
A quoi servent leurs méditations là-dessus, qu'à multiplier
les preuves que nous avons déjà de notre ignorance invin
cible ? Nous ne sommes pas dans ce monde en situation
de devenir savants [... ] De la manière dont nous les igno
rons [les mystères de notre existence], il est aussi
peu possible de les nier que de les comprendre ; et ne pou
voir les nier, c'est en connaître ce qu'il nous faut pour
en craindre le nœud, et pour prendre garde à nous. Voilà
où nous en sommes ; ne nous révoltons point contre cette
admirable économie de lumière et d'obscurité que la
sagesse de Dieu observe en nous à cet égard-là ; en un
mot, ne cherchons point à nous comprendre ; ce n'est pas
là notre tâche » (Journaux et Œuvres diverses, éd. F.
Deloffre et M. Gilot, Paris, 1969, p. 232-233). Sans doute
un accent pascalien se fait aussi entendre dans ce passage
(comme d'ailleurs souvent chez Malebranche lui-même),
et surtout l'intention générale est assez différente de
celle qu'on trouverait chez ou Pascal :
« Interrogeons les hommes » [pour savoir quelle est notre
tâche], « Soyons bons et vertueux, on apprend si ais
ément à le devenir », le « contrat de justice » réciproque
est une « loi de bon sens universelle », tous ces arguments MARIVAUX ET MALEBRANCHE 143
d'intérêt bien compris et de solidarité humaine affaiblis
sent le caractère divin de l'idée de justice et la valeur
absolue de la voix de la conscience. Mais ce caractère divin
et cette valeur absolue n'en sont pas moins affirmés et de
nombreux autres traits, qui pris isolément peuvent se trou
ver chez d'autres , apologistes ou d'autres philosophes,
prouvent par leur réunion en faisceau et quelquefois par
leur formulation même que Marivaux connaissait très
familièrement l'œuvre de Malebranche. L'attaque contre
les savants et les philosophes, contre leur orgueil et leur
vaine curiosité, est très fréquente chez Malebranche, qui
dénonce « les abstractions déréglées de l'esprit », « toute
cette philosophie abstraite et chimérique » {Recherche,
livre III, 2e Partie, ch. 8), les (c connaissances vaines et
infructueuses » (livre IV, ch. 7), les « fictions » que les philo
sophes n'ont inventées « que pour flatter leur orgueil et
couvrir leur ignorance » {Méditations chrétiennes, I, X).
« Les hommes ne sont pas nés pour devenir astronomes ou
chimistes », disait encore Malebranche {Recherche, Préface).
L'affirmation que la loi de justice est uniforme, univers
elle, présentée à la conscience de tous les hommes par
« la raison ou Dieu même », comme dit ici Marivaux, est
naturellement aussi chez Malebranche : « Tous [tous les
peuples ] entendent la voix de la vérité, qui nous ordonne
de ne point faire aux autres ce que nous ne voulons pas
qu'on nous fasse » {Entretiens sur la Métaphysique, III) ;
l'amour de l'ordre est « une loi écrite en caractère ineffa
çables. C'est le Verbe divin, objet naturel et nécessaire
de toutes les pensées et de tous les mouvements des
esprits » {Traité de Morale, I, ch. III, XIV). Un peu plus
loin dans le même passage, Marivaux (ou l'Inconnu dont
il fait son porte-parole) déclare qu'il veut rendre l'homme
« attentif » à sa conscience et le mot rappelle l'une des
idées les plus chères à Malebranche, qui ne cesse d'inciter
l'homme à l'attention pour que les évidences inscrites
dans son âme ne soient pas obscurcies par des préjugés ou
des perceptions confuses, et pour que le sentiment inté
rieur, la vérité intérieure se fasse entendre : voir le livre IV, HENRI COULET 144
«Delà méthode », dans La Recherche de la vérité, et de nomb
reuses pages du Traité de morale. '. Cette attention doit
aller jusqu'à la défiance, le mot revient souvent chez Male-
branche, et quand l'Inconnu de Marivaux nous invite à
« prendre garde à nous », il répète la parole du Christ à
Malebranche, dans les Méditations chrétiennes (III; XXIII),
où il est rappelé que les anciens Philosophes ont péri pour
avoir fait servir à leur ambition et à leur orgueil les lu
mières qu'ils avaient reçues de Dieu : « Ainsi prends garde
à toi ». Enfin, si l'homme est ici-bas condammé à l'igno
rance de lui-même, « l'envie que nous avons de nous con
naître n'est sans doute qu'un avertissement que nous
connaîtrons un jour», dit encore Marivaux, faisant écho (en
la déformant) à cette autre parole prêtée pať Malebranche
à Jésus : « Sache donc que tu n'es que ténèbres, que tu ne
peux te connaître clairement en te considérant, et que
jusqu'à ce que tu te voies dans ton Idée ou dans celui qui
te renferme toi et tous les êtres d'une manière intelligible,
tu seras inintelligible à toi-même ! » (Méditations Chrétien
nes, I, XXVIII). -...-;•'». •
Mais plusieurs de ces idées sont trop courantes dans la
théologie et dans la morale chrétiennes pour qu'on puisse
assurer que Marivaux les doive à Ma

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