Quelques réflexions sur le style comique de Molière - article ; n°1 ; vol.16, pg 219-233
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1964 - Volume 16 - Numéro 1 - Pages 219-233
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1964
Nombre de lectures 46
Langue Français

Extrait

Richard Sayce
Quelques réflexions sur le style comique de Molière
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1964, N°16. pp. 219-233.
Citer ce document / Cite this document :
Sayce Richard. Quelques réflexions sur le style comique de Molière. In: Cahiers de l'Association internationale des études
francaises, 1964, N°16. pp. 219-233.
doi : 10.3406/caief.1964.2472
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1964_num_16_1_2472RÉFLEXIONS QUELQUES
SUR LE STYLE COMIQUE DE MOLIÈRE
Communication dels/l. R. SAYCE
{Oxford)
au XVe Congrès de Г 'Association, le 27 juillet 1963.
Tout le monde, ou peu s'en faut, est d'accord pour trouver
que Molière n'a pas de style. On pourrait citer par exemple
le paradoxe de Mornet :
La grandeur, l'étonnante puissance du style de Molière, c'est
qu'il n'a pas de style (1).
ou encore M. Garapon :
On répète communément que Molière n'a pas de style propre,
mais prend le style de chacun de ses personnages (2).
Je suis loin de vouloir m'inscrire en faux contre ces affirmat
ions, que je serai amené plutôt à étayer. Il est pourtant loi
sible de se demander si, derrière les variations des procédés,
il n'y a pas au moins un commencement d'unité.
Mais reconnaissons tout d'abord avec M. Garapon et
M. Fromilhague (3) que le style de Molière, homme de
(1) Molière, Paris, Boivin, 1943, p. 183.
(2) « La langue et le style des différents personnages du Bourgeois
gentilhomme », Le Français moderne, XXVI, 1958, p. 103.
(3) R. Fromilhague, « Style et psychologie dans \ École des Femmes »,
Bulletin de V Université de Toulouse, 69, i960, pp. 518-521. ,
RICHARD SAYCE 22О
théâtre avant tout, . s'adapte tour à tour à ses personnages,
épouse ■■ leur pensée, leur manière de voir, de vivre et de
s'exprimer. Il n'y a pas de commune mesure, à ce qu'il paraît,
entre le caractère entier de Mme Pernelle avec ses proverbes
et ses expressions populaires :
Mais il n'est, comme on dit, pire eau que Veau qui dort (4)
Je suis toute ébaubie, et je tombe des nues (5) !
et le langage onctueux, visqueux même, de Tartuffe :
Que le ciel à jamais par sa toute bonté
Et de l'âme et du corps vous donne la santé,
Et bénisse vos jours autant que le désire ,
Le plus humble de ceux que son amour inspire (6).
Cette viscosité ne se fonde pas sur une simple impression : on
remarquera la multiplication des et, le superlatif le : plus
humble (exagération qui jure avec l'humilité), l'emploi un
peu insolite de sa toute bonté (7), tiré de la langue de la dévot
ion, les subjonctifs qui insinuent adroitement . les exagéra
tions voilées. Le personnage, bien entendu, , est autrement
complexe que celui de Mme Pernelle, mais le principe reste
le même : - chaque mot, chaque tournure, chaque construc
tion sert à exprimer non pas l'auteur mais un : personnage
ayant . une existence autonome. D'une façon plus nuancée
on peut faire une constatation pareille même dans des cas où
deux personnages parlent à peu près dans le même registre, ,
comme Arsinoé et Célimène dont les tirades se calquent l'une
sur l'autre. Les paroles de Célimène sont d'une parfaite
netteté, faisant apercevoir un fond 'de franchise malgré ses
coquetteries :
Et moi, je ne sais pas, Madame, aussi pourquoi
On vous voit, en tous lieux, vous déchaîner sur moi.
Faut-il de vos chagrins, sans cesse à moi vous prendre ?
Et puis-je mais des soins qu'on ne va pas rendre (8) ?
(4) Tartuffe, 23. Les citations sont tirées de l'édition des Grands Écri
vains de la France.
(5)18 14.
(6) Ibid., 879-82.
(7) Littré ne donne que ce seul exemple.
(8) Le Misanthrope, 991-4. .
SUR LE STYLE COMIQUE DE MOLIÈRE 221 RÉFLEXIONS
Les réponses d'Arsinoé, par contre, s'embourbent dans des
complications syntaxiques dont on perd aisément le fil :
Ce que de plus que vous on en pourroit avoir
N'est pas un si grand cas pour s'en tant prévaloir ;
Et je ne sais pourquoi votre âme ainsi s'emporte,
Madame, à me pousser de cette étrange sorte (9).
Tout, dans sa manière de s'exprimer, reflète le biaisement
et la mauvaise foi...
Les exemples de ce style individuel des personnages sont:
innombrables et il est inutile d'insister. Ce qui complique
encore les choses, et qu'il ne faut jamais perdre de vue, c'est
que ces personnages n'évoluent pas dans le vide ; à chaque
instant ils subissent la. pression de ceux qui les entourent et.
de la situation générale, et ceci vaut j aussi bien pour, le style
que pour la t psychologie. Prenons d'abord i un cas simple,
l'ellipse du verbe, comme dans les commandements \ du
maître d'armes :
Votre corps droit. Un peu penché sur la cuisse gauche. Les
jambes point tant écartées. Vos pieds sur une même ligne. -Votre :
poignet à l'opposite de votre hanche (10)...
ou î encore mieux dans les plaintes essoufflées de Pourceau-
gnac :
Des médecins habillés de noir. Dans une chaise. Tâter le pouls...
Deux gros joufflus. Grands chapeaux... Six Pantalons. ... Apothic
aire. Lavement (11).
Le procédé est le même dans les deux cas, ce qui a son im
portance, mais il est évident que nous ne sommes pas en pré
sence d'une constante du style de Molière ni même des per
sonnages en question. Ce télescopage tout à fait . exception
nel répond à la situation du moment, pour le maître d'armes
la nécessité . de guider sur-le-champ chaque mouvement , de
M. Jourdain, pour M. de Pourceaugnac . le souvenir d'une
(9) Ibid., 987-90.
(10) Le Bourgeois gentilhomme, II, ii.
(n) Monsieur de Pourceaugnac, II, iv. . ;

RICHARD SAYCE 222
vision de cauchemar. D'ailleurs un seul procédé sert ici à des
fins exactement contraires, exprimant chez le maître d'armes
la domination, chez M. de Pourceaugnac le désarroi. Dans
les deux cas l'effet comique est d'une grande puissance, qui
provient de notations prises sur le vif, car c'est ainsi que
pourraient parler de tels personnages dans des circonstances-
pareilles. Pourtant on aperçoit en plus une volonté de symét
rie formelle, une légère exagération, qui permet de dépasser
la i nature. C'est ce qui résulte surtout des bouts de phrases
que je n'ai pas cités, avec leur triple répétition :
Prenez, Monsieur, prenez, prenez. Il est bénin, bénin, bénin.
C'est pour déterger, pour déterger, déterger.
Cependant il ne s'agit toujours que d'un seul personnage.
Passons aux cas où l'on peut voir l'effet réciproque de deux
interlocuteurs. La verve populaire du pâtre Lycarsis dans
Mélicerte : paraît bien affadie en comparaison ; des bouffons
des farces ou : même \ des t bourgeois ; ou- des domestiques des
grandes comédies :
Comment > ? à quel orgueil, fripon, vous vois-je aller ?
Est-ce de la façon que l'on me doit parler (12) ?
Mais elle n'en tranche pas moins, en lui ajoutant un certain
relief, sur le ton uniformément noble de Myrtil, comme des
autres bergers prétendus :
Eh bien ! vous triomphez avec cette retraite,.
Et dans ces mots votre âme a ce qu'elle souhaite ;
Mais apprenez qu'en vain vous vous réjouissez... (13).
Un contraste semblable se fait. voir, mais avec bien plus
de force, dans la grande tirade de Chrysale et les répliques
de Philaminte et de Bélise. Les expressions dont se sert
Chrysale, comme brimborions, tympanisées,\ billevesées,, le
timbre un peu fêlé (14), appartiennent au langage familier et
presque à l'argot. Les réponses :
(12) Mélicerte, 509-10.
(13) Ibid., 503 -s.
(14) Les Femmes savantes, 567, 61 1-4. réflexions sur le style comique de molière 233;
Philaminte :
Quelle bassesse, ô Ciel, et d'âme et de langage !
BÉLISE
Est-il de petits corps un plus lourd assemblage !
Un esprit composé d'atomes plus bourgeois (15) !
font, cela va de soi, la constatation des traits de style et de"
caractère que le lecteur ou le spectateur a déjà remarqués
lui-même. Mais elles les font paraître sous un jour nouveau, ,
non pas comme l'expression du bon sens mais comme celle
de la grossièreté d'un esprit borné, et ceci se manifeste dans ;
le ton précieux . ou pseudo-savant des , deux bel

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