Le paradis terrestre se trouvait-il à l Équateur ? - article ; n°1 ; vol.135, pg 135-144
11 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Le paradis terrestre se trouvait-il à l'Équateur ? - article ; n°1 ; vol.135, pg 135-144

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
11 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres - Année 1991 - Volume 135 - Numéro 1 - Pages 135-144
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1991
Nombre de lectures 41
Langue Français

Extrait

Monsieur Jean Delumeau
Le paradis terrestre se trouvait-il à l'Équateur ?
In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 135e année, N. 1, 1991. pp. 135-
144.
Citer ce document / Cite this document :
Delumeau Jean. Le paradis terrestre se trouvait-il à l'Équateur ?. In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, 135e année, N. 1, 1991. pp. 135-144.
doi : 10.3406/crai.1991.14945
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1991_num_135_1_14945* I
COMMUNICATION
LE PARADIS TERRESTRE SE TROUVAIT-IL À L'EQUATEUR ?
PAR M. JEAN DELUMEAU, MEMBRE DE L'ACADÉMIE
Après avoir longuement traité dans trois ouvrages successifs de la
peur et du sentiment de sécurité, considérés comme « objets histo
riques », je m'occupe maintenant de la place que le paradis terrestre
a tenue dans les préoccupations et l'imagination des Occidentaux
avant les remises en cause des « Lumières ».
Le Moyen Âge, de façon presque générale, estima avec saint Thomas
d'Aquin que le paradis terrestre, interdit depuis le premier péché,
subsistait toujours sur notre terre. Beaucoup de cartes médiévales
lui faisaient une place dans l'Orient lointain et, pour cette raison,
plaçaient l'Est en haut. La Renaissance puis l'âge classique abandon
nèrent progressivement cette géographie paradisiaque. En revanche,
plus que jamais, les érudits tentèrent de situer au plus près l'endroit
où Dieu avait planté le jardin d'Eden et leur érudition s'efforça d'él
iminer les localisations fantaisistes.
Luther et le poète Du Bartas eurent beau avertir qu'« il est vain
de demander aujourd'hui où se trouvait et ce qu'était ce jardin
(d'Eden)1 », ils n'empêchèrent pas de très nombreux « curieux » de
rechercher « en quel lieu ce parterre fut fait des mains propres de
Dieu2 ». La plupart des commentateurs de la Genèse jugèrent
comme Calvin que, même si « notre héritage éternel... est au ciel...,
il nous faut arrêter le pied en terre » pour considérer « le logis dont
Dieu a voulu que l'homme usât en son temps3 ». Le jésuite Fran
cisco Suarez (t 1 6 1 7) était le porte-parole de beaucoup de théologiens
et d'exégètes lorsqu'il affirmait que la connaissance du paradis ter
restre nous est « nécessaire » pour comprendre « tout ce que l'Écriture
nous dit du statut de l'humanité avant le péché4 ». La recherche
passionnée de l'endroit où se trouvait le jardin des délices était donc
légitime et souhaitable. Mais elle était, en outre, possible. Car, écri
vait Raleigh, « bien que le jardin lui-même ne puisse pas être trouvé,
le déluge et les autres accidents de l'histoire ayant réduit le pays
1. Luther, « Commentaire du livre de la Genève », dans Œuvres, Genèse, Labor et
Fides, 1975, t. XVII, p. 94.
2. Du Bartas, La Deuxième semaine, V, v. 125-126.
3. Calvin, Commentaires sur l'Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 1961, p. 48.
4. Fr. Suarez, Opéra omnia, éd. Vives, Paris, 1856 : III, p. 198. 136 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS
d'Eden à l'état de champ et de pâturages ordinaires, néanmoins le
lieu reste le lieu et ses rivières demeurent les mêmes5 ».
L'historien Joseph Duncan, qui a étudié de façon exhaustive les
sources de Milton, constate judicieusement qu'aux xvie et
xviie siècles, « la localisation du paradis terrestre a plus attiré l'atten
tion (des spécialistes) que n'importe quelle autre question le concer
nant6 ». Se penchant sur ce sujet, la science du temps ne se contenta
pas d'évacuer l'interprétation allégorique de Philon et d'Origène et
les localisations fantaisistes médiévales à proximité de la lune ou au-
delà de l'océan circulaire. Elle passa au crible de la critique d'autres
hypothèses géographiques, anciennes, réactualisées ou récentes, qui
parurent en contradiction avec la lettre du texte sacré ou avec la
nouvelle connaissance du monde issue des grandes découvertes.
Il faut donc évoquer ici l'hypothèse « équatoriale ». Celle-ci, avan
cée par Tertullien7, fut rappelée par saint Thomas d'Aquin qui écri
vit, prudemment toutefois, dans la Somme théologique : «... Il faut penser
que le paradis a été placé en un lieu très tempéré, soit sous l'équateur,
soit ailleurs8. » Saint Bonaventure et Durand de Saint-Pourçain
(tl334) sont en revanche plus catégoriques. Le premier affirme qu'au
paradis terrestre « la chaleur est tempérée à cause de la pureté de l'air
et qu'il y règne une grande égalité des saisons par la proximité de
l'équateur9 ». Pour lui en effet le « paradis » est situé en Orient et
il jouxte la ligne équinoxiale, penchant légèrement vers le midi. Durand
de Saint-Pourçain10, dans ses Commentaires des sentences de Pierre
Lombard et Jean de Gênes à l'article « Paradisus » de son Catholicon
(achevé en 1288)11 adhèrent à cette opinion qui s'accordait avec l'att
irance que les régions chaudes de l'Asie — Inde ou Ceylan — exer
çaient sur l'imagination des Occidentaux du Moyen Âge.
En sens contraire Roger Bacon (tl292), tout en admettant que la
région équatoriale est « tempérée », ne croit pas qu'elle soit « très
tempérée ». « Aussi n'est-il pas certain que le paradis (terrestre) doive
se trouver ici12. » A son tour Pierre d'Ailly, dans son Ymago mundi,
après discussion et hésitations, se rallie au sentiment de Roger Bacon
5. W. Raleigh, The History of the World, 2 vol.. Oxford, 1829 : II, p. 78-79.
6. J. Duncan, Mikon's Earthly Paradise. A Historical Study ofEden, Univ. of Minnesota
Press, 1972, p. 99.
7. Tertullien, « Apologetica XL VII et contra Marcion », II, P.L., Patr. Lat., I, c. 520
et II, c. 288.
8. Thomas d'Aquin, Somme théologique, la, qu. 102, art. 2 (éd. du Cerf, 11, p. 281).
9. Bonaventure, « Commentaria in quatuor libros sententiarum », dans Opéra omnia,
Quarachi, 1885 : II, p. 408.
10. Durand de Saint-Pourçain, In Sententias theologicas Pétri Lombardi commentariorum
libri quatuor, Lyon, 1586, 1. II, dist. 17, p. 361.
11. Pierre d'Ailly, éd. Buron, Ymago mundi, III, p. 647.
12. Cité dans Ibid., id. (Cf. R. Bacon, Opus majus, 4e partie, dist. 2, ch. 4, éd. de 1733,
p. 83.) LE PARADIS TERRESTRE SE TROUVAIT-IL À L'EQUATEUR ? 1 37
et « déduit que sous l'équateur le climat n'est pas absolument tem
péré. Il n'y a donc pas d'apparence que le paradis terrestre y soit
placé, puisqu'il doit jouir des conditions les plus tempérées13 ».
h'Historia rerum ubique gestarum de Pie II, quant à elle, met « en
doute » la possibilité d'un habitat humain à l'équateur14 et donc la
pertinence d'une localisation du paradis terrestre dans cette région.
En sens inverse, il est révélateur que Christophe Colomb, par ai
lleurs grand lecteur et admirateur de Pierre d'Ailly et de Pie II, se
soit séparé d'eux sur le point qui nous occupe ici. En face du passage
de Pie II qu'on vient de citer, il note : « Le contraire est démontré
au Sud par les Portugais, au Nord par les Anglais et les Suédois
qui naviguèrent en ces parties du monde15. » Plus loin, comment
ant toujours Pie II, Christophe Colomb revient sur le sujet en ces
termes : « Ératosthènes dit que le climat est très tempéré sous le cercle
équatorial ; et Avicenne aussi... Le fort de la Mine (Mina) du Séré-
nissime roi du Portugal est perpendiculairement situé sous la ligne
équatoriale. Nous l'avons vu16. » Pour Christophe Colomb l'expé
rience prouvait donc le caractère habitable des zones équatoriales.
C'est pourquoi il crut que le golfe de Paria, découvert par lui au
cours de son troisième voyage, constituait le chemin, interdit peut-
être, mais le chemin tout de même, du paradis terrestre.
Il écrivit à ce propos :
«Je ne prétends pas (...) qu'il soit possible d'y arriver jamais (au paradis
terrestre) ; mais je crois que c'est là (en amont du golfe de Paria) que se
trouve

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents