Du contrat à la transmission. Le simultané et le successif - article ; n°3 ; vol.96, pg 453-475

François Ost

Description

Revue Philosophique de Louvain - Année 1998 - Volume 96 - Numéro 3 - Pages 453-475
Today the idea of extending the political community to future generations imposes itself. However, two major cultural obstacles render improbable the effective recognition of responsibilities towards the future inhabitants of our planet. On the one hand, there is the «contractualist» obstacle, which characterizes the dominant theories of justice at the present time, theories which conceive obligations only among subjects approximately equal and engaged in synallagmatic relationships of exchange, although what we are dealing with here is the enlargement of the ethical community to subjects to come, in regard to whom we are in an assymetrical relationship. On the other hand, there is the «temporal myopia» of our era, which is translated both by amnesia in regard to the past and an incapacity to fit ourselves into a meaningful future. The present study is devoted to a discussion of these obstacles setting out from the idea of transmission. (Translated by J. Dudley).
L'idée s'impose aujourd'hui d'élargir la communauté politique aux générations futures. Deux obstacles majeurs rendent cependant improbable la reconnaissance effective de responsabilités à l'égard des futurs habitants de la planète. Il s'agit, d'une part, de l'obstacle «contractualiste» qui caractérise les théories de la justice aujourd'hui dominantes, des théories qui ne conçoivent d'obligations qu'entre sujets approximativement égaux et engagés dans des rapports d'échange synallagmatiques, alors qu'il est question ici d'élargir la communauté éthique à des sujets à venir à l'égard desquels nous sommes dans une relation asymétrique. Il s'agit d'autre part de la «myopie temporelle» de notre époque, qui se traduit à la fois par une amnésie à l'égard du passé et une incapacité de nous inscrire dans un futur sensé. C'est à une discussion de ces obstacles à partir de l'idée de transmission que s'attache la présente étude.
23 pages

Sujets

• Philosophie et théologie

Informations

• Publié par: REVUE_PHILOSOPHIQUE_DE_LOUVAIN
• Publié le: 01 janvier 1998
• Nombre de lectures: 17
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

François Ost
Du contrat à la transmission. Le simultané et le successif
In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 96, N°3, 1998. pp. 453-475.
Abstract
Today the idea of extending the political community to future generations imposes itself. However, two major cultural obstacles
render improbable the effective recognition of responsibilities towards the future inhabitants of our planet. On the one hand, there
is the «contractualist» obstacle, which characterizes the dominant theories of justice at the present time, theories which conceive
obligations only among subjects approximately equal and engaged in synallagmatic relationships of exchange, although what we
are dealing with here is the enlargement of the ethical community to subjects to come, in regard to whom we are in an
assymetrical relationship. On the other hand, there is the «temporal myopia» of our era, which is translated both by amnesia in
regard to the past and an incapacity to fit ourselves into a meaningful future. The present study is devoted to a discussion of
these obstacles setting out from the idea of transmission. (Translated by J. Dudley).
Résumé
L'idée s'impose aujourd'hui d'élargir la communauté politique aux générations futures. Deux obstacles majeurs rendent
cependant improbable la reconnaissance effective de responsabilités à l'égard des futurs habitants de la planète. Il s'agit, d'une
part, de l'obstacle «contractualiste» qui caractérise les théories de la justice aujourd'hui dominantes, des théories qui ne
conçoivent d'obligations qu'entre sujets approximativement égaux et engagés dans des rapports d'échange synallagmatiques,
alors qu'il est question ici d'élargir la communauté éthique à des sujets à venir à l'égard desquels nous sommes dans une
relation asymétrique. Il s'agit d'autre part de la «myopie temporelle» de notre époque, qui se traduit à la fois par une amnésie à
l'égard du passé et une incapacité de nous inscrire dans un futur sensé. C'est à une discussion de ces obstacles à partir de l'idée
de transmission que s'attache la présente étude.
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Ost François. Du contrat à la transmission. Le simultané et le successif. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série,
Tome 96, N°3, 1998. pp. 453-475.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1998_num_96_3_7101Du contrat à la transmission
Le simultané et le successif
Une des difficultés majeures de la protection de l'environnement
tient à l'articulation d'échelles temporelles différentes: temporalité
courte, voire très courte, des échéances politiques et des prévisions juri
diques, temporalité longue, voire très longue, des cycles et processus
écologiques. L'idée s'est pourtant imposée maintenant que la sauvegarde
du milieu s'inscrit dans le long terme, entraînant des modifications
importantes de nos paradigmes: l'économiste apprend à raisonner en
termes de développement durable, le juriste parle de transmission de
patrimoine, le moraliste évoque une responsabilité à l'égard des générat
ions futures.
Une réorientation aussi fondamentale du regard demande cependant
à être fondée philosophiquement et mesurée quant à ses effets. Or, au
moins deux obstacles importants s'opposent à une réelle prise en compte
du futur sur les plans éthique, juridique et politique (ceci dit sans parler
des difficultés liées aux incertitudes de la prospective elle-même). Il
s'agit, d'une part, de la prégnance du modèle éthique «contractualiste»
qui ne conçoit d'obligations qu'entre sujets approximativement égaux et
engagés dans des rapports d'échange synallagmatiques, alors qu'il est
question ici d'élargir la communauté éthique à des sujets à venir à
l'égard desquels nous sommes dans une relation totalement asymétrique.
Il s'agit, d'autre part, de la «myopie temporelle» de notre époque, qui se
traduit à la fois par une amnésie à l'égard du passé, même proche, et
d'une incapacité à nous inscrire dans un futur sensé.
C'est à la discussion de ces deux obstacles qu'on s'attachera.
1. L'obstacle contractualiste
Depuis la modernité au moins les questions de justice se pensent
dans les termes du contrat, de la symétrie et de la réciprocité. Elles sup
posent réunies ce que Hume appellera les «circonstances de la justice»:
un environnement caractérisé par la rareté relative des biens disponibles, 454 François Ost
une société composée de personnes dont l'altruisme est modéré et les
forces relativement égales. Dans un tel contexte, il est rationnel et pru
dent de consentir certaines limitations de sa liberté afin de garantir la
sécurité physique et matérielle de son existence. On connaît la suite de
l'histoire: on imagine un grand contrat social pour fonder la société poli
tique et on valide une multitude de contrats privés pour garantir le res
pect et, si possible, l'accroissement, des propriétés. L'idéal de récipro
cité irradie dans l'ensemble du champ éthique: il prend des formes aussi
variées que l'idée d'équité, le respect de la parole donnée, ou encore la
pratique mutualiste. Dans cette tradition, la morale a pour objet de four
nir de bonnes raisons de s'abstenir de nuire à tous ceux qui, en raison de
leur égalité approximative de situation par rapport à la nôtre, pourraient
constituer une menace à notre égard. De ce point de vue, il n'est que trop
évident que la question des générations futures reste en dehors du
domaine de l'éthique, celles-ci ne pouvant nous affecter en aucune
manière. Le contractualisme s'avère donc un obstacle dès qu'il s'agit de
fonder des obligations à l'égard de nations pauvres et éloignées et, a for
tiori, des générations futures1.
Il est remarquable de constater, par ailleurs, que deux théories
contemporaines, celles de J. Rawls et de J. Habermas, qui pourtant se
sont attachées à redéfinir les conditions initiales d'une discussion équi
table sur les normes valides et les principes de justice, ne se soient pas
pour autant affranchies du modèle de la réciprocité et échouent dès lors
à fournir une réponse satisfaisante à la fondation des responsabilités à
l'égard des générations futures. Chez Rawls, les négociateurs placés
sous voile d'ignorance dans la position originelle sont des contempor
ains; les principes sur lesquels ils s'accordent sont donc conçus «à leur
avantage mutuel», comme des principes de coopération rationnelle entre
personnes approximativement égales. Un principe d'épargne est prévu,
mais limité aux nécessités prévisibles des seules deux générations sui
vantes, étant entendu que chaque génération prend naturellement soin
des deux générations qui suivent, celles des enfants et petits-enfants2.
1 Cf. B. Barry, Justice between generations, in Law, morality and society. Essays
in honour ofHLA. Hart, Oxford, 1979, p. 272; Id., Circumstances of justice and future
generations, in Obligations to future ed. by R.I. Sikora & B. Barry, Phila
delphia, 1978, p. 204 s.; Id., Justice as reciprocity, injustice, ed. by E. Kamenka and A.
Erh-Soon Tay, London, 1979, p. 50 s.
2 J. Rawls, Théorie de la justice, trad, par C. Audard, Paris, 1987, p. 324 s.; pour
une discussion, cf. B. Barry, Circumstances of justice..., op. cit., p. 228 s.; Id., Theories
of justice, vol. I, London, 1989, p. 183 s. Du contrat à la transmission 455
Faute d'intégrer dans la négociation des représentants de toutes les génér
ations, la prétention d' universalisme, pourtant également affichée par la
théorie de Rawls, envisagée cette fois dans son versant kantien, est
sérieusement compromise. Aussi bien le souci des générations futures
est-il limité à la seule problématique des «justes transferts» entre géné
rations contiguës (générations entendues comme «classes d'âge», c'est-
à-dire des catégories définies par la période de vie dans laquelle elles se
trouvent: les jeunes, les adultes et les personnes âgées), laissant dans