La Bulgarie - entre le discours culturel et la pratique politique - article ; n°1 ; vol.63, pg 125-139

Maria Todorova

Description

Politique étrangère - Année 1998 - Volume 63 - Numéro 1 - Pages 125-139
Bulgaria - Between Cultural Arguments and Political Practice, by Maria Todorova As far as integration into the European club is concerned, Westerners give priority to central European countries and tend to exclude those in the Balkans. The latter are assimilated by a « specific doctrine » — Balkanism ― to another civilization and described as an unstable area on account of their ethnic heterogeneity. Now central Europe does not really exist as a separate entity, as competition for membership of the European institutions soon took precedence over cooperation. The Balkan countries are also claiming a European identity and deserve just as much to be integrated into Europe. Despite Bulgaria's economie difficulties and the slow pace of its reforms, it is a country in which the democratie process is now firmly established ― amid total indifférence from the western countries.
Cet article témoigne d'une certaine amertume des pays d'Europe orientale, et en particulier de la Bulgarie, qui, pour l'instant, sont exclus du « club européen ». Ces pays semblent être fortement affectés par la « rhétorique d'exclusion » des Occidentaux à leur égard qui prend ses racines dans une image négative et erronée des Balkans, et par le fait qu'ils soient seulement reconnus en tant que pays européens de « troisième classe ». Ce plaidoyer contre l'indifférence et le mépris dont cette région et ce pays font l'objet en Occident mérite d'être entendu et respecté.
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Publié par: POLITIQUE_ETRANGERE
• Publié le: 01 janvier 1998
• Nombre de lectures: 47
• Langue: Français
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Extrait

Todorova
La Bulgarie - entre le discours culturel et la pratique politique
In: Politique étrangère N°1 - 1998 - 63e année pp. 125-139.
Abstract
Bulgaria - Between Cultural Arguments and Political Practice, by Maria Todorova
As far as integration into the European club is concerned, Westerners give priority to central European countries and tend to
exclude those in the Balkans. The latter are assimilated by a « specific doctrine » — Balkanism ― to another civilization and
described as an unstable area on account of their ethnic heterogeneity. Now central Europe does not really exist as a separate
entity, as competition for membership of the European institutions soon took precedence over cooperation. The Balkan countries
are also claiming a European identity and deserve just as much to be integrated into Europe. Despite Bulgaria's economie
difficulties and the slow pace of its reforms, it is a country in which the democratie process is now firmly established ― amid total
indifférence from the western countries.
Résumé
Cet article témoigne d'une certaine amertume des pays d'Europe orientale, et en particulier de la Bulgarie, qui, pour l'instant, sont
exclus du « club européen ». Ces pays semblent être fortement affectés par la « rhétorique d'exclusion » des Occidentaux à leur
égard qui prend ses racines dans une image négative et erronée des Balkans, et par le fait qu'ils soient seulement reconnus en
tant que pays européens de « troisième classe ». Ce plaidoyer contre l'indifférence et le mépris dont cette région et ce pays font
l'objet en Occident mérite d'être entendu et respecté.
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Todorova. La Bulgarie - entre le discours culturel et la pratique politique. In: Politique étrangère N°1 - 1998 - 63e année pp. 125-
139.
doi : 10.3406/polit.1998.4729
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342X_1998_num_63_1_4729POLITIQUE ÉTRANGÈRE 1/98
La Bulgarie - entre le discours
Maria TODOROVA
culturel et la pratique politique
Cet article témoigne d'une certaine amertume des pays d'Europe orientale, et en
particulier de la Bulgarie, qui, pour l'instant, sont exclus du « club européen ».
Ces pays semblent être fortement affectés par la « rhétorique d'exclusion » des
Occidentaux à leur égard qui prend ses racines dans une image négative et erro
née des Balkans, et par le fait qu'ils soient seulement reconnus en tant que pays
européens de « troisième classe ». Ce plaidoyer contre l'indifférence et le mépris
dont cette région et ce pays font l'objet en Occident mérite d'être entendu et
respecté.
Politique étrangère
Après l'euphorie de l'année 1989, le quotidien a retrouvé sa prio
rité : il fallait s'occuper non seulement des vieux monstres,
mais aussi de ceux nés prématurément d'un triomphalisme or
giaque. Pour l'Europe occidentale, la question majeure était le vide du
pouvoir dans les petites nations situées entre l'Allemagne et la Russie -
région perturbée depuis un siècle. Pour les pays de cette région, leur
problème était le (ou les) pouvoir (s) et non le vide. Sur le plan idéo
logique, l'intégration de l'Europe - de l'Atlantique à l'Oural - a suscité,
semble-t-il, un formidable espoir, surtout avant la capitulation de
Mikhaïl Gorbatchev. Mais il est apparu très vite, en particulier après
l'expérience de l'unification brutale des deux Allemagnes, qu'intégrer
l'Europe orientale à cette partie du continent qui s'était approprié, avec
arrogance, le nom d'« Europa » attribué dans l'Antiquité à la péninsule
des Balkans, serait difficile et extraordinairement coûteux. Dès lors,
l'intégration du continent européen est sortie de l'ordre du jour, rem
placée par des palliatifs comme le Partenariat pour la paix (PPP) ou,
plus récemment, l'adhésion à l'OTAN.
Maria Todorova est professeur d'histoire balkanique et orientale à l'université de Floride. 126 / POLITIQUE ÉTRANGÈRE
Un clivage au cœur de la nouvelle Europe
Cette évolution rhétorique n'est pas fondée sur une realpolitik qui pouv
ait justifier une attitude circonspecte face à des transformations incer
taines, dans des pays dépourvus de systèmes juridiques et d'institutions
adéquates, qui de surcroît sont moins développés et handicapés par des
problèmes ethniques et de minorités complexes. Elle s'appuie sur des
considérations morales : le principal critère d'entrée au club européen
était l'adhésion à ce que l'on appelait un système de valeurs véritablement
occidental (c'est-à-dire authentiquement européennes). Il est vrai
qu'un argument moral est plus persuasif qu'une justification logique
qui ferait appel à des critères rationnels, tels que la stabilité des régimes
parlementaires, les solutions aux problèmes des minorités, l'adaptation
des économies et des institutions aux normes de l'Europe occidentale. . .
Ces critères rationnels, avec difficulté certes, peuvent être respectés ou
négociés. Ainsi, partout en Europe orientale, le mécanisme électoral
fonctionne démocratiquement, sauf dans l'Albanie de Sali Berisha, ce
qui a particulièrement embarrassé l'Occident et surtout les États-Unis
qui l'avaient résolument soutenu. Aussi, on peut imaginer que les pays
d'Europe orientale qui ne peuvent satisfaire aux critères économiques
rigides de l'adhésion puissent bénéficier d'une aide comparable à celle
qu'ont obtenue le Portugal, l'Espagne, la Grèce ou l'Irlande. Enfin, le
problème des minorités, considéré comme un fléau propre à l'Europe
de l'Est, concerne aussi certains régimes occidentaux.
L'argument culturel utilisé est issu en ligne droite de la tradition r
omantique de l'Europe du XIXe siècle. Malléable et indéfinissable, la
culture a gagné progressivement le discours politique avec ce qu'elle
implique de continuité historique, voire biologique.
Le débat sur l'élargissement de l'OTAN illustre cette évolution.
Celui-ci concerne l'Europe centrale parce qu'elle a un système de va
leurs européen et représente une zone que pourrait convoiter une Russ
ie conduite par des forces impérialistes, nationalistes, antidémoc
ratiques et anticapitalistes. Ainsi, en 1993, le président Vaclav Havel
affirmait que : «pour continuer à fonctionner, l'OTAN ne doit pas
brusquement ouvrir ses portes à tout un chacun. La République
tchèque, la Hongrie, la Pologne, et la Slovaquie - ainsi que l'Autriche
et la Slovénie — appartiennent clairement a la sphère occidentale de la - ENTRE DISCOURS CULTUREL ET PRATIQUE POLITIQUE / 127 BULGARIE
civilisation européenne. Elles épousent ses valeurs et s'inspirent des
mêmes traditions [...] Qui plus est, la ceinture centre-européenne borde
à la fois les Balkans, une région traditionnellement agitée, et l'Eurasie,
où la démocratie et les économies de marché sont instaurées lentement
et douloureusement. En href l'Europe centrale est une région-clef pour
la sécurité européenne »1.
Toujours selon Vaclav Havel, si l'Ouest accepte que certains pays d'Eu
rope centrale ne soient pas autorisés à entrer dans l'OTAN - et donc
soient laissés à la sphère d'influence russe -, l'Europe se dirige vers un
« nouveau Yalta ». En rapprochant ces deux déclarations, on comprend
qu'il y ait un limes entre les pays « civilisés » (valeurs européennes) et
les « nouveaux barbares ». Pour quelqu'un comme Ryszard Kapusc
inski, ce limes est « la frontière entre les alphabets latin et cyrillique »2.
En fait, côté occidental, en dehors des clivages idéologiques, adversaires
et partisans de l'élargissement fondaient leur évaluation de l'équilibre
des pouvoirs et des objectifs à atteindre sur deux philosophies diffé
rentes : d'une part, une realpolitik qui tient compte de l'aliénation de la
Russie, du coût de l'élargissement et du danger à institutionnaliser l'e
xclusion ; de l'autre, le prix à payer - somme toute faible — pour débarr
asser l'Occident du sentiment de culpabilité qu'il nourrit à l'égard de