Montesquieu et le pronom « je » dans « L Esprit des Lois » - article ; n°1 ; vol.35, pg 221-234
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1983 - Volume 35 - Numéro 1 - Pages 221-234
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 50
Langue Français

Extrait

Charles Beyer
Montesquieu et le pronom « je » dans « L'Esprit des Lois »
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1983, N°35. pp. 221-234.
Citer ce document / Cite this document :
Beyer Charles. Montesquieu et le pronom « je » dans « L'Esprit des Lois ». In: Cahiers de l'Association internationale des
études francaises, 1983, N°35. pp. 221-234.
doi : 10.3406/caief.1983.2414
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1983_num_35_1_2414ET LE PRONOM « JE » MONTESQUIEU
DANS « L'ESPRIT DES LOIS »
Communication de M. Charles BEYER
(Buffalo)
au XXXIVe Congrès de l'Association, le 22 juillet 1982.
Les Lettres persanes peuvent embarrasser le lecteur dési
reux de savoir si, à travers le « je » de Rica ou d'Usbek, c'est
bien l'auteur qui parle ; en effet, le caractère fictif et exotique
du roman, combiné avec le style épistolaire, fournit à Mont
esquieu toutes facilités pour prendre ses distances par rapport
aux idées exprimées. Il n'en est plus du tout ainsi dans
YEsprit des Lois : ici, c'est l'auteur qui, d'emblée, s'adresse
personnellement au lecteur, et qui, de bout en bout, assume la
pleine responsabilité de toutes les affirmations, de toutes les
conclusions, de toute une doctrine.
Sans doute, la documentation pure y devient-elle souvent
envahissante ; mais le « je » du philosophe reprend assez vite
le dessus. Ainsi au livre xvn, après deux longues pages de
citation sur le climat de l'Asie, il poursuit : « Ces faits posés,
je raisonne ainsi... » (ch. 3). Souvent il encourage le lecteur :
« Je me hâte, je marche à grands pas » (ni, 6) ; « II faut que
j'écarte à droite et à gauche, que je perce, que je me fasse
jour. » (xix, 1).
C'est donc bien Montesquieu qui, personnellement, parle à
son lecteur. Il se plaint, dans les Pensées (1005), que « La
timidité a été le fléau de toute ma vie » — mais ajoute que
son effet paralysant se faisait sentir en présence des sots plus CHARLES BEYER 222
que des personnes d'esprit. Et c'est avec une noble fierté
que, dans la Préface de YEsprit des Lois, il se présente, lui
et son ouvrage, à son public.
Un seul paragraphe sur 16, le premier, y est consacré à sa
propre personne. Ce qu'il tient à affirmer tout d'abord, c'est
son caractère respectueux des autorités : « Je n'ai point natu
rellement l'esprit désapprobateur », et il rend grâces au ciel
« de ce qu'il m'a fait naître dans le gouvernement où je vis,
et de ce qu'il a voulu que j'obéisse à ceux qu'il m'a fait
aimer. » Pour faire cette déclaration de loyalisme dévoué, il
emploie quatre fois le pronom « je » (dont la deuxième
prend la forme ultra-haïssable de « et moi, je ») ; deux fois
la forme accusative « me », et une fois l'adjectif possessif
« mon ».
La présentation du livre par l'auteur occupe les treize
paragraphes suivants, les deux derniers servant de conclusion à
la Préface. Montesquieu insiste d'abord sur le fait que
l'ouvrage forme un tout, dont le dessein correspond à celui de
l'auteur (§ 2), et qui consiste à réduire Г « infinie diversité
de lois et de mœurs » des hommes à un certain ordre (§ 3) ;
on y arrive en dégageant les « principes » de plus en plus
généraux dont dépendent les lois particulières (§4), sans pour
autant fermer les yeux sur les particularités des différentes
époques (§ 5). Tout en les appelant « mes » principes, il
déclare qu'il les a tirés « de la nature des choses », non de ses
préjugés (§ 6). Grâce à eux, tout l'ouvrage forme un corps
de doctrine, composé de « vérités » reliées les unes aux
autres par une « chaîne », dont la solidité est assurée par la
« certitude des principes », certitude confirmée à son tour par
la cohérence de tout le réseau (§ 7).
Envisageant « les choses avec une certaine étendue »,
l'auteur se déclare opposé aux « traits saillants qui semblent
caractériser les ouvrages d'aujourd'hui » (§ 8). Ce qu'il
recherche, c'est l'explication des institutions, et non la cri
tique de « ce qui est établi dans quelque pays que ce
soit » (§ 9). La priorité ainsi accordée à la connaissance est
fondée sur son utilité sociale : « II n'est pas indifférent que le ET LE PRONOM « JE » 223 MONTESQUIEU
peuple soit éclairé » (§ 10). C'est au progrès de cette connais
sance que YEsprit des Lois est consacré, tant pour le bonheur
des gouvernés (§ 11) que pour celui des gouvernants (§ 12),
et pour le plus grand bien de l'humanité entière (§§ 13, 14).
En conclusion, Montesquieu signale le rôle décisif joué
dans la pénible élaboration de son livre par la découverte des
principes : « Quand j'ai découvert mes principes, tout ce que je
cherchais est venu à moi » (§ 15), et finalement il ne réprime
pas une certaine satisfaction : « Si cet ouvrage a du succès, je
le devrai beaucoup à la majesté de mon sujet ; cependant
je ne crois pas avoir totalement manqué de génie » ; à la vue
des grands hommes de tous les pays qui ont déjà écrit sur le
sujet, « j'ai été dans l'admiration ; mais je n'ai point perdu le
courage : « Et moi aussi, je suis peintre », ai-je dit avec le
Corrège. »
Dans l'ensemble de cette Préface, le pronom « je » est
employé 39 fois, soit une moyenne de près de 2,5 par para
graphe ; il constitue le premier mot de 7 d'entre eux, et le
deuxième de trois autres, et il manque dans trois seulement ;
en outre, il apparaît trois fois sous la forme « moi >, six fois
sous la forme « me » et six fois sous celle de l'adjectif possess
if de la première personne du singulier. Il n'est évidemment
pas question de faire, à ce sujet, le moindre reproche, moral
ou artistique, à notre auteur, mais uniquement de caractériser
le ton de son discours : nous sommes ici en présence d'un
homme qui s'adresse personnellement à son lecteur et qui lui
offre de s'associer directement au travail de sa vie entière,
avec ses recherches et ses découvertes, et l'immense espoir
d'avoir jeté les fondements d'une activité politique et légis
lative éclairée par la connaissance. Si le « je » de Montes
quieu est si naturel et si peu haïssable, c'est qu'il contient
l'offre d'une véritable amitié, sans réserve et sans façon ; tous
les niveaux de sa riche personnalité y sont accessibles.
L'auteur est d'abord auteur, et, comme nous dirions
aujourd'hui, sociologue. Le premier livre de YEsprit des
Lois est essentiellement consacré à définir ce titre. Si le pro
nom « je » ne fait son apparition que discrètement vers la CHARLES BEYER 224
fin du chapitre 2, il s'affirme par contre avec force à la fin du
troisième ; Montesquieu y dresse une longue liste des éléments
constitutifs de l'esprit des lois :
Elles doivent être [tellement] propres au peuple pour lequel
elles sont faites... Il faut qu'elles se rapportent à la nature
et au principe du gouvernement... Elles doivent être rela
tives au physique du pays... au climat... à la qualité du
terrain... au genre de vie des peuples... elles doivent se
rapporter au degré de liberté que la constitution peut souff
rir, à la religion des habitants, à leurs inclinations, à leurs
richesses, à leur nombre, à leur commerce, à leurs mœurs,
à leurs manières. Enfin elles ont des rapports entre elles ;
elles en ont avec leur origine, avec l'objet du législateur,
avec l'ordre des choses sur lesquelles elles sont établies.
C'est dans toutes ces vues qu'il faut les considérer.
Et il conclut ce premier livre avec une fermeté lapidaire :
« C'est ce que j'entreprends de faire dans cet ouvrage. J'exami
nerai tous ces rapports ; ils forment tous ensemble ce que l'on
appelle l'ESPRIT DES LOIS. »
Dès le livre II, nous faisons la connaissance du ton didac
tique ou professoral de Montesquieu : « Je suppose t

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