Réflexions sur les émeutes interconfessionnelles du nord du Nigeria - article ; n°3 ; vol.67, pg 749-764

Ousmane Kane

Description

Politique étrangère - Année 2002 - Volume 67 - Numéro 3 - Pages 749-764
A Reflection on Sectarian Fighting in the North of Nigeria, by Ousmane Kane
Communal violence has been a notable feature of the Nigerian public sphère during the last two decades. It has resulted in the killing of thousands of people and the looting of millions of dollars worth of property. The author argues that religious riots need to be situated within the struggle for political power and control of resources. This struggle, according to him, has been focused during the last two decades on the debate over secularism. The paper analyses four major moments of this debate: the debate on the Constituent Assembly of the Second Republic, the OIC crisis, the debate on the Constituent Assembly of the Third Republic and the implementation of Muslim criminal law in twelve states of Northern Nigeria. In conclusion, the author offers an analytical framework for understanding the politics of religious violence in Nigeria.
Ancien protectorat britannique, le Nigeria est en proie, depuis deux décennies, à de récurrents et sanglants affontements interconfessionnels opposant notamment musulmans haoussas et chrétiens yorubas, ibos ou membres des groupes ethniques minoritaires du nord du Nigeria. A ces conflits ethno-religieux, se superposent des clivages de type socio-économiques qui expliquent la tendance de ces conflits à dégénérer en pillage de grande ampleur. Depuis une vingtaine d'années, les différents protagonistes n'ont eu de cesse de se radicaliser. Les questions de la charia, de son application et de la demande d'adhésion du Nigeria à l'Organisation de la conférence islamique ont particulièrement cristallisé ces dissensions. Malgré une Constitution laïque dans son essence, douze Etats du nord du Nigeria sur les trente-six que comptent la fédération appliquent présentement le droit pénal musulman. Cette concurrence politique, qui masque une rivalité sociale et économique, risque de porter atteinte à terme à la stabilité du pays.
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Publié par: POLITIQUE_ETRANGERE
• Publié le: 01 janvier 2002
• Nombre de lectures: 27
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Kane
Réflexions sur les émeutes interconfessionnelles du nord du
Nigeria
In: Politique étrangère N°3 - 2002 - 67e année pp. 749-764.
Abstract
A Reflection on Sectarian Fighting in the North of Nigeria, by Ousmane Kane
Communal violence has been a notable feature of the Nigerian public sphère during the last two decades. It has resulted in the
killing of thousands of people and the looting of millions of dollars worth of property. The author argues that religious riots need to
be situated within the struggle for political power and control of resources. This struggle, according to him, has been focused
during the last two decades on the debate over secularism. The paper analyses four major moments of this debate: the debate
on the Constituent Assembly of the Second Republic, the OIC crisis, the debate on the Constituent Assembly of the Third
Republic and the implementation of Muslim criminal law in twelve states of Northern Nigeria. In conclusion, the author offers an
analytical framework for understanding the politics of religious violence in Nigeria.
Résumé
Ancien protectorat britannique, le Nigeria est en proie, depuis deux décennies, à de récurrents et sanglants affontements
interconfessionnels opposant notamment musulmans haoussas et chrétiens yorubas, ibos ou membres des groupes ethniques
minoritaires du nord du Nigeria. A ces conflits ethno-religieux, se superposent des clivages de type socio-économiques qui
expliquent la tendance de ces conflits à dégénérer en pillage de grande ampleur. Depuis une vingtaine d'années, les différents
protagonistes n'ont eu de cesse de se radicaliser. Les questions de la charia, de son application et de la demande d'adhésion du
Nigeria à l'Organisation de la conférence islamique ont particulièrement cristallisé ces dissensions. Malgré une Constitution
laïque dans son essence, douze Etats du nord du Nigeria sur les trente-six que comptent la fédération appliquent présentement
le droit pénal musulman. Cette concurrence politique, qui masque une rivalité sociale et économique, risque de porter atteinte à
terme à la stabilité du pays.
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Kane. Réflexions sur les émeutes interconfessionnelles du nord du Nigeria. In: Politique étrangère N°3 - 2002 - 67e année pp.
749-764.
doi : 10.3406/polit.2002.5219
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342X_2002_num_67_3_5219.
POLITIQUE ÉTRANGÈRE 3/2002
Réflexion sur les émeutes
Ousmane KANE interconfessionnelles
du nord du Nigeria
Ancien protectorat britannique, le Nigeria est en proie, depuis deux décennies, à
de récurrents et sanglants affontements interconfessionnels opposant notamment
musulmans haoussas et chrétiens yorubas, ibos ou membres des groupes ethniques
minoritaires du nord du Nigeria. A ces conflits ethno -religieux, se superposent des
clivages de type socio-économiques qui expliquent la tendance de ces conflits à
dégénérer en pillage de grande ampleur. Depuis une vingtaine d'années, les dif
férents protagonistes n'ont eu de cesse de se radicaliser. Les questions de la charia,
de son application et de la demande d'adhésion du Nigeria à l'Organisation de
la conférence islamique ont particulièrement cristallisé ces dissensions. Malgré une
Constitution laïque dans son essence, douze Etats du nord du Nigeria sur les
trente-six que comptent la fédération appliquent présentement le droit pénal
musulman. Cette concurrence politique, qui masque une rivalité sociale et éc
onomique, risque de porter atteinte à terme à la stabilité du pays.
Politique étrangère
En octobre 2001, les Etats-Unis bombardent l'Afghanistan, pré
parant le terrain à la victoire des forces anti-Talibans et entraî
nant la chute du régime du mollah Omar. En réaction, des
musulmans du nord du Nigeria manifestent en faveur des Talibans et
d'Oussama Ben Laden dans la métropole de Kano. Ces manifestations
dégénèrent en affrontements entre musulmans septentrionaux de
langue haoussa et chrétiens d'origine méridionale, provoquant des
centaines de morts1. Ces affrontements d'octobre 2001 constituent un
Docteur de l'Institut d'études politiques de Paris, Ousmane Kane est Associate Professor of International and
Public Affairs à la Columbia University.
1 M. Doyle, « Nigeria's Emir Opposes Bin Laden », voir <www.news.bbcco.uk/hi/english/world/africanew-
sid_1 672000/1 671 91 .stm>, p.1. ;
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maillon d'une chaîne d'affrontements récurrents2, opposant tantôt
musulmans et chrétiens, tantôt méridionaux et septentrionaux, qui ont
fait des milliers de victimes au cours des 15 dernières années.
En 1987, une polémique entre étudiants islamistes et évangélistes de
l'Ecole polytechnique de Kafanchan finit en affrontements entre
minorités ethniques chrétiennes du nord et « Haoussas-Foulbés3 »
musulmans. Bien que majoritaires au nord, ces derniers sont minorit
aires dans la ville de Kafanchan. Mais, dans l'ensemble, ils sont plu
tôt nantis financièrement et forment l'aristocratie politique
traditionnelle. Par la suite, les musulmans organisent une riposte
massive dans d'autres villes du nord où ils sont majoritaires, notam
ment à Katsina, Funtua, Zaria, Kankia, Daura, Kaduna et
Malumfashi. Une centaine de personnes périssent, 152 églises, 5 mos
quées et 95 bars sont détruits4. En avril 1990, c'est à Tafawa Balewa,
dans l'Etat de Bauchi, qu'un conflit opposant un chrétien à un
musulman dégénère en affrontement ; quelques musulmans sont tués.
Le transfert de leurs dépouilles à la ville de Bauchi, à majorité musul
mane, déclenche une vendetta. En 2 jours, des centaines de personnes
sont tuées, des milliers blessées5. En octobre 1991, la visite à Kano
d'un évangéliste allemand du nom de Reinhard Bonnke suscite des
protestations au sein de la communauté musulmane. Les affronte
ments causent la mort de plusieurs centaines de personnes6. Entre
février et mai 1992, c'est à Zangon Kataf que des violences opposent
Haoussas-Foulbés musulmans et Katafs chrétiens, causant la mort de
plus de 4 000 personnes7. En juillet 1999 à Kano8 et en novembre à
Lagos9, des affrontements entre Yorubas et Haoussas font encore de
nombreuses victimes. En mai 2000, enfin, 200 personnes sont tuées à
2. Pour un compte rendu analytique quasi exhaustif des crises des années 1980 jusqu'au milieu des années
1 990, voir T. Falola, Violence in Nigeria. The Crisis of Religious Politics and Secular ideologies, Rochester,
University of Rochester Press, 1 998.
3. Le terme « hausa-fulani » n'est pas utilisé pour désigner uniquement les Haoussas et les Foulbés il fait
aussi référence à une mosaïque de groupes islamisés du nord du Nigeria.
4. J. Ibrahim, «The Politics of Religion in Nigeria. The Parameters of the 1987 Crisis in Kaduna State»,
Review of African Political Economy, 1989, p. 65-82.
5. T. Falola, op. cit., p. 204.
6. Ibid., p. 211-213.
7. Ibid., p. 213 sq.
8. « Hausa Yoruba Clashes in the South and North », Africa Research Bulletin, 36, 7, 1 -31 juillet 1999, 13627
C -13628 A.
9. A. Ude, «Another Ethnic Conflict Erupts », West Africa, 4205, 6-12 décembre 1999, p. 28-29. .
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RÉFLEXION SUR LES ÉMEUTES INTERCONFESSIONNELLES AU NIGERIA / 751
Kaduna10 lors d'émeutes interconfessionnelles. Chacun de ces
conflits donne aussi lieu à des pillages à grande échelle.
Pour comprendre le sens de ces conflits, il faut les replacer dans le
contexte politique nigérian, caractérisé par la lutte pour le pouvoir
et le contrôle des ressources, qui tend à se superposer à des clivages
régionaux, ethniques, confessionnels et socio-économiques.
S'agissant de la lutte pour le pouvoir politique, elle se cristallise au
cours des 2 dernières décennies dans un débat qui marque profon
dément la sphère publique nigériane : celui de la place de la charia
dans le système politique. Ce débat crée une ligne de fracture entre
deux sensibilités : une sensibilité laïque dont les tenants, en majorité
chrétiens, estiment que seul un système laïc peut garantir les libertés
publiques de tous les citoyens ; et une sensibilité musulmane, pré
dominante au nord, selon laquelle la laïcité n'est pas un système
politique neutre mais une forme de modernité politique enracinée
dans la culture judéo-chrétienne, don