San Francisco. Histoire et leçons d une conférence - article ; n°2 ; vol.10, pg 141-160
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Description

Politique étrangère - Année 1945 - Volume 10 - Numéro 2 - Pages 141-160
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1945
Nombre de lectures 46
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jean-Jacques Mayoux
San Francisco. Histoire et leçons d'une conférence
In: Politique étrangère N°2 - 1945 - 10e année pp. 141-160.
Citer ce document / Cite this document :
Mayoux Jean-Jacques. San Francisco. Histoire et leçons d'une conférence. In: Politique étrangère N°2 - 1945 - 10e année pp.
141-160.
doi : 10.3406/polit.1945.5554
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342X_1945_num_10_2_5554SAN-FRANCISCO
HISTOIRE ET LEÇONS D'UNE CONFÉRENCE
Roosevelt.
« La seule borne à nos réalisations de demain est faite de nos doutes et de
nos craintes d'aujourd'hui. » Voilà ce que Roosevelt se préparait à dire dans
un prochain discours, et qu'il venait d'écrire quand il mourut. Il y a dans
ces quelques paroles l'image d'une des grandes infortunes de l'humanité.
La peur, plus que la haine (et elle est souvent à la source de la haine), est
depuis longtemps la grande pourvoyeuse de massacres. Elle engendre les
réalités dont elle a imaginé les fantômes. La peur retient l'humanité au seuil
d'im avenir qui serait l'Inconnu et oblige le possible à ressembler toujours
trop à l'actuel. Exorciser la peur, telle est en somme l'une des grandes
préoccupations des hommes d'État des Nations Unies ; tel était l'objet prin
cipal de ce qu'on a appelé aux Etats-Unis la Conférence de la Sécurité.
Roosevelt mourut, par une cruelle coïncidence, à la veille de cette confé
rence qui était le véritable couronnement de son œuvre internationale. Elle
lui devait presque tout : ce terme d' United Nations même, qui semble formé
par analogie avec United States et dès lors promettait une telle intimité
organique. Ces principes d'une telle largeur et d'une telle humanité qui
vont avec le nom merveilleux de la Charte de l'Atlantique et semblent pro
mettre à l'homme qu'il sera quelque jour libre comme la mer. Axomparer
la sécheresse dogmatique des quatorze points du président Wilson et l'ardeur
inspirée de l'annonce des Quatre Libertés, on serait tenté de dire : l'An
cien Testament... et le Nouveau. Mais, depuis la Charte de l'Altantique, il
y a eu de la part des Etats-Unis, de leur président, de leurs alliés, un tel
passage de la mystique à la politique qu'en fait l'esprit de Genève, issu la
rgement des quatorze points, est devenu synonyme d'idéalisme impuissant,
et qu'on a paru de toutes parts soucieux à l'excès de n'y pas retomber.
v II semblé, en effet; que ce soit à la fois la leçon de l'échec de Genève et la
différence des tempéraments qui se reflètent dans la figure singulièrement
complexe de Roosevelt. Interrogé par les journalistes à Téhéran sur ses
rapports avec Staline, il répondait : « Le maréchal Staline et moi, nous 142 SAN-FRANCISCO
sommes des réalistes. » Et une veine de réalisme, parfois inquiétant, se
retrouve tout à travers la politique extérieure du grand président. L'expédient
provisoire Darlan, l'expédient Badoglio, les contacts prolongés avec Vichy,
qui n'ont pu se faire en dehors de lui, en portent la marque. Mais ce qui est
frappant, c'est qu'il domine cela de. si haut. En novembre 1942, alors que
les événements d'Algérie nous consternaient, un « homme de la rue », de la
Résistance, dans une ville de l'Est, me dit simplement : « Ça n'a pas d'im
portance : Roosevelt est dans le coup. » C'est la mesure de la foi, de la cer
titude qu'il inspirait. Le réalisme, chez lui, était au service de l'idéal.
Il semblait irrésistible parce qu'il savait toujours tenir compte des rési
stances qu'il ne pourrait pas briser. Pour le reste, il faut avoir éprouvé^dans
son pays, avant même que le mois de deuil ne fût écoulé, le soulagement
que ressentait un très large milieu — ■ tout ce qui touchait à la « libre entre
prise » — pour éprouver la force de son impérieuse personnalité. II gouvern
ait seul. Cet homme aux jambes mortes appuyait lourdement deux mains
puissantes sur les épaules du pays. Stettinius n'était pour lui, il faut le dite,
qu'un commis. II avait peut-être ce trait des grands autocrates de ne pa&
toujours tellement bien choisir leurs commis. S'il eût vécu, cela n'avait pas
d'importance. Il avait inspiré Dumbarton Oaks, accepté Yalta ; il n'aurait
pu, je pense, faire que la structure définitive fût très différente ; mais il
aurait fait qu'il y eût aujourd'hui moins de crainte et pour demain plus
d'espoir. Il aurait été au cœur même de la Conférence.
En fait, son successeur en fut absent : c'est une marque de sa sagesse.
Physionomie de la Conférence.
Molotov ne devait pas, si Roosevelt avait vécu, venir à San-Francisc©.*
Pourquoi Staline changea-t-il d'avis ? Ce n'est pas sans doute seulement
pour faire plaisir au nouveau président. C'est probablement, aussi parce
qu'il ne se sentait plus sûr de l'orientation de la Conférence, et parce qu'il-y
aurait peut-être de grandes responsabilités à prendre sur place pour lu
remettre dans ses voies. Mais, s'il est vrai que, quand Molotov arriva- à.
Washington, le président Truman avait été catéchisé et lui fit vertement
la leçon sur les agissements soviétiques en Europe orientale, notamment eo.
Pologne, on sent quelle hypothèque la malveillance des uns, l'inexpérience
politique des autres firent peser sur la Conférence qui s'ouvrait.
D'un côté, la mort de Roosevelt ragaillardit l'isolationnisme sous les
formes déguisées qu'il prend depuis la guerre : Y America first de la
presse Hearst et du groupe Chicago Tribune, un antisoviétisme effréné» SAN-FRANCISCO 143
une vive hostilité à tout dirigisme, particulièrement aux principes du New
Deal. Le Middle West et l'Ouest sont les forteresses de ce repliement. Les
journaux qui dominent la côte ouest, le San Francisco Examiner, le Los
Angeles Examiner, où sévissent des collaborateurs dont parfois le nom ge
rmanique même est un drapeau, semblent rêver d'on ne sait quel pacte anti-
Komintern et présentent une Europe engouffrée dans le désordre et la dic
tature d'en bas.
Il se peut que le président Roosevelt ait eu l'idée de tenir une grande
conférence de solidarité mondiale à San-Francisco, pour mettre toute cette
partie du pays orientée vers le Pacifique et vers des intérêts spécifique--
ment nationaux dans un bain d'internationalisme. La Conférence jouit en
tout cas du public le plus naïf au monde : une cohue d'oisifs et surtout d'oi
sives pressés dans les halls des grands hôtels réquisitionnés, poursuivant
une fantastique et fantasque chasse à l'autographe et partageant sa curiosité
la plus vive entre la délégation arabe — avec des émotions, faciles à deviner,
de romans pour midinettes — et la délégation soviétique. Le Persan de Mont
esquieu n'eut pas un plus singulier accueil. « Comment peut-on être
soviétique ? » Un mélange délicieux de terreur et de sympathie passait dans
cette masse aux rares occasions où il lui fut donné d'entrevoir l'inacces
sible Molotov parmi ses gardes du corps. Il fut pour le public, sans aucune
exception, la personnalité la plus « intéressante » de la Conférence. Mais ce
n'est pas à dire que les choses en furent facilitées : le sentiment d'un
homme « pas comme les autres » venant d'un pays « pas comme les autres »
semblait parfois éprouvé à l'intérieur même des enceintes sacrées, et ce
n'est pas précisément le plus sain qu'on pouvait attendre en la circon
stance.
Pendant quelques jours, il y eut entre Américains et Soviétiques quelque
chose comme une épreuve de force ; en apparence, ce fut Molotov qui com
mença quand, au cours des séances d'organisation du travail, se posa la
question de la présidence et que Molotov proposa la substitution au prési
dent unique, qui eût été Stettinius, d'un presidium collectif des quatre
^Grands fonctionnant à tour de rôle. Cette demande assez légitime causa
un grand émoi et parut un assaut contre la position de l'Invitant en chef.
Un compromis concéda le presidium pour les séances plénières et maintint
le pr&#

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