Tolstoï, pionnier de la non-violence
17 pages
Français

Tolstoï, pionnier de la non-violence

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
17 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Tolstoï, pionnier de la non-violence

Informations

Publié par
Nombre de lectures 162
Langue Français

Extrait

Tolstoï, pionnier de la non-violence
Alain REFALO* * Enseignant ; président du Centre de ressources sur la non-violence de  Midi-Pyrénées, www.non-violence-mp.org/; auteur de Tolstoï. La quête de de la vérité , Paris, Desclée De Brouwer, 1997.
En conscience je refuse d’obéir. Résistance pédagogique pour l’avenir de l’école, Éditions Ilots de résistance, 2010.
Toute la vie de l’écrivain Léon Tolstoï est passionnante ! La présentation de son itinéraire comme de son œuvre laisse pantois, tant on vient à se demander comme un tel homme a pu exister dans notre monde, manifestant une si sincère rechercher de vérité. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il établît le premier des fondations à la non-violence.
Le comte Léon Nicolaévitch Tolstoï est né le 28 août 1828 dans le domaine familial de Iasnaïa Poliana (la « Claire Clairière »), situé dans le gouvernement de Toula, à environ deux cents kilomètres de Moscou. Aussi bien par son père que par sa mère, Tolstoï appartient à la noblesse russe. Un de ses aïeux, Pierre Tolstoï, fut l’homme de confiance et le chef de la police secrète de Pierre le Grand, qui lui conféra le titre de comte.
Enfance et adolescence Le petit Léon n’avait que dix-huit mois quand il perdit sa mère, alors qu’elle donnait le jour à sa fille Marie. Léon grandit entouré de l’affection de sa grand-mère et surtout de sa tante Tatiana qui assure son éducation. Le matin, le jeune Léon s’instruit en suivant les cours d’un percepteur allemand. L’après-midi, il profite du grand parc du
1
domaine, avec ses étangs : explorations, cueillettes, pêches, baignades et promenades.
Une enfance paisible dans un univers bien protégé.
Il est âgé de neuf ans lorsque son père meurt foudroyé par une attaque
d’apoplexie. Sa tante Alexandra devient tutrice des enfants. Elle meurt quatre ans plus
tard et une autre tante, Pélagie, la remplace. Elle habite Kazan, au bord de la Volga.
C’est là que vivront désormais les jeunes Tolstoï. Léon suit les cours au lycée, puis est
admis à l’université de Kazan, à la Faculté des langues orientales. Deux ans plus tard, il
change de Faculté et suit des cours de droit. Étudiant volontiers frondeur, il n’est pas
satisfait de l’enseignement qu’il reçoit. Il critique ses professeurs, et, pour avoir été peu
assidu aux cours d’histoire, il est mis quelques heures aux arrêts au cachot universitaire.
Il finira par quitter l’université sans diplôme et retournera au domaine familial d’Iasnaïa
Poliana. Léon Tolstoï a alors dix-neuf ans.
Durant les années qui suivent, le jeune Tolstoï traverse une période de crise
« existentielle ». Il s’interroge, il lit, il médite. Ses lectures philosophiques lui font
découvrir avec enthousiasme les ouvrages de Rousseau, un maître dont il subira
longtemps l’influence. Il découvre également L’Évangile  et les grands auteurs russes,
Pouchkine, Gogol et Tourgueniev.
Au Caucase
Très vite lassé par la solitude de cette vie campagnarde, Tolstoï fait de fréquents
voyages à Moscou et finit par s’engager dans l’armée où il retrouvera son frère aîné
Nicolas, officier au Caucase. C’est à cette époque qu’il entreprend d’écrire un récit
autobiographique de son enfance. Ce travail l’absorbe totalement, d’autant qu’il est plutôt
2
désœuvré dans ses nouvelles fonctions. Le 3 juillet 1852, il envoie son récit intitulé
Enfanc e, signé des initiales L.N., au directeur du Contemporain , la principale revue
littéraire de cette période. Quelques semaines plus tard, il reçoit la réponse. Son
manuscrit est accepté. Le succès de cette œuvre est immédiat. Enfance  fait sensation
dans les milieux littéraires de Saint-Petersbourg. Pendant ce temps, dans les montagnes
caucasiennes, le sous-officier Tolstoï fait le coup de feu contre les rebelles tchétchènes,
s’enivre avec ses compagnons de régiment et chasse les faisans pour troubler son
ennui.
Lorsqu’il prend connaissance par la presse des éloges qui ont accueilli son récit,
Tolstoï est convaincu de son talent et se remet à écrire avec fièvre. Il entreprend la suite
d’ Enfance qu’il intitule Adolescence . En janvier 1854, il est promu adjudant et part sur le
front du Danube. La guerre russo-japonaise a éclaté quelques mois auparavant, et pour
chercher à contrer la domination de la Russie dans la mer Noire, l’Angleterre et la France
lancent alors l’expédition de Crimée. Pendant onze mois, ce sera le siège de la ville de
Sébastopol. Tolstoï est nommé sous-lieutenant et reçoit l’ordre de rejoindre Sébastopol
le 7 novembre 1854. C’est à ce moment-là que le directeur du Contemporain  lui
demande d’écrire des articles sur la bataille de Sébastopol. Tolstoï dépeint alors avec le
plus grand réalisme cette guerre dans tout son atrocité quotidienne. Ses reportages font
de lui l’un des tout premiers « correspondants de guerre » et le succès des Récits de
Sébastopol sera éclatant.
Tolstoï a cependant l’impression de perdre son temps. Pour tromper son ennui, il
joue aux cartes avec passion, jour et nuit. C’est à cette époque qu’il note dans son
Journal (4 mars 1855) cette idée qui lui est venue, « immense » : « Une discussion sur la
3
divinité et la foi m’a amené à une grande idée, à la réalisation de laquelle je me sens
capable de consacrer toute ma vie. Cette idée, c’est la fondation d’une nouvelle religion,
correspondant au niveau de développement de l’humanité, la religion du Christ, mais
purifiée du dogme et des mystères, une religion pratique ne promettant pas le bonheur
de la vie future, mais la donnant sur cette terre ».
Au mois d’août 1855, la ville de Sébastopol tombe entre les mains des assaillants.
L’armée russe bat en retraite, et Tolstoï ne pense plus qu’à quitter l’armée pour se
consacrer exclusivement à ses travaux d’écrivain. De retour à Saint-Pétersbourg, il
fréquente le monde des lettres. Écrivain déjà célèbre et estimé, il se lie d’amitié avec
Tourgueniev et d’autres écrivains de renom. Le 26 novembre 1856, sa démission
d’officier est acceptée et il abandonne définitivement la carrière militaire. Il est un homme
libre. Déçu par les salons littéraires, il décide de voyager. Paris, Genève, Stuttgart,
Tolstoï va en touriste à la rencontre de ce qu’on appelle alors « le progrès ». Un
événement, pourtant, va lui causer un terrible choc qui ébranlera sa confiance dans ce
« progrès ». Le 6 avril 1857, il assiste à Paris à une exécution capitale. « Quand je vis la
tête se détacher du corps, écrira-t-il, et, séparément, tomber dans le panier, je compris,
non par la raison, mais par tout mon être, qu’aucune théorie sur la rationalité de l’ordre
existant et du progrès, ne pouvait justifier un tel acte ».
Le pédagogue
Tolstoï est alors âgé de trente ans. Dès son retour à Iasnaïa Poliana, il conçoit le
projet de fonder une école originale pour les enfants des paysans de son domaine.
Influencé par les idées pédagogiques de Rousseau, il cherche à mettre en pratique des
méthodes d’apprentissage sans contrainte morale et physique. Il se documente, il visite
4
des écoles en France, en Allemagne, en Suisse, en Angleterre, en Italie, en Belgique.
Partout ; il constate que l’enseignement est fondé sur la répétition méthodique et les coups de fouet. Tolstoï est persuadé qu’avec de telles méthodes, on ne peut que
déformer l’esprit des enfants.
Il installe son école dans une dépendance de son château. Les enfants
choisissent librement les matières qui les intéressent ; il n’y a pas de notes, pas de classements. Pour Tolstoï, le rôle de l’éducateur est avant tout d’éveiller la curiosité de
ses élèves, de les aider à s’épanouir. Le succès de son expérience l’encourage à créer d’autres écoles dans les villages voisins. Il recrute des étudiants de Moscou, qui, très
rapidement, sont « formés » aux méthodes du pédagogue Tolstoï. Il édite également une
revue pédagogique mensuelle, Iasnaïa Poliana , qui parviendra à éviter la censure.
Cependant, d’autres préoccupations vont le détourner de sa mission d’éducateur.
Durant l’année 1861, Tolstoï est nommé « conciliateur des litiges ». Un manifeste du tsar
Alexandre II, qui a succédé à Nicolas 1 er , vient en effet de décréter l’affranchissement
des serfs. Mais, dès sa promulgation, des différends surviennent entre les propriétaires fonciers et les paysans, et le gouvernement veut les régler avec l’aide d’ « arbitres de
paix ». Pendant un an, Tolstoï s’acquitte de sa tâche consciencieusement. Il fait
appliquer la loi, souvent mal acceptée par les propriétaires…
Le 23 septembre 1862, Léon Tolstoï épouse Sophie Boers, une jeune fille de dix-
huit ans, fille d’un médecin attaché à l’administration du palais impérial de Moscou. Il en
alors trente-quatre. Il se remet à écrire et termine Les cosaques , commencé dix ans plus tôt et qui obtient très vite un grand succès.
5
De Guerre et paix à Anna Karénine
C’est à cette époque que Tolstoï met en chantier un ouvrage gigantesque qui
deviendra le chef d’œuvre littéraire de sa vie. Initialement intitulée L’année 1805 , la vaste
épopée historique Guerre et Paix met en scène plusieurs familles de la haute société au
temps des guerres de la coalition européenne contre Napoléon. Cette tâche l’absorbera
durant six ans, jusqu’en 1869. Publié en six volumes, Guerre et Paix connaît un succès
fracassant bien au-delà de la Russie.
Tandis qu’il travaille à Guerre et Paix , un tragique événement devait produire une
« forte et décisive » influence sur Tolstoï. Pendant l’été de l’année 1866, un régiment
d’infanterie de Moscou vient s’installer dans les environs d’Iasnaïa Poliana. Un jour, deux
officiers rendent visite à Tolstoï pour lui demander d’assurer la défense d’un soldat, le
sergent Chibounine, qui a frappé son supérieur à la suite de multiples vexations et
brimades. Selon le Code de justice militaire, le sergent est passible de la peine de mort.
Tolstoï accepte, et le lendemain, devant le conseil de guerre, il plaide les circonstances
atténuantes. Mais les juges militaires ne le suivent pas et Chibounine est condamné à
être fusillé. Toutes les tentatives de Tolstoï pour obtenir un recours en grâce auprès du
tsar échouent, et le 9 août 1866, devant une foule de paysans en larmes et en prières,
Chibounine est passé par les armes. Sa tombe deviendra par la suite un lieu de
pèlerinage. « Pour la première fois, écrira-t-il de nombreuses années plus tard à son ami
Paul Birioukov, je compris, grâce à ses effets, que toute violence, pour s’accomplir,
6
présuppose l’assassinat ou sa menace : toute violence est donc inéluctablement liée au
meurtre. Je compris aussi que l’État est impossible sans assassinat et demeure
incompatible avec le christianisme. Et troisièmement : ce que nous appelons science est
une justification aussi mensongère du mal existant que l’enseignement de l’Église ».
Après l’intense travail que lui a demandé Guerre et Paix , Tolstoï consacre son
temps à de nouvelles lectures : Kant, Schopenhauer. Une nuit de septembre 1869, dans
l’auberge de la ville d’Arzamas, il a une crise étrange, « une angoisse, une terreur, un
effroi » qu’il décrira plus tard dans les Notes d’un fou  et auxquels il attribuera une
importance quasi-mystique. « Ce n’était pas de la peur que je ressentais ; je voyais, je
sentais que la mort venait, mais en même temps je sentais que cela ne devait pas être.
Toute ma personne ressentait la nécessité, le droit de vivre, mais en même temps je
voyais que la mort s’accomplissait. Et ce déchirement intérieur était terrible » . La
signification de la mort sera désormais au centre de ses questionnements et de ses
réflexions.
Son activité littéraire est ralentie. Passionné de théâtre, il lit Shakespeare, Goethe,
Molière, Pouchkine et Gogol. Il étudie le grec et lit dans le texte Xénophon, Platon et
Homère. Il se passionne à nouveau pour la pédagogie. Il rédige un abécédaire, Les
quatre livres de lecture , recueil de centaines de récits, fables, contes et légendes
populaires composés ou adaptés par Tolstoï. Il ouvre une nouvelle école dans sa propre
demeure, fréquentée par trente-cinq enfants de paysans de la région.
 
Au début de l’année 1873, Tolstoï reprend la plume pour écrire un nouveau roman
historique, consacré à l’époque de Pierre le Grand. Ce sera Anna Karénine . Dès le mois
de mars 1874, la première partie paraît dans le Messager russe . Le roman ne sera
7
terminé que trois ans plus tard. Il connaît immédiatement un énorme succès. « Anna
Karénine représente une perfection dans l’ordre artistique,  dira Dostoïevski ; il n’existe
rien qui puisse lui être comparé dans aucune des littératures européennes de notre
temps ». Tolstoï est alors considéré comme l’un des plus grands écrivains russes, l’égal
de Gogol et Pouchkine, mais il ne porte que peu d’attention à ces éloges. Son esprit,
désormais, est tourné vers des préoccupations tout autres que littéraires.
Le moraliste
Lorsqu’il écrit ses Confessions entre 1879 et 1882, c’est une nouvelle période de sa vie
qui commence, celle où l’artiste cède le pas au moraliste et au prophète. Il renie
hautement l’existence qu’il mène, s’accuse, se confesse avec toute la sincérité, toute la
passion, toute l’ardeur, toute la brutalité de son tempérament. Dans le même  temps, il se
livre à des recherches très approfondies qui vont lui permettre de clarifier définitivement
sa conception du christianisme et sa position vis-à-vis de l’Église. Le point de départ de
la réflexion de Tolstoï réside en une interrogation toute simple : Comment est-il possible
que l’Église justifie dans les faits la guerre et la peine de mort, tandis qu’elle
recommande en paroles la doctrine de Jésus qui enseigne le devoir de rendre le bien
pour le mal ?
Ses recherches l’amènent à travailler simultanément sur plusieurs ouvrages qui
seront tous censurés dès leur parution : Critique de la théologie dogmatique (1979-1881),
Concordance et traduction des quatre évangiles , à partir duquel il rédigera un Abrégé de
l’Évangile et enfin, En quoi consiste ma foi (1884) qui énonce les principes de l’évangile
tolstoïen. Tolstoï rejette les commentaires « tendancieux » et les dogmes des Églises. La
substance de la doctrine chrétienne se résume en cinq préceptes qu’il extrait directement
8
des Béatitudes : ne jamais se mettre en colère contre quiconque, ne pas désirer
posséder une autre femme que celle avec laquelle on est uni, ne jamais prêter serment à
qui que ce soit, ne pas résister au méchant par la violence, ne pas faire la guerre.
Jusqu’à sa mort, Tolstoï n’aura de cesse de combattre les dogmes et les
orthodoxies des Églises avec la plus extrême virulence. Pour lui, les Églises sont des
« institutions antichrétiennes ». Elles représentent l’orgueil, la violence, la sanction
arbitraire, l’immobilité et la mort. Elles devraient être un facteur de réunion et de
communion, elles n’ont toujours été qu’ « une des causes principales du désaccord entre
les hommes, de la haine, des guerres, des discordes, des inquisitions, des Saint-
Barthélémy, etc. » La conclusion s’impose : il faut s’affranchir de la tutelle des Églises.
Au début de l’année 1882, Tolstoï est appelé à faire partie des personnalités qui
dirigeront les opérations de recensement de la ville de Moscou. Il découvre alors
l’effroyable misère populaire des villes. Il visite les taudis, les asiles de nuit où
s’entassent d’innombrables miséreux, ivrognes et prostituées. Tolstoï dénonce alors
dans des articles retentissants cette société où l’égoïsme l’emporte sur toutes les valeurs
chrétiennes. Cette misère qu’il a côtoyée résulte selon lui d’une organisation économique
fondée sur l’esclavage des ouvriers et des paysans. Et cet esclavage se pratique par
l’asservissement des uns par les autres au moyen de la menace du meurtre, par la
privation de la terre et des réserves de nourriture, et par l’extorsion d’argent par le biais
de l’impôt. Pour Tolstoï, si l’homme ne veut pas se rendre complice de la servitude des
pauvres, il ne doit pas « jouir du travail d’un autre, ni en possédant la terre, ni en servant
le gouvernement, ni par l’argent ».
9
La vraie vie
En 1885, avec l’aide de son disciple Vladimir Tchertkov, Tolstoï fonde une maison
d’édition (le Posrednik) pour répandre les brochures, spécialement écrites pour le peuple.
Il écrit pas moins de dix-sept récits populaires, paraboles inspirées par l’Évangile. Il y
expose ce qu’est la « vraie vie », celle « qui ajoute quelque chose au bien accumulé par
les générations passées, qui augmente cet héritage dans le présent et le lègue aux
générations futures ». Vendues à un kopeck, ces brochures sont diffusées à des
centaines de milliers d’exemplaires dans toute la Russie. Elles feront l’objet d’une
interdiction en 1887 par le Comité de censure. Voulant se rapprocher du peuple, Tolstoï
s’habille en moujik. Il se livre à divers travaux manuels, apprend à confectionner des
chaussures, à bâtir un four. Il fauche au côté des paysans, charrie du bois, fait lui-même
le ménage de sa chambre.
S’il fait l’apologie de la vie authentique des gens simples, Tolstoï n’en continue pas
moins à dénoncer, dans des œuvres tragiques et pénétrantes, la vie de « chimère » que
les hommes ont organisée pour leur perte. La mort d’Ivan Ilitch (1886), La puissance des
ténèbres (1887), Les fruits de l’instruction (1889), La sonate à Kreutzer (1889), Le Père
Serge  (édition posthume), Maître et Serviteur  (1895) sont les œuvres les plus
significatives de cette période. Dans ces années-là, Tolstoï poursuit sa quête
philosophique et s’intéresse de plus en plus aux œuvres de sagesse orientale qu’il
fréquente depuis plusieurs années : Il lit Bouddha, Confucius, Lao-tseu, mais aussi
Épictète, Pascal, Kant. Il relève des milliers de citations à travers la littérature universelle
qu’il publiera par la suite sous forme de recueils de pensées et de préceptes sur la vie
morale. L’aboutissement immédiat de cette recherche sera l’élaboration d’un nouvel
essai philosophique intitulé De la vie (1887).
10
À la fin des années 1880, la renommée de Tolstoï est internationale. De nombreux
visiteurs se pressent à Iasnaïa Poliana pour converser avec le « maître ». On lui écrit du
monde entier pour lui demander des conseils. Des communautés se constituent fondées
sur son enseignement. Cette popularité ne manque pas d’inquiéter le gouvernement.
Depuis que Tolstoï s’est engagé dans le domaine politique et social, avec ses articles sur
la famine, il fait l’objet d’une surveillance continue. Cependant, les autorités se refusent à
prendre des mesures trop répressives contre l’illustre écrivain – bannissement,
emprisonnement, déportation – par crainte des « désordres » que susciterait une pareille
sanction. Elles se contentent d’interdire et de confisquer ses ouvrages et de poursuivre
ceux qui les diffusent.
Lexcommunication
En 1893, Tolstoï termine un ouvrage qui devait tant influencer Gandhi, alors jeune
avocat en Afrique du Sud. Le royaume de Dieu est vous  est une critique virulente de la
violence de l’État, du service militaire et de la guerre. « Jamais aucune œuvre ne m’a
donné autant de mal », écrira-t-il à son plus proche collaborateur, après trois ans
d’efforts. Sa réflexion a mûri et il tire les conséquences politiques et sociales de la
doctrine chrétienne. L’œuvre sera interdite par la censure dès sa parution et ne circulera
que sous forme de copies dactylographiées. « L’État , écrit sans détour Tolstoï, c’est la
violence. Le christianisme, c’est l’humilité, la non résistance au mal par le mal, l’amour ;
c’est pourquoi l’État ne peut être chrétien, et l’homme qui veut être chrétien ne peut
servir l’État ». Tolstoï prône donc l’insoumission à l’État. Mais pour résister à la violence
du pouvoir, il martèle avec force qu’il n’y a qu’un seul moyen : s’abstenir soi-même de
participer à la violence. « La violence engendre la violence, c’est pourquoi la seule
11
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents