« Ce dernier tour d escrime » - article ; n°1 ; vol.33, pg 53-64
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1981 - Volume 33 - Numéro 1 - Pages 53-64
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1981
Nombre de lectures 27
Langue Français

Extrait

Elaine Limbrick
« Ce dernier tour d'escrime »
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1981, N°33. pp. 53-64.
Citer ce document / Cite this document :
Limbrick Elaine. « Ce dernier tour d'escrime ». In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1981, N°33. pp.
53-64.
doi : 10.3406/caief.1981.1897
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1981_num_33_1_1897« CE DERNIER TOUR D'ESCRIME »
Communication de Mme Elaine LIMBRICK
(Victoria)
au XXXIIe Congrès de l'Association, le 21 juillet 1980.
L'argumentation paradoxale employée par Montaigne dans
Y Apologie de Raimond Sebond a souvent laissé la critique
perplexe devant le problème de sa pensée religieuse. Le titre
annonce, semble-t-il, une défense de la Théologie Naturelle
de Sebond, mais en réalité il s'agit d'une longue attaque
contre la raison humaine qui prétend parvenir à la connais
sance des choses humaines et divines. Joute éristique, pourrait-
on dire, où le désir de l'emporter sur l'adversaire fait naître
une dialectique à double tranchant. Etrange paradoxe : d'une
part, la recherche de la vérité conduit à la certitude socratique
qu'on ne sait rien, d'autre part, elle aboutit à l'affirmation
du principe sceptique de l'ataraxie. Montaigne proclamera f
inalement que cette recherche de la vérité est présomptueuse,
car notre sagesse n'est que folie devant Dieu.
Pour comprendre le dessein polémique de l'Apologie, il
nous semble essentiel de tenir compte non seulement des
circonstances historiques qui ont contribué à la genèse de
l'œuvre mais aussi des traditions philosophiques et théologi
ques dont s'est inspiré Montaigne. Or, l'Apologie est à la fois
dialogue philosophique, reflétant la lutte entre l'idéalisme
et le réalisme, et dialogue théologique, scrutant les rapports
* Tout renvoi au texte des Essais se réfère à l'édition de la Pléiade des
Œuvres Complètes (Paris, Gallimard, 1962). 54 ELAINE LIMBRICK
entre la foi et la raison. Ces deux dialogues sont des cons
tantes dans l'histoire de l'apologétique chrétienne. Reste à
savoir si l'on peut éviter, pour citer Pascal, « Deux excès :
exclure la raison ; n'utiliser que la raison. » Terrain difficile
et fort controversé sur lequel il nous faut avancer, en affi
rmant notre conviction profonde, comme le fait Paul Oskar
Kristeller, que la seule méthode valable pour l'historien, c'est
le retour aux sources premières, aux documents contempor
ains (1).
Considérons d'abord les intentions de l'auteur. Au début
de l'Apologie, Montaigne nous parle de son pieux désir de
plaire à son père en traduisant le livre Theologia naturalis
sive liber creaturarum magistři Raymondi de Sabonde, ou
vrage qui avait connu un certain succès, et qui avait attiré
l'attention de Marguerite de Valois, celle qui, vraisemblable
ment, avait chargé Montaigne d'entreprendre cette apolo
gie (2). Cette traduction avait, sans doute, donné à Montai
gne des connaissances solides sur la théologie naturelle.
Adrien Turnèbe n'appelle-t-il pas le livre de Sebond « quelque
quinte essence tirée de S. Thomas d'Aquin » ? (p. 417). Bien
que Montaigne reconnaisse avec modestie que la défense de
Sebond « seroit mieux la charge d'un homme versé en la
Theologie, que de moy qui n'y sçay rien », (p. 417), ses con
naissances théologiques n'étaient pas, pourtant, négligea
bles (3). D'ailleurs, grâce à l'œuvre de Sebond, Montaigne
est entré en contact avec le nominalisine et l'augustinisme
médiéval (4). Tout bien considéré, les lectures philosophiques
et théologiques de Montaigne pendant la période où il com-
(1) Pour une réfutation des thèses de Busson, voir Paul Oskar Kristeller,
« The Myth of Renaissance Atheism and the French Tradition of Free
Thought », Journal of the History of Ideas, VI (1968), 233-243.
(2) Sur la diffusion de l'influence de l'œuvre de Sebond, voir Robert
Aulotte, Montaigne. Apologie de Raimond Sebond (Paris, SEDES, 1979),
pp. 21-25.
(3) Voir Pierre Villey, Les Sources et l'Evolution des Essais de Montaigne
(1908, rpt. New York, Burt Franklin), I, pp. 244-245.
(4) Voir Antoine Compagnon, Nous, Michel de Montaigne (Paris, Seuil,
1980), p. 24. CE DERNIER TOUR D'ESCRIME... 55
posait l'Apologie, les nombreux remaniements et les additions
au texte témoignent d'un esprit toujours préoccupé des débats
religieux de son temps.
Mais les expériences personnelles de Montaigne au cours
des guerres religieuses et civiles qui avaient dévasté la France,
ces dogmatismes qui avaient amené les hommes à se servir
de la religion, toutes ces dissensions basées sur le déraisonne
ment de la raison humaine lui avaient démontré l'inefficacité
de la défense orthodoxe de la foi catholique. Il n'est donc
pas surprenant que la défense de Sebond soit aussi courte,
ni que Montaigne se réfugie dans le fidéisme religieux et
fasse une contre-attaque dont le but principal est de « froisser
et fouler aux pieds l'orgueil et humaine fierté ; leur faire
sentir l'inanité, la vanité et deneantise de l'homme ; arra
cher des poings les chetives armes de leur raison ; leur faire
baisser la teste et mordre la terre soubs l'authorité et reve-
rance de la majesté divine » (p. 426).
Montaigne, dans son avertissement à la princesse, est ple
inement conscient des dangers d'une telle méthode. Il la prie
de défendre « vostre Sebond par la forme ordinaire d'argu
menter » (p.540), c'est-à-dire par la démonstration ration
nelle des vérités chrétiennes, car, dit-il, « ce dernier tour
d'escrime icy, il ne le faut employer que comme un extreme
remède. C'est un coup desespéré, auquel il faut abandonner
vos armes pour faire perdre à vostre adversaire les siennes,
et un tour secret, duquel il se faut servir rarement et reser-
véement. C'est grande témérité de vous perdre vous mesmes
pour perdre un autre » (p. 540).
Abandonner les preuves rationnelles des dogmes chrétiens
pour mettre l'accent sur la primauté de la foi et des vérités
supra-rationnelles n'était point nouveau dans l'histoire de
l'apologétique chrétienne au xvie siècle. Déjà la critique de
la vanité et de la faiblesse des connaissances humaines avait
été entreprise par Henri Corneille Agrippa dans son traité
De incertitudine et vanitate scientiarum et artium atque excel-
lentia verbi Dei declamatio, paru à Cologne en 1527, auquel
Montaigne a fait de nombreux emprunts. Selon Agrippa, « la 56 ELAINE LIMBRICK
cognoissance que l'on a par la foy est meilleure que n'est la
demonstration que l'on fait par les causes » (5). De même,
Orner Talon dans son Academia (1550), dédiée au Cardinal de
Lorraine, professe un scepticisme académique afin de réfuter
les arguments des Epicuriens et des Aristotéliciens de son
temps qui niaient l'immortalité de l'âme. Talon y loue la liberté
et le manque de dogmatisme de l'Académie, cette modestie qui
consiste à ne pas vouloir porter un jugement sur des choses
incertaines. Il fera une distinction importante entre le scep
ticisme épistémologique et le scepticisme religieux, distinc
tion que Montaigne fera à son tour dans l'Apologie : « Quoi
donc ? faudra-t-il ne croire à rien sans argument décisif,
faudra-t-il s'abstenir de rien approuver sans raison évidente ?
Au contraire ; dans les choses religieuses, une foi sûre et
solide aura plus de poids que toutes les démonstrations des
philosophes. Cette dissertation que je fais ne vaut que pour la
philosophie humaine dans laquelle il faut d'abord connaître
avant de croire ; dans les problèmes religieux, au contraire,
qui dépassent l'intelligence, il faut d'abord croire afin d'arri
ver ensuite à la connaissance » (6). C'est là une pensée fort
ement imprégnée d'augustinisme.
Que les arguments sceptiques de l'Ancienne et de la Nouv
elle Académie aient été utilisés bien avant Montaigne pour
démolir la confiance absolue dans les connaissances humaines
et pour combattre Г « athéisme » grandissant en France ne
fait pas de doute (7). Toutefois, l'année 1562 marque un <

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