Le problème religieux de Tolstoï - article ; n°2 ; vol.159, pg 205-224
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Description

Revue de l'histoire des religions - Année 1961 - Volume 159 - Numéro 2 - Pages 205-224
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1961
Nombre de lectures 25
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Nicolas Weisbein
Le problème religieux de Tolstoï
In: Revue de l'histoire des religions, tome 159 n°2, 1961. pp. 205-224.
Citer ce document / Cite this document :
Weisbein Nicolas. Le problème religieux de Tolstoï. In: Revue de l'histoire des religions, tome 159 n°2, 1961. pp. 205-224.
doi : 10.3406/rhr.1961.7629
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1961_num_159_2_7629problème religieux de Tolstoï Le
Léon Tolstoï est mort il y a cinquante ans1.
Parmi les études qu'a suscitées ce cinquantenaire, il en
est qui ressortissent à l'entreprise de démolition, voire à
l'assassinat littéraire. Il en est d'autres, plus humaines, plus
purement biographiques, qui ne veulent pas dissimuler ce
qu'elles appellent les pauvretés et les laideurs, les contradict
ions aussi, d'une existence dont on a pu dire, paradoxale
ment, qu'elle était celle d'un héros de Dostoïévskij.
D'une manière générale, on constate une dissociation tout
aussi arbitraire qu'erronée entre l'écrivain et le penseur. En
bref, après sa crise de conscience, d'écrivain génial Tolstoï
serait devenu un banal predicant, et pour certains, un rabâ
cheur. Il semble qu'on puisse imputer ces positions diverses à
une certaine méconnaissance de la personnalité même et des
problèmes intérieurs de Tolstoï, du fait que tout ce qu'on a
pu connaître et publier des Journaux intimes de l'écrivain
ne représente qu'une partie minime, souvent tronquée et
par conséquent faussée, des Journaux intimes et des Carnets,
pris dans leur intégralité.
Il se trouve que dans l'Édition du Centenaire dont le
quatre-vingt dixième et dernier volume vient de sortir (elle
a élé entreprise en 1928), ces Journaux intimes et ces Carnets
représentent onze volumes in-octavo, et il convient de pré
ciser au passage que les volumes les plus denses correspondent
aux vingt dernières années de l'écrivain, celles justement où
le problème qui le tourmentait depuis si longtemps se posait
à lui avec une acuité toute particulière.
Il suffît alors, ne serait-ce que de feuilleter ces volumes,
1) Conférence prononcée le 7 février 1961 au Collèere Philosophique (Paris).
14 206 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
pour retrouver le fil conducteur de la pensée de Tolstoï.
Certes, on s'aperçoit de certaines hésitations, de certains reculs
même, et cependant la progression spirituelle de l'homme nous
apparaît constante et pour ainsi dire déterminée.
Et lorsqu'après avoir refermé le dernier volume du Journal
intime on se reporte aux œuvres proprement littéraires de
l'écrivain ou à sa correspondance, on y voit transparaître
comme en filigrane ses préoccupations religieuses et morales
du moment.
En fait, tout au long de sa vie, Tolstoï a été préoccupé
par les problèmes essentiels de la vie spirituelle et morale.
Toutefois, ces aspirations seront marquées au coin de sa
nature propre, faite tout à la fois d'un besoin d'absolu, d'inté
gral, en même temps que d'une recherche constante de l'imméd
iat, du réel, du connu, du tangible.
Passées les années d'enfance, empreintes d'une religiosité
juvénile qu'il a héritée de l'atmosphère familiale de lasnaïa
Poliana et de la piété de ses tantes, il manifestera très vite,
sous l'influence de ses lectures, un goût, un appétit de la spé
culation intellectuelle. Comme tout apprenti philosophe, il
a lu entre seize et dix huit ans Spinoza, Hegel, Rousseau.
Mais l'impérieux besoin qui est en lui de cristalliser d'une man
ière visible les vérités auxquelles il accède, le poussera
à les exprimer en des formules imagées. C'est ainsi qu'il
découvre un jour, au tableau noir, que la symétrie des figures
géométriques est agréable à l'œil. Aussitôt, qu'est-ce que la
symétrie ? se demande-t-il. C'est un sentiment inné. Est-ce
que dans la vie tout est symétrie ? Il se représente la
vie comme une figure ovale, l'œuf des philosophies orientales
qu'il découvrira par la suite. Après la vie, l'âme passe dans
l'éternité. Qu'est-ce donc que l'éternité ? Voilà, et le jeune
Léon trace à la craie d'un côté de l'ellipse une ligne droite qui
file jusqu'à l'extrémité du tableau. Parvenu à l'âge mûr, il défi
nira de la même façon la vie comme l'asymptote de l'éternité.
Pour le moment sa jeune intelligence se passionne de
scepticisme ; il doute de tout, surtout du monde des phéno- LE PROBLÈME RELIGIEUX DE TOLSTOÏ 207
mènes. Il lui arrive, dans son exaltation, de regarder soudain
derrière lui, autour de lui espérant trouver le néant à l'impro-
viste, là où il ne se trouvait pas lui, le jeune Léon Tolstoï.
On pourrait espérer, dans de tels débats, trouver au moins
une trace de l'éducation religieuse de la petite enfance, des
souvenirs de la Création, de l'harmonie préétablie, d'un équi
libre initial, en un mot, les traces d'une foi religieuse qui per
met d'aborder de tels problèmes avec une certaine sérénité.
Il n'en est pas question chez le jeune Tolstoï. Dès son adoles
cence, il est avant tout un être de raison, et non pas de foi. Vers
quatorze ou quinze ans, n'a-t-il pas découvert avec son cama
rade Milioutine que Dieu n'existait pas ? Il raisonne, il ne
croit pas. Il pressent les grands problèmes, il tente de les
résoudre, mais avec orgueil, par lui-même, sans faire appel à
la foi de sa mère et de ses tantes.
Des problèmes moraux et philosophiques, où il est question
du Bien et du perfectionnement moral, il passe très vite aux
problèmes spirituels et métaphysiques : il s'agira désormais
pour lui d'aborder des problèmes tels que celui cle l'Être
suprême, de la vie future, de l'immortalité de l'âme. Et c'est
ainsi qu'à vingt-quatre ans, après bien des alternatives de
sérénité et d'angoisse, il en arrive à composer un Credo à son
usage personnel :
Je crois en un seul Dieu, inconcevable (Tolstoï reconnaît humble
ment son impuissance et fléchit le genou) Dieu de bonté. Je crois en
l'immortalité de l'âme et en la rétribution éternelle de nos actes.
Je ne comprends pas le mystère de la Trinité et de la naissance du
iils de Dieu (Tolstoï passe au nombre des raisonneurs incroyants) mais
je respecte et ne réfute pas la foi de mes pères1.
Ainsi, dès sa jeunesse, la raison chez lui l'emporte sur la
foi, et c'est précisément parce qu'il a, au plus profond de
lui-même, ce besoin de voir et de toucher pour croire qu'il
peut écrire le 13 octobre 1860, un mois après la mort de son
frère, que « au cours même des funérailles de Nikolenka, il
Г Journal intime, 1 1 novembre 1852, OCEDC, t. M. р. 1-Ш. 'OCEDC, : Œuvre*
ruriiplť-tes. Edition du Ontenaire.) 208 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
lui est venu l'idée d'écrire un évangile matérialiste, la vie
d'un Christ matérialiste1 », c'est-à-dire d'un Christ qui soit
humainement préhensible et concevable.
Avant même d'être posé véritablement le problème des
relations de l'homme avec Dieu s'élargit, s'appronfondit.
Tolstoï regarde autour de lui et que voit-il ? Il découvre un
clergé trop souvent indigne et ignorant à ses yeux ; parmi
les hommes, il voit l'intolérance, le meurtre individuel érigé
en institution sociale : il assiste à Paris, à une exécution
capitale et prend la fuite, horrifié ; devant un tribunal mili
taire, il défend le soldat Chibounine qui est passé par les armes.
Il ne voit que l'égoïsme féroce, desséchant, qui fait oublier à
l'être humain non seulement la charité chrétienne la plus
élémentaire, mais ses premiers devoirs d'homme. Et, il se
demande alors dans son angoisse où est cet esprit évangélique
dont on lui a tant parlé dans sa petite enfance, où est ce
royaume des frères fournis, dans lequel aux dires de Nikolenka
Tolstoï, tous les hommes vivaient fratern

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