Silence, culture et civilisation  - article ; n°144 ; vol.47, pg 223-234
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Description

Revue d'histoire de l'Église de France - Année 1961 - Volume 47 - Numéro 144 - Pages 223-234
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1961
Nombre de lectures 14
Langue Français

Extrait

Hilaire Duesberg
Silence, culture et civilisation
In: Revue d'histoire de l'Église de France. Tome 47. N°144, 1961. pp. 223-234.
Citer ce document / Cite this document :
Duesberg Hilaire. Silence, culture et civilisation . In: Revue d'histoire de l'Église de France. Tome 47. N°144, 1961. pp. 223-234.
doi : 10.3406/rhef.1961.3275
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhef_0300-9505_1961_num_47_144_3275CULTURE ET CIVILISATION1 SILENCE,
Parmi les habitants de la Bible, figure un peuple, situé sur les
bords du Nil, dont les gouvernants sont restés fameux par leur
sagesse. Les écrivains sacrés de l'époque royale, — prophètes ou
chroniqueurs — en parlent à l'envi; tantôt ils la dénigrent, tantôt
ils lui comparent, pour en faire l'éloge, la sagesse du roi Salomon.
Dans l'un ou l'autre cas, c'est un hommage qu'ils lui rendent.
La sagesse égyptienne émane d'une civilisation de la parole,
écrite ou orale, dont les scribes, étages depuis le Pharaon jusqu'aux
simples employés du domaine, détiennent les secrets. Us les ont
codifiés à l'usage des apprentis de la corporation, en des livres
scolaires. Ils y prônent la virtuosité dans le métier, point de dé
part indispensable pour faire une fructueuse carrière, mais auss
i une ascèse très exigeante qui gouvernera la conduite du fonc
tionnaire à travers les étapes de son ascension vers les plus haut
es dignités. Le désintéressement à l'endroit du succès n'est pas
exclu de ce programme austère.
Entre les vertus que leurs anciens recommandent aux disciples,
figure en bonne place l'habitude du silence qu'il importe qu'ils
cultivent. La Règle de saint Benoît propose une doctrine analo
gue, pour des motifs différents d'ailleurs, mais avec des moyens
semblables. Il peut n'être pas sans intérêt de faire la comparais
on.
La pratique du silence ressortit à l'art de parler : « La langue
de l'homme est le gouvernail du bateau » (Ani, p. 105; cfr Je 3,
4). Ceci démontre le pouvoir souverain de la langue, donc de la
pensée qu'elle exprime, et la prudence qu'on doit mettre à la man
ier.
« Si tu es une Excellence au conseil, tais-toi; parle seulement
si tu sais que tu résoudras la difficulté » (Ptah-hetep, p. 104).
« II faut dire tout uniment ce qu'on sait, comme convenir de ce
qu'on ignore. On se tait, et on dit : J'ai parlé » p. 91).
L'art de parler c'est l'art d'exposer sa pensée et d'en commun
iquer les vertus. Pour être efficace, il sera probe en même temps
qu'exact. Le silence s'impose à qui n'est pas au courant de la
question débattue en conseil. Parler au hasard est faire preuve
1. Les références de la sagesse égyptienne sont suivies d'un numéro
de page renvoyant au tome I des Scribes inspirés, de Dom Hilaire
Duesberg (Paris, Desclée de Brouwer, s. d. (19&8).
Les citations de la Règle de Saint Benoît sont tirées de la traduction
des « moines de Corbières », éditée en 1955 par le Prieuré Saint^Benoît
de Port-*Valais, le Bouveret (Suisse). 224 H. DUESBERG
de sottise et de malhonnêteté quels que soient les artifices dont
on masque sa pénurie intellectuelle. Mais l'homme en mal d'ar
river se prive difficilement d'un succès illusoire, il préfère en
imposer à son auditoire et courir le risque d'être démasqué par
mieux entendu que lui.
Le silence impose qu'on soit discret : « N'ouvre pas ton cœur
à l'homme. Un mot malheureux est sorti de ta bouche ? qu'il le
répète, tu te fais un ennemi. L'homme s'abîme par la faute de sa
langue » (Anï, p. 104-105). Livrer sa pensée sur autrui, c'est se
livrer soi-même.
Il y a la discrétion professionnelle, de l'honnête homme :
« N'écoute pas les paroles d'un Grand, en sa maison, pour les ra
conter à un autre au dehors » (Ani, p, 105).
« Ce qui plaît à Samas (le dieu solaire babylonien) : qui en
tend une chose et ne la répète pas » (Ahiqar araméen, p. 105).
« Ne révèle pas tes secrets à tout le monde, tu détruirais ta ré
putation » (Amen-em-ope, p. 105).
Ani (p. 104) se montre plus doctrinal et plus ascétique : « Ne
discours pas trop; garde le silence pour devenir meilleur. »
« Ne sois pas bavard. Une chose agréable au cœur de Dieu, c'est
qu'on soit lent à parler. » L'ascèse devient morale, voire reli
gieuse.
« Si tu es sage et modeste, retiens ton sentiment; que ta bou
che soit serrée, ta parole réservée; comme la richesse humaine,
que tes lèvres soient parcimonieuses. » Nous dépassons ici l'a
spect recette de métier. « Sage et modeste >, c'est l'esquisse d'un
idéal de moralité qui tend à devenir profonde.
Le scribe qui se tait opportunément s'appelle le silencieux,
gr. C'est l'adjectif d'une qualité, mais c'est également un titre re
ligieux.
Le verbe gr signifie : se taire, être paisible, voire être apathi
que, au sens propre du mot, sans passion. — Le gr.w c'est le s
ilencieux, le taciturne, l'homme paisible, patient, humble : « Thot,
sauve-moi, le silencieux, et le silencieux trouve la source » (Sal-
lier, p. 113). — « Je fus un depuis que je sortis du
sein de ma mère » (stèle XXIP dyn. p. 113). — Le gr. s'appelle
aussi le gr m3', « un silencieux qui rend témoignage à la vérité »
(XVIII* dyn., p. 144). C'est le titre que se donne Amen-em-ope, et
il a une portée religieuse.
Le silence est une attitude morale et calculée : « J'ai obtenu
cela par mon silence et mon habileté » (stèle XIX9 dyn., p. 113).
Nous rejoignons l'art de parler, c'est-à-dire de se faire entendre en
ne pipant mot : « Montre lui par ton silence, quand il parle de
travers, que tu es meilleur que lui. » II s'agit d'un égal, mais voi
ci pour l'homme du commun qui déraisonne : « Applique-lui le
châtiment des Grands » — soit un silence réprobateur qui le re
jette dans sa condition (Ptah-hetep, p. 13 et 14). CULTURE ET CIVILISATION 225 SILENCE,
Le gr se complète du kb qui signifie « froid » : « Je suis froid,
exempt de précipitation d'esprit, connaissant ce qui réussit, pré
voyant ( litt. pensant) l'accident » (Antef, p. 114). C'est le por
trait d'un homme réfléchi qui se tient à l'abri des illusions. —
« Une bouche froide », attribut de Thot, le dieu-scribe, est l'équi
valent « d'une bouche rafraîchissante », exempte de précipitat
ion, circonspecte (p. 115 et 116).
Si gr et kb vont de pair, ils s'opposent également à toute manif
estation d'ardeur : « Le roi me loua car j'étais un vrai silencieux,
il m'aima parce que j'éteignais la chaleur ». Nous sommes au pays
du soleil incandescent, bienfaisant et nuisible tout ensemble.
« J'étais un vrai silencieux qui apaise la chaleur. » — « Un s
ilencieux au cœur doux, à la bouche rafraîchissante, qui éteint la
chaleur » (p. 117). Nous revenons à l'art de discourir efficace
ment.
L'antagoniste du gr sera l'échauffé, le violent, smm. Antef (p.
114). « Je reste silencieux pour le violent et pour l'ignorant, afin
que l'impudent soit repoussé. » Ce qui veut dire : je ne cède ni
aux violences de langage ni aux inepties. Aussi l'eau douce qui
rafraîchit est accordée par Thot au silencieux, mais refusée au
bavard et au querelleur {p. 115).
Cet échauffé va de compagnie avec le malfaiteur, le disputeur,
l'ennemi, l'homme cupide et voleur. « Le bateau du silencieux na
vigue... le bateau du cupide s'arrête embourbé dans la vase »
(Amen-em-ope, p. 114). Il est voué à l'échec, parce qu'il s'aban
donne à toutes les passions par son incontinence de paroles :
« L'échauffé, dans le temple, est comme un arbre qui a poussé; en
un instant il perd ses branches et il trouve sa fin... Il est emporté
loin de sa place et ïa flamme est son tombeau... Le vrai silen
cieux... est comme un arbre qui pousse dans un jardin. Il verdoie
et double son fruit... ■» (Amen-em-ope, p. 113).
« Dans le temple », cette expression fait de l'échauffé et du
gr ies hôtes de la maison de Dieu, mais avec un destin divergen

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