Alcoolisme et antialcoolisme en France au XIXe siècle : autour de Magnus Huss - article ; n°4 ; vol.3, pg 609-628
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Description

Histoire, économie et société - Année 1984 - Volume 3 - Numéro 4 - Pages 609-628
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1984
Nombre de lectures 58
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Henri Bernard
Alcoolisme et antialcoolisme en France au XIXe siècle : autour
de Magnus Huss
In: Histoire, économie et société. 1984, 3e année, n°4. pp. 609-628.
Citer ce document / Cite this document :
Bernard Henri. Alcoolisme et antialcoolisme en France au XIXe siècle : autour de Magnus Huss. In: Histoire, économie et
société. 1984, 3e année, n°4. pp. 609-628.
doi : 10.3406/hes.1984.1380
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hes_0752-5702_1984_num_3_4_1380ALCOOLISME ET ANTIALCOOLISME EN FRANCE
AU XIXe SIECLE
(autour de Magnus Huss)
par Henri BERNARD
ALCOOLISML, ANTIALCOOLISML, MI Ш С INF , HISTOIRL
L'usage et l'abus des boissons enivrantes sont un phénomène qui tient tellement à
l'homme qu'il l'accompagne en toute perpétuité. Pour en symboliser permanence et
évidence, il est d'usage dans notre tradition culturelle d'évoquer les figures bibliques
de Noé à sa vigne, de Lot qui succombe à l'inceste, de Ben-Hadad vaincu sur le champ
de bataille, de Holopherne décapité, et de rappeler les sentences des prophètes. On
n'a garde d'oublier les exemples gréco-romains : intempérance du grand Alexandre,
bacchanales et orgies. Des livres entiers narrent ces excès antiques, mais les périodes
ultérieures fournissent à l'envi leurs personnages ébrieux et leurs scènes d'ivrogner
ie (1), sous le sceau de la violence ou du pittoresque, du rite ou du raptus, sous l'habit
du quidam ou du grand du monde. Les références ne manquent pas pour autant en
dehors de notre civilisation, depuis le soma des Hindoux, la bière des Égyptiens, l'alcool
de ri? des Chinois. « II n'existe probablement aucun temps ni aucun pays où l'on n'ait
fait usage dans des occasions déterminées, ou même sans occasion aucune, de boissons
alcooliques et cela, toujours dans le même but et très souvent avec le même résultat :
arracher l'âme, fût-ce de force, à la vie de tous les jours. » (2)
Le penchant paraît bel et bien de tous les lieux et de toutes les époques ; son
historicité est dés lors aléatoire. Ce qui est historique, c'est ce qui vient freiner ou
exalter son application, selon le jeu par exemple des conditions météorologiques,
des déterminismes économiques, des règles sociales. On peut avancer que l'histoire
de l'alcool est l'histoire de l'ingéniosité qu'a déployée l'homme pour assouvir son
penchant, contournant les entraves mises à sa consommation. La découverte de la
distillation, le phylloxéra du XIXème siècle, le speakeasy américain des années 1920,
sont des événements de cette histoire.
L'observation de l'ivresse et de ses conséquences est aussi ancienne que l'évocation
de l'abus. La clinique s'affûtait en notant l'incoordination motrice, l'enjouement,
la crise de fureur ou la cécité progressive. Il y a vingt-cinq siècles, Hindon Ayurvedic
1 . Ce mot, qui reviendra souvent sous notie plume, ne doit pas choquer le lecteur C'est précis
ément à lui que s'est confronté le mot plus récent d'alcoolisme
2. Leuin, p 1 66 HISTOIRE FCONOMIL LTSOCIÍTF' 610
découvrait la gueule de bois, avec ses vomissements, son tremblement, sa lassitude,
et Hippocrate relevait des cas d'agitation, de délire et de frisson dans l'après-boire.
Il y a au moins dix-huit siècles que la cirrhose du foie est individualisée ; Hérodote
dépeignait un delirium tremens ; Pline brossait le portait de l'alcoolique ; les rapports
de l'alcool et de la folie étaient appréhendés. Pour anciennes que soient les constata
tions médicales, elles n'en sont pas moins datées. Les manifestations du comportement
passent avant les descriptions d'organes, l'ivresse précède les tableaux chroniques,
la chimie ne vient que longtemps après les premières constructions nosographiques.
Ce mouvement va son train, apporte de nouveaux faits et ménage de nouveaux regrou
pements. La médecine en tant qu'observant, rationalisant, soignant les effets de l'i
ngestion d'alcool, est matière historique.
L'attitude médicale ne s'arrête pas là. Par le biais du pronostic et de la prophylaxie,
elle porte peu ou prou un jugement sur le boire. Ainsi, Hippocrate n'est pas contre
une intempérance occasionnelle, s'il estime funeste l'abus permanent. La médecine
participe des différentes réactions qui se font jour dans une société face aux conduites
d'ivrognerie, et qui visent en général à les canaliser, à les borner. Quand le clergé
excommunie, quand la police réprime l'ivresse publique, quand l'administration met
sa tutelle sur les allocations familiales, le médecin, lui, contre-indique, atteste de
fâcheuses complications et prescrit l'antabuse. Non sans fluctuations ni contradictions,
car le penchant à la boisson suscite ses propres idéologies de bienfaisance.
« Je ne connais aucune époque où la lutte contre l'alcoolisme n'ait pas été tentée. Ce fut tantôt
en grand et tantôt en petit. Les essais furent faits, soit par des groupements, soit par des individus
isolés. Les uns parlèrent aux buveurs le langage de la religion, d'autres celui de la simple raison,
ou bien on fit parler la voix, inflexible comme l'airain, de lois anti-alcooliques. Enfin on s'est
efforcé aussi de rendre impossible l'existence de l'alcoolisme et même de supprimer l'existence
de l'alcool de consommation. Tout cela n'eut aucun effet, ou un effet très limité, exception
faite pour l'Islam qui, pendant plusieurs siècles, a tenu ses adeptes éloignés des boissons alcoo
liques, mais n'a pu empêcher l'emploi de leurs équivalents. » (3)
Puisque l'histoire de l'alcoolisme est l'histoire d'une ingéniosité au travers de
contraintes adverses, c'est l'anti-alcoolisme qui la fait. Dans le présent article, nous
en examinerons quelques caractères au cours du XIXème siècle, en Europe.
L'ALCOOLISME EN FRANCE AU XIXe SIECLE
Comme d'autres pays, la France voit aux XIXème siècle croître dans des proport
ions alarmantes sa consommation de boissons alcooliques. La production vinicole
augmente malgré quelques dégâts du vignoble, la distillation artisanale et industrielle
prend de l'ampleur, le nombre des débits de boissons passe de 282 000 à 435 000
entre 1830 et 1900. Dans le même laps de temps, la consommation moyenne de
l'adulte se hausse de 15 litres d'équivalent-alcool-pur l'an à 35 litres, et la part de
l'alcool de distillation double, de 12 à 25 % (4). La tendance à l'alcoolisation de
plus en plus forte est nette.
3. Lewin, p. 192.
4. Cf. Ledermann, pp. 60, 65, 74, à qui nous renvoyons aussi pour l'analyse critique de ces
données. ALCOOLISME Ы AN I IALC OOLIbMI LNIRANCt 611
Les répercussions s'en font vite sentir sur la pathologie. En 1808-1813, l'ivrognerie
est estimée causer l'admission de 10 7( des aliénés à l'hospice parisien de Bicêtre (5) ;
le taux est de 1 2 r/ à l'asile normand de Saint-Yon en 1835-1843 (6). Dans ces mêmes
contrées, qui sont du reste parmi les plus intempérantes de France, les choses se sont
beaucoup aggravées en fin de siècle, puisque l'estimation monte à 29 (/r à Paris en
1888 (7), à 27 7f en Seine inférieure en 1901 (8). C'étaient quelques exemple parmi
beaucoup. Ces statistiques ne sont certes pas rigoureusement fiables ni comparables,
aux yeux de l'épidémiologie moderne ; ce qui importe c'est leur tendance confirmée
de tous côtés (9), et dont les commentateurs d'époque déploraient qu'elle sous-estimât
même le phénomène. Disons que la proportion des malades admis en raison de leur
intempérance dans les asiles d'aliénés double ou triple au courant du siècle.
Il est une différence d'envergure entre les premiers et les derniers de ces recueils.
Dans les premiers, l'alcool n'intervient pas au niveau du diagnostic, mais dans l'inven
taire des facteurs causaux. On distingue alors des prédispositions d'une part, des
causes essentielles et des causes déterminantes d'autre part, et l'on se demande si la
cause déterminante qu'est l'ivrognerie est morale ou physique. Dans les derniers re
cueils, les cas sont en revanche diagnostiqués comme « alcoolisme », avec des sous-
groupes comme aigu, subaigu, chronique. C'est qu'entretemps le concept d

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