Aux femmes convient – je crois – le silence - article ; n°1 ; vol.36, pg 87-96
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Description

Collection de la Maison de l'Orient méditerranéen ancien. Série littéraire et philosophique - Année 2006 - Volume 36 - Numéro 1 - Pages 87-96
This contribution clarifies the relation that exists between the voice and the silence of certain female figures, in relation with the dense, rich dialogue that the romance has interwoven with the theatrical tradition. It is a path of research that is more elusive but no less attractive, with the different methods with which this great tradition fixed its owns myths upon icons. Their destiny is to survive the centuries, remaining intact.
Cette enquête éclaire le rapport qui existe entre la voix et le silence de certaines figures féminines, en relation avec le dialogue dense et fécond que le roman a tressé avec la tradition théâtrale. C’est un chemin de recherche plus incertain mais non moins attrayant, avec les différentes modalités dans lesquelles cette grande tradition a fixé ses propres mythes sur des icônes. Leur destin est de vivre au long des siècles, en restant intactes.
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2006
Nombre de lectures 38
Langue Français

Extrait

AUX FEMMES CONVIENT
– JE CROIS – LE SILENCE
1Daria CRISMANI
RÉSUMÉ
Cette enquête éclaire le rapport qui existe entre la voix et le silence de
certaines figures féminines, en relation avec le dialogue dense et fécond que le
roman a tressé avec la tradition théâtrale. C’est un chemin de recherche plus
incertain mais non moins attrayant, avec les différentes modalités dans
lesquelles cette grande tradition a fixé ses propres mythes sur des icônes. Leur
destin est de vivre au long des siècles, en restant intactes.
ABSTRACT
This contribution clarifies the relation that exists between the voice and
the silence of certain female figures, in relation with the dense, rich dialogue
that the romance has interwoven with the theatrical tradition. It is a path of
research that is more elusive but no less attractive, with the different methods
with which this great tradition fixed its owns myths upon icons. Their destiny is
to survive the centuries, remaining intact.
Depuis toujours fuyant les définitions, le roman, palimpseste polyphonique et
ré-écriture pluridiscursive, a trouvé ces dernières années des perspectives d’enquête
plus équilibrées, qui, à travers l’analyse de ses lieux communs, ont mieux défini le
rapport privilégié que les romanciers instituèrent avec le théâtre, et avec la comédie

* Je remercie de tout cœur Maryse Darmon pour l’aide qu’elle m’a apportée dans la traduction de ce
texte et Jocelyne Peigney, qui, avec sensibilité et maîtrise, a su interpréter et corriger chaque défaut
de cet écrit.
1. Université de Trieste. `
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88 D. CRISMANI
de Ménandre en particulier, « précurseur le plus évident », dont l’œuvre est
2« matrice dominante » du roman .
Modèle pour la diaqesi" twn pragmatwn, la comédie inspire comme la
tragédie des situations, des proswpa, et suggère jusqu’à des mots mêmes. De temps
en temps, référence est faite à un modèle bien précis, que l’on rend manifeste ou que
l’on introduit par une citation ; à d’autres moments, l’allusion est plus vague, mais
plus féconde pour la narration ; on retrouve le modèle par analogie ou par contraste ;
d’autres fois encore l’inspiration ne vient pas directement des textes de la tradition,
mais d’expériences scéniques moins connues ou de sources d’un tout autre genre ;
ainsi, peut-être la folie de Leucippé (Ach. Tat., IV, 9) et d’Anthia (Xén., Éph., V, 7),
ou bien le soulagement plein de tristesse de Chariclée toute seule – seulement en
3apparence – dans sa chambre de vierge (Hld., VI, 8) .
Ménandre écrivit une Thessalienne, Leucippé fut célèbre dans le rôle de la
thessalienne Lacéna : le mime conservé dans un papyrus berlinois semblait inspiré
4du sacrifice de sa chevelure ; le Charition pourrait évoquer l’artifice mis en œuvre
5par Chariclée pour échapper aux pirates … et l’on pourrait continuer ainsi à l’infini.
Quand le récit devient réplique, quand la description devient drame dans
l’action, les erotikai hypotheseis le signalent ponctuellement en concentrant au
moment voulu ou en développant la reprise des métaphores théâtrales, des notes de
6mise en scène, du lexique du spectacle pur. Le goût pour la « paratragédie » , « loi
narrative » héritée de la scène comique – mais qu’on observe aussi chez Euripide –,
trouve dans le roman de nouvelles possibilités d’expression, et le recours au
patrimoine mythique traditionnel ne s’épuise pas avec la citation complaisante ; il
devient un moyen de donner des indications de lecture, d’orienter ou de désorienter
le public, de le guider, comme la précieuse page du tardif Héliodore sur les secrets
7de l’art de raconter, une sorte d’art poétique appliqué au genre .

2. Je fais allusion aux très célèbres définitions de Genette 1982, p. 7-17 ; Bachtin 1975, p. 71-83, cf.
p. 67 ; Reardon 1991, p. 82 ; Fusillo 1989, p. 24 ; et bien sûr à Billault 1991, p. 143-151 ; Létoublon
1993, p. 11 et passim ; cf. Marini 1991, p. 232-243.
3. Les liens fascinants qui unissent le roman à la tradition technique et scientifique – médicale en
particulier – ont été l’objet d’études nombreuses, mais elles laissent encore ouvertes d’intéressantes
perspectives d’enquête ; c’est ce à quoi je me consacre en ce moment, du reste j’en ai déjà parlé très
brièvement ; cf. 1993, 1996, 1997, p. 60, n. 36, p. 113, 1997a.
4. P. Berol. 13927, col. I. Comme dans Xénophon d’Éphèse (V, 5, cf. 1), parfois dans Jamblique (Bab.
14, 42 Habrich) et Ménandre (Perik.), le détail peut faire penser à un rite de passage.
5. Hld., II, 7 sq. ; cf. P. Oxy 413, éd. Cunningham 1987.
6. C’est Chariclée elle même qui énonce la « loi narrative du roman » ; elle est « paratragique »,
comme l’observe Létoublon 1998, p. 161, d’une manière très perspicace. Cf. Hld., V, 7, 1.
7. Achilles Tatius n’est pas en reste : les récits d’amour alimentent les désirs (I, 5), le lignage des
femmes est filomuqo" (V, 5, 1) ; cf. II, 8 ; 13 (sur le pouvoir de la parole) ; 29 (sur les maux du
silence) ; la réplique significative de Leucippé (III, 11 : « ma voix est morte avant mon âme »).
Longus fait aussi une théorie du beau qui, selon lui, est epaktikon (IV, 3, 2). AUX FEMMES CONVIENT– JE CROIS – LE SILENCE 89
Dans un dialogue entre Calasiris et Cnémon, par exemple, l’entente entre
8auteur et destinataire , nécessaire pour que s’accomplisse la magie du récit, devient
objet de représentation : l’art de raconter – je l’ai déjà dit au cours d’une précédente
9rencontre – est mis en scène. Cnémon veut connaître l’histoire de Théagène et
Chariclée ; Calarisis temporise en alimentant son désir, puis cède. Des noix, des
figues, des dattes fraîches, de l’eau et du vin égayent la longue histoire (Hld., II,
23 sq.) qui donne des indications suffisantes pour composer un petit manuel de
normes, un condensé de règles bien précises ; parmi ces règles, on peut trouver
l’abandon confiant du destinataire qui n’admet pas les trahisons, et l’objectif de l’art
que l’on atteint seulement quand les mots réussissent à se mettre en scène, quand
10l’écriture devient image, « spettacolo di parole » .
Dans le monde frénétique et multicolore de ces diegeseis, le mot prononcé a un
rôle de tout premier plan, le dialogue serré avec la dramaturgie trouve son
expression explicite dans la représentation de procès, d’agones, de rheseis, de
stichomythies soutenues, dans les démonstrations rhétoriques que même les bergers
de Longus utilisent sans parcimonie, et pour lesquelles les erotici scriptores
nourrissent une passion évidente. L’épidictique est parmi les référents de l’écriture
romanesque, la rhétorique est au service de l’effet dramatique, et en ces journées de
dialogue fécond A. Billault et J.R. Morgan nous ont guidés à la découverte de
certaines stratégies narratives, alors que Danielle van Mal Maeder nous a donné des
preuves évidentes de la manière dont les controversiae et suasoriae mêmes de la
11tradition rhétorique étaient « tirées du théâtre » . Ce sont les personnages les plus
divers qui exhibent leurs dons oratoires, y compris les pirates et les prophètes, les
brigands et les nourrices, les bouviers et les vieilles sorcières.
Les discours sont aussi uniquement des morceaux de bravoure faits pour être
écoutés ; le goût de la discussion et du débat triomphe dans l’artifice et dans les
descriptions pleines de digressions ; ou bien, à l’inverse, l’histoire avance, le mot
provoque une nouvelle stratégie narrative, un personnage la marque de sa propre
personnalité, commune ou excentrique par rapport à sa propre catégorie : Lamon,


8. Sur ce sujet J.R. Morgan a donné des pages fondamentales (Morgan 1991, 1993). À propos de la
typologie du destinataire, il faut connaître Bowie 1992, p. 55-61, 1994, p. 435-459 ; Dowden 1994,
p. 419-436 (roman latin).
9. Crismani 2003.
10. Art. cit. n. 9, p. 241. Sur le caractère « visuel » de cet épisode, voir Maeder 2001, p. 445.
11. Voir dans ce volume. Pour certaines notes synthétiques sur le sujet et pour le rapport allusif que la
terminologie juridique partage avec l’action scénique, cf. Crismani 1997, p. 29 sq. ; l’indispensable
L

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