Communication et Pouvoir : les liaisons dangereuses - article ; n°1 ; vol.112, pg 85-95
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Communication et langages - Année 1997 - Volume 112 - Numéro 1 - Pages 85-95
Depuis moins de vingt ans, les pouvoirs s'efforcent d'aseptiser et de moraliser l'usage qu'ils ont toujours fait des techniques d'information et de communication. «Communication politique», telle est d'ailleurs l'expression «politiquement correcte» qui englobe les procédés d'influence des partis politiques, mais aussi du pouvoir vis-à- vis des citoyens. Si l'on a récemment voulu évincer les mots « propagande » et « censure », qui ont historiquement mauvaise presse, les moyens et les fins n'ont guère changé. La franchise du pouvoir existe certes; le machiavélisme prévaut cependant, en dépit des déclarations d'intention humanistes des tenants de nos démocraties. Si la transparence s'érige en pétition de principe facile, une opacité stratégique caractérise les méthodes d'influence des politiciens.
Il est important de s'interroger sur la nature de ce rapport Communication-Pouvoir, en le plaçant dans une perspective historique. Cette généalogie des faits et effets de la propagande et de la censure confirme que les principes énoncés par Machiavel - « gouverner, c'est faire croire », et « la fin justifie les moyens » — ont connu des émules à toutes les époques. Et en ce siècle plus qu'en aucun autre.
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Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 70
Langue Français

Extrait

Pascal Lardellier
Communication et Pouvoir : les liaisons dangereuses
In: Communication et langages. N°112, 2ème trimestre 1997. pp. 85-95.
Résumé
Depuis moins de vingt ans, les pouvoirs s'efforcent d'aseptiser et de moraliser l'usage qu'ils ont toujours fait des techniques
d'information et de communication. «Communication politique», telle est d'ailleurs l'expression «politiquement correcte» qui
englobe les procédés d'influence des partis politiques, mais aussi du pouvoir vis-à- vis des citoyens. Si l'on a récemment voulu
évincer les mots « propagande » et « censure », qui ont historiquement mauvaise presse, les moyens et les fins n'ont guère
changé. La franchise du pouvoir existe certes; le machiavélisme prévaut cependant, en dépit des déclarations d'intention
humanistes des tenants de nos démocraties. Si la transparence s'érige en pétition de principe facile, une opacité stratégique
caractérise les méthodes d'influence des politiciens.
Il est important de s'interroger sur la nature de ce rapport Communication-Pouvoir, en le plaçant dans une perspective historique.
Cette généalogie des faits et effets de la propagande et de la censure confirme que les principes énoncés par Machiavel - «
gouverner, c'est faire croire », et « la fin justifie les moyens » — ont connu des émules à toutes les époques. Et en ce siècle plus
qu'en aucun autre.
Citer ce document / Cite this document :
Lardellier Pascal. Communication et Pouvoir : les liaisons dangereuses. In: Communication et langages. N°112, 2ème trimestre
1997. pp. 85-95.
doi : 10.3406/colan.1997.2766
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_1997_num_112_1_2766Communication
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Depuis moins de vingt ans, les pouvoirs s'efforcent nistes des tenants de nos démocraties. Si
d'aseptiser et de moraliser l'usage qu'ils la transparence s'érige en pétition de prin
ont toujours fait des techniques d'info cipe facile, une opacité stratégique carac
rmation et de communication. «Communi térise les méthodes d'influence des
cation politique», telle est d'ailleurs politiciens.
l'expression «politiquement correcte» qui Il est important de s'interroger sur la
nature de ce rapport Communication- englobe les procédés d'influence des part
is politiques, mais aussi du pouvoir vis-à- Pouvoir, en le plaçant dans une perspect
vis des citoyens. ive historique. Cette généalogie des faits
Si l'on a récemment voulu évincer les et effets de la propagande et de la cen
mots « propagande » et « censure », qui sure confirme que les principes énoncés
ont historiquement mauvaise presse, les par Machiavel - « gouverner, c'est faire
moyens et les fins n'ont guère changé. La croire », et « la fin justifie les moyens » —
franchise du pouvoir existe certes; le ont connu des émules à toutes les
machiavélisme prévaut cependant, en époques. Et en ce siècle plus qu'en aucun
dépit des déclarations d'intention autre.
La communication politique doit faire face de nos jours à une
désillusion généralisée. Les discours des hommes politiques se
voudraient sincères, mais ils sont reçus avec de plus en plus de
scepticisme. Les récentes et multiples « affaires » qui ont frappé
la classe politique ont fait entrer de plain-pied les citoyens dans
« l'ère du soupçon » et de la suspicion. L'opinion publique
concède désormais à bien peu de politiciens le « parler vrai », ou
elle le fait aux risques et périls du populisme. Ces politiciens sont
accusés, pour la plupart, de pratiquer la «langue de bois». Et
celle-ci, démagogique à l'envi, renvoie bel et bien aux subter
fuges rhétoriques de la propagande. N'ayons pas peur des
mots : un homme politique qui s'exprime pour persuader son
auditoire et « l'amener à penser comme lui » se livre à une action
de propagande, qu'il l'admette ou non.
De cela découle l'acceptation d'un postulat : d'Athènes à nos
modernes hémicycles, le péché originel de la communication poli- 86 Communication politique
tique, c'est la tentation permanente d'influence et d'inféodation. Le
rapport du pouvoir à la communication n'est certes pas entière
ment réductible à la propagande ou à son corollaire, la censure. Et
il ne saurait être question ici d'un amalgame entre tous ceux qui
ont employé, et emploient encore, les techniques de propagande.
Le respect du principe démocratique, et une considération sincère
pour ses interlocuteurs, sont l'aune à laquelle s'évalue morale
ment toute communication politique. Cependant, on s'aperçoit
que l'on retrouve les techniques et finalités de la propagande dans
la plupart des initiatives des pouvoirs pour informer (c'est-à-dire
« mettre en forme » ce qu'ils ont à dire) et communiquer.
Détentrices du pouvoir, les institutions détiennent surtout le pou
voir de dire, d'édicter, autant que de mentir ou de passer sous
silence. Le discours des États, quand il n'est pas exécutif ou pro
tocolaire, ne peut que rarement être exempté d'une visée machiav
élique. Car l'enjeu de la communication politique sera toujours le
pouvoir, celui que l'on veut conserver, celui que l'on veut conquéri
r, voire que l'on détruire, dans le cas des propagandes
révolutionnaires. On ne peut éternellement régner par la force, et
comme l'enseignait Rousseau, « le plus fort n'est jamais assez fort
pour être toujours le maître». La conquête et la maîtrise du pou
voir passent aussi par le ralliement des esprits. Et, invariablement,
« la fin justifiera les moyens», dans la logique de cette communic
ation ayant le pouvoir pour principe d'action et finalité. Le libre
arbitre consenti aux individus par le suffrage universel ne fait que
rendre plus cruciale la manière de s'adresser aux citoyens. « On
ne peut pas régner innocemment», confessait Saint-Just, dans un
discours resté célèbre. Une clausule pourrait ajouter : « l'homme
politique ne communique pas innocemment non plus, en amont
comme en aval de sa conquête du pouvoir». Celui-ci s'efforcera
og donc d'infléchir les esprits, et il tentera de soumettre les citoyens à
Ç un avis auquel rien ne les prédisposait a priori.
j| La communication politique se caractérise par quelques traits :
g> son pragmatisme, sa capacité d'adaptation et son machiavé-
5 lisme.
c Pragmatiques, le discours et l'action propagandistes le sont, car
•ê ils visent toujours un but : persuader, convaincre. Exercer une
| influence sur l'auditoire est toujours la finalité concrète. Ainsi,
| Goebbels affirmait : « Nous ne parlons pas pour dire quelque
S chose, mais pour obtenir un certain effet ». Une action propagan-
<3 diste n'est donc jamais isolée, ni aléatoire, elle s'inscrit au Communication et Pouvoir : les liaisons dangereuses 87
contraire dans une stratégie globale. Son seul paramètre aléa
toire consistera à s'adapter en permanence à ses interlocuteurs,
à épouser leurs réactions à ce qui vient d'être dit. Dans les
années 80, lors d'une émission télévisée, un ministre français
modifiait et durcissait en direct le ton de ses propos, à mesure
que lui parvenaient les résultats des sondages effectués « à
chaud » auprès des téléspectateurs...
La communication politique est ensuite opportuniste et polyva
lente ; son potentiel de déclinaisons connaît en effet une extensi-
vité infinie : de l'écrit à l'oral, de la radio à l'image et au film, du
chuchotement aux meetings rassemblant des dizaines de mil
liers de personnes, de l'art à la science, et jusqu'à une gestion
efficace des silences, elle s'adapte à tout et sait tirer profit des
techniques et des situations.
Elle est machiavélique, enfin, et ce philosophiquement. En effet,
la communication politique a fait sienne les deux préceptes de
l'auteur du Prince : «la fin justifie les moyens», et «gouverner,
c'est faire croire ». Dès lors, son action sera teintée d'un cynisme
assumé, privilégiant souvent les effets de s

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