Correspondance Jaspers- Arendt : à propos de Rahel Varnhagen  - article ; n°1 ; vol.33, pg 118-131
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Correspondance Jaspers- Arendt : à propos de Rahel Varnhagen - article ; n°1 ; vol.33, pg 118-131

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Description

Les Cahiers du GRIF - Année 1986 - Volume 33 - Numéro 1 - Pages 118-131
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 19
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Claude Lutz
Correspondance Jaspers- Arendt : à propos de Rahel
Varnhagen
In: Les Cahiers du GRIF, N. 33, 1986. Annah Arendt. pp. 118-131.
Citer ce document / Cite this document :
Lutz Claude. Correspondance Jaspers- Arendt : à propos de Rahel Varnhagen . In: Les Cahiers du GRIF, N. 33, 1986. Annah
Arendt. pp. 118-131.
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Hannah Arendt en 1933
\W Jaspers- Arendt Correspondance
A propos de Rahel Varnhagen
Bâle, le 23 août 1952
Chère Hannah,
J'ai lu sans m'interrompre, et cela m'a captivé, votre Rahel. Il n'y a pas
de doute : cet écrit est prenant et d'importance, et du point de vue littéraire
excellent sur de longs passages et contient des pages d'une profondeur ex
traordinaire.
Du point de vue de la forme, les nombreuses répétitions me semblent un
défaut. Le tout pourrait être condensé au profit de la structure dramatique
qui y est déjà présente. L'absence d'un tableau chronologique détaillé des
faits biographiques me semble également un manque. Le lecteur n'aime pas
devoir s'orienter ailleurs, et un tableau résumant les dates lui permettrait de
savoir où et quand dans la vie de Rahel arrivent les événements dont il est
question.
Est-ce un hasard que la page de titre manque dans le manuscrit ? Car ce
n'est une biographie de Rahel qu'en partie. Il est vrai que l'ensemble re
trace la succession chronologique, mais de manière à ce qu'une série d'essais
explique pour chaque cas la totalité du phénomène, par des analyses péné
trantes et un jugement décisif. La représentation est tout à fait objective, le
lecteur n'est pas forcé à penser à l'auteur. Mais il me semble, à moi, que ce
travail est malgré tout une confrontation à des questions fondamentales de
l'existence juive à partir du fil conducteur de la réalité de Rahel, et pour
votre propre clarification et libération. C'est parce qu'il en était ainsi que
ces analyses ont été possibles, elles apparaissent désormais tout à fait object
ives. Partant, c'est ainsi que l'atmosphère étonnante de cet ouvrage a été
rendue possible, comme si Rahel en tant que telle n'avait su gagner ni votre
intérêt ni votre amour, comme s'il s'agissait, à partir du cas de Rahel,
essentiellement de quelque chose d'autre. On n'obtient pas d'image de Rah
el elle-même, mais pour ainsi dire seulement des événements qui choisirent 119 individu pour se produire. Vraisemblablement vous pourriez aujourd'hui cet
être plus juste à son égard, surtout en ne la voyant pas uniquement sous
l'aspect de la question juive, mais à partir de ses intentions et de sa réalité
propres, comme être humain, dans l'existence duquel la question juive fut
une composante certes importante, mais nullement unique.
Ainsi, il me semble que tout ce qui provient d'une pensée des « Lumiè
res» est démontré par des exemples peu probants (Dohn, Friedlânder) et
permet de céder à la tentation d'une représentation péjorative. Or, Rahel l'a
représentée cette grandeur des Lumières, ce qu'était Lessing et, à la fin de
sa vie, Gthe aussi, et ceci se trouvait aussi, quoique, il est vrai, souvent
perverti, chez Varnhagen. Je me demande si la manière par laquelle vous
laissez agir les Lumières ne serait pas non seulement minimisée, mais défor
mée. Que vous opposiez à Mendelssohn la « raison » de Lessing comme fon
dée historiquement (sur la base de l'éducation du genre humain) me semble
boiteux. Chez Lessing aussi l'origine de la raison est, Dieu merci, supra-
historique et sa pensée de l'histoire dépasse l'histoire. L'ensorcèlement qui se
produisit par la suite par une histoire déifiée n'existait pas encore. Mendels
sohn est certainement plus plat, plus satisfait de lui-même que Lessing, plus
naïf et dogmatique. Mais même s'il ne se laisse pas comparer à ils
ont en commun ce mouvement dans lequel était fondée leur amitié, et une
vérité indéfectible.
Un deuxième point : vous voyez, ce me semble, Rahel sans amour. Sur
quelques pages seulement l'on ressent quelque chose de la profondeur d'âme
de Rahel : là où vous projetez ce joli rêve d'un possible avec Gentz, où vous
parlez de ses liens avec Pauline Wiesel, peut-être aussi dans votre interpré
tation de la distance qu'elle prit vis-à-vis de v.d. Marwitz.
La grande apparition de cette femme, qui tremble et qui saigne, sans
maison ni patrie, sans univers et sans les racines que donne un amour uni
que, qui est suffisamment probe pour creuser par une réflexion infinie, pour
se méprendre puis remettre en question ses méprises, qui est condamnée à
sans cesse se tromper, se perdre et se reconstituer, et qui, en dépit de tout
cela ne trompe ni elle-même ni les autres, qui parvient à cette frontière
inquiétante où le mensonge peut sembler vérité, cette apparition, vous lui
donnez la parole, mais à partir d'un centre, l'être humain lui-même, qui
n'est pas juif par essence, mais qui traverse ce monde en tant que juif, et
qui, à cause de cela aussi, fait l'expérience de situations extrêmes qui pour-
120 tant ne sont pas réservées aux seuls juifs. Vous laissez pressentir que Rahel ne se perd pas, mais reste fidèle à
elle-même. Mais ceci n'est pas au premier plan de l'agencement de votre
portrait. Votre portrait disperse Rahel en des moments de vie épars, d'autre
part, il oblige à tout considérer sous le seul angle de Fêtre-juif. Face à tout
cela vous provoquez chez le lecteur une émotion, mais vous ne laissez pas
advenir dans toute sa splendeur la clarté qu'il y a dans cette confusion de la
vie de Rahel. Sans cesse vous jugez des actes isolés que l'on ne serait peut-
être pas en droit de juger ainsi, ayant vu Rahel dans sa totalité (« puérile »,
« affreusement maniérée », « toute sotte et hébétée de bonheur d'être bien-
veillament autorisée à participer... », etc.). On ne peut pas appliquer à Rahel
un jugement moralisateur, qui isole des faits singuliers, des tournures de
langage, des opinions, des actions, et du coup, les considère de façon abst
raite.
Rahel se débat, déraille, s'oublie, aborde les questions humaines fonda
mentales d'une manière fantaisiste qui pourtant recèle de la vérité. (Pour
quoi son élan pacifiste lorsqu'elle imagine une grève des femmes contre la
guerre vous met-il tant en colère ? Ce que, par la suite, des ânes ont fait de
telles pensées n'enlève rien à ce que Rahel pensait alors de manière origi
nale, pendant un court instant, dans le mouvement naïf du cur de quel
qu'un qui n'a pas les pieds sur terre, sans pour autant y croire sérieuse
ment.) Vous devez bien concéder à Rahel comme à nous tous, même à
Gthe, des déraillements, et les resituer dans l'ensemble de la personnalité
comme le revers de la vérité ; ce que la justice et l'amour exigent encore
bien plus lorsque l'on a affaire à une « exception ».
Ce que l'on perçoit dans votre écrit, mais qui par la suite se perd dans le
sociologique et le psychologique (qu'il ne faut nullement gommer, mais rap
porter à un ordre des choses supérieur), c'est cette absence de réserve chez
Rahel (par exemple vis-à-vis de Finckenstein : une seule fois dans la vie ; un
tel amour ne se répète pas), la qualité de l'effet que sa personne produit, sa
façon de voir prise dans toute sa totalité, le savoir des choses cachées, ce qui
est intemporel dans la temporalité, tout ce pourquoi être juif n'est que l'ha
bit et l'occasion.
Votre livre éveille à vrai dire l'impression qu'un homme en tant que juif
ne peut pas vraiment vivre. C'est, certes, infiniment difficile dès lors qu'un
juif ne se retrouve plus résolument dans la foi et la piété de ses ancêtres.
Mais c'est faisable, comme Spinoza l'a montré par sa vie une fois pour
toutes : reniement de la croyance juive en la Loi et en la synagogue, refus 121 de la conversion au christianisme, une vie avec Dieu dans la considération
de toutes choses « sub quaedam specie aeternitatis » et l'

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