Destin d Œdipe, destin d une famille - article ; n°1 ; vol.3, pg 159-177
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Description

Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens - Année 1988 - Volume 3 - Numéro 1 - Pages 159-177
Destin d'Œdipe, destin d'une famille (pp. 159-177)
Le héros tragique est l'exécutant d'une vengeance divine, qui s'exerce dans sa vie tout entière. Rien de ce que fait Œdipe ne peut le rendre responsable ou coupable. La transgression a eu lieu, avant lui. Elle touche le fait qu'il existe; aussi doit-il se détruire, avec sa race. Le mythe révèle l'éclatement nécessaire d'une pléntitude; l'analyse tragique construit le parcours d'une tueur découvrant qu'il s'est acquitté de sa mission, et revendiquant à la fin pour lui la négativité pure d'une existence à rebours.
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 28
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jean Bollack
Destin d'Œdipe, destin d'une famille
In: Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens. Volume 3, n°1-2, 1988. pp. 159-177.
Résumé
Destin d'Œdipe, destin d'une famille (pp. 159-177)
Le héros tragique est l'exécutant d'une vengeance divine, qui s'exerce dans sa vie tout entière. Rien de ce que fait Œdipe ne
peut le rendre responsable ou coupable. La transgression a eu lieu, avant lui. Elle touche le fait qu'il existe; aussi doit-il se
détruire, avec sa race. Le mythe révèle l'éclatement nécessaire d'une pléntitude; l'analyse tragique construit le parcours d'une
tueur découvrant qu'il s'est acquitté de sa mission, et revendiquant à la fin pour lui la négativité pure d'une existence à rebours.
Citer ce document / Cite this document :
Bollack Jean. Destin d'Œdipe, destin d'une famille. In: Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens. Volume 3, n°1-2, 1988.
pp. 159-177.
doi : 10.3406/metis.1988.911
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/metis_1105-2201_1988_num_3_1_911D 'ŒDIPE, DESTIN D'UNE FAMILLE * DESTIN
N'est-ce pas annuler la différence essentielle entre le mythe et la tragédie
que d'extraire de «la cohérence» de la pièce «la vérité du foisonnement
mythique ainsi fixé?»1. La supériorité du texte tragique repose sur les ver
tus d'une structure signifiante imposée à la tradition légendaire; or par
rapport au mythe, tel qu'on le conçoit, issu de «l'anonymat collectif», elle
est un éloignement («une déformation supplémentaire»); mais elle est
rachetée par la faculté privilégiée, reconnue à «l'inconscient individuel du
poète», d'accéder à une «vérité dont le mythe est porteur»2.
C'est ainsi que pour Freud l'effet (extraordinaire) que produit la pièce
sur le spectateur ne procède pas de la qualité de l'intrigue. «La réaction de
l'auditeur», dont Freud parle dans les Leçons d'introduction, «n'est pas
suscitée par la morale de la pièce, mais par le sens secret et le contenu de la
légende»3. Œdipe agit en accord avec la volonté des dieux en commettant
le parricide et l'inceste: la pièce est immorale, «les velléités morales de
l'homme sont réduites à néant»4. La légende contenait bien une accusation
contre l'ordre des dieux, et elle pouvait offrir à un autre poète, plus criti-
* Le texte qui suit reproduit la conférence d'introduction de la journée «Destins
d'Œdipe» (15 juin 1985), réunissant à la Sorbonne des hellénistes, des psychanalystes et
des gens de théâtre.
1. Cf. A. Green, Un oeil en trop. Le Complexe d'Œdipe dans la tragédie, Paris, 1969,
p. 59, n. 4, à titre d'exemple.
2. Green, ibid.
3. Vorlesungen zur Einfùhrung, Gesammelte Werke, XI, p. 343 (trad. fr. de S. Jan-
kélévitch, Introduction à la psychanalyse, Paris, 1965, p. 311).
4. Sur l'interprétation de la tragédie par Freud et sur la relation du drame avec le
mythe, voir en complément mon étude «Le Fils de l'homme. Le mythe freudien
d'Œdipe», L'Écrit du Temps, 12, 1986, pp. 3-26, et en particulier p. 23. JEAN BOLLACK 160
que que Sophocle, selon la tradition qui fait de lui, à l'opposé d'Euripide,
un esprit religieux, le prétexte d'une mise en question, mais, dans Œdipe
roi, on est bien contraint d'admettre que les dieux, avec (et malgré) les
ordres criminels qu'ils donnent et sanctionnent, incarnent un principe de
tyrannie dont la contradiction et le caractère inexplicable, inacceptable
même, appuient une autorité morale.
Freud, héritant d'une aporie de la critique, insoluble dans les termes
retenus par la tradition interprétative, ne dépasse pas ces termes, mais la
solution, qu'il trouve artificielle («sophistiquée»)5, en jouant l'effet contre
le sens ou la «morale», et en se détournant de la pièce au profit du mythe
dont la vérité tient tête à son interprétation dramatique6. C'est comme si la
faiblesse de la lecture morale, qu'il n'hésitait pourtant pas à mettre sur le
compte de Sophocle, l'incitait à transcender les données de l'intrigue, avec
la problématique qui s'en dégage, pour rejoindre le poète et sa grandeur
dans le travail sur l'inconscient, et défendre la pièce contre son propre proj
et. Le complexe, déposé dans le mythe, fait sa force, et le spectateur, le
retrouvant en son for intérieur, démasque la volonté scandaleuse des
dieux et les oracles «comme des travestissements où s'est sublimé son pro
pre inconscient»7.
La culpabilité individuelle est introuvable. L'impasse de la critique
réapparaît dans les effets produits, selon Freud, par le pouvoir médiateur
d'une sensibilité exaspérée, qui fait le génie du poète. Les pulsions refou
lées ont été portées au jour. «Chaque auditeur, disait la lettre à Fliess, ...
frémit suivant toute la mesure qui sépare son état infantile de son état
actuel»8. La voix du poète traduit une mise en accusation: le mal n'a pas
5. Gesammelte Werke, XI, p. 343 (trad. fr., p. 311).
6. Si l'on rejetait la faute héritée et ancestrale, on pouvait recourir, pour expliquer le
malheur du héros, aux excès de caractère, et lorsque le point de vue psychologique
paraissait ne pas convenir à la grandeur du sujet, à la fatalité à laquelle il succombait, ou
quand on réintroduisait la raison théologique dans «la tragédie du destin», on était «fat
alement» livré à l'opposition entre l'infirmité et l'illusion humaines et l'ironie impitoyable
des dieux. C'est à cette «raison» que Freud substitue la sienne. Voir, pour un aperçu des
tentatives de la première moitié du XIXème siècle d'accommoder «l'idée tragique»,
Gottfried Bernhardy, Grundriss der griechischen Literatur, II, 2, 2ème éd. 1859, pp. 325
sqq. , et, pour la «force du destin» (et le genre dramatique), «Le Fils de l'homme», pp. 3
sqq.
7. Gesammelte Werke, XI, p. 343 (trad. fr., p. 312).
8. Lettre à Fliess du 15 octobre 1897, citée d'après Sigmund Freud, Aus dcn Anfân-
gen der Psychoanalyse. Briefe an Wilhelm Fliess. Abhandlungen und Noti/en aus den
Jahren 1887-1907, Francfort, 1962, p. 193. Cette publication suit l'édition anglaise des DESTIN D'ŒDIPE, DESTIN D'UNE FAMILLE 161
été réprimé; l'homme , refoulant ses instincts, cherche à dégager sa respons
abilité, «et néanmoins il est contraint de l'éprouver comme un sentiment
de culpabilité dont il n'analyse pas les causes»9. La référence à l'incons
cient fournit la clé: «le complexe d'Œdipe ne serait-il pas au principe du
sentiment de culpabilité qui est la base de la religion et de l'éthique»10? La
pièce est ainsi réhabilitée contre ses détracteurs; l'œuvre est inégalée pour
l'effet esthétique que la matière mythique y produit sur le spectateur: la
découverte progressive du vrai, «l'analyse tragique» de Schiller11, répond
à la démarche analytique qui permet au patient d'avancer pas à pas
jusqu'aux mouvements initiaux de l'inconscient et de connaître à la fin du
psychodrame le sentiment d'une délivrance - une catharsis, comme un
effet thérapeutique de l'effet esthétique12.
L'interprétation de Freud, l'assimilation, dès la lettre rappelée ci-des
sus, de l'expérience universalisée de son auto-analyse et des événements
de la tragédie, n'aurait pas été si la tradition scolaire, qui d'ailleurs n'avait
pas fondamentalement évolué depuis sa jeunesse, n'avait pas la: se en sus
pens la question de l'origine et, partant, de la signification des événe
ments. Elle s'était satisfaite d'à priori le plus souvent théologiques, aux
quels Freud pouvait aussi substituer le sien, qui avait l'avantage de s'en
tenir à l'histoire.
Ce n'était pas à lui de redresser l'interrogation herméneutique, ce qui
l'eût écarté de sa découverte. Ce n'était pas à lui, mais il est certain qu'il
n'a pu entrer dans la tragédie que grâce à ce manque (ou ce contresens),

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