Dispositifs - article ; n°1 ; vol.48, pg 221-242
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Description

Communications - Année 1988 - Volume 48 - Numéro 1 - Pages 221-242
22 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 86
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Anne-Marie Duguet
Dispositifs
In: Communications, 48, 1988. pp. 221-242.
Citer ce document / Cite this document :
Duguet Anne-Marie. Dispositifs. In: Communications, 48, 1988. pp. 221-242.
doi : 10.3406/comm.1988.1728
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1988_num_48_1_1728Anne-Marie Duguet
Dispositifs
Le temps d'une défense « acharnée »*de la vidéo est révolu. Plus question
d'en rechercher l'essence à partir de considérations techniques élémentair
es, plus de combats perdus pour la définition d'un territoire nécessair
ement incertain. Il nous importe aujourd'hui davantage de cerner quelques
problématiques fondamentales ayant stimulé des artistes à utiliser ce
médium. Ni les développements techniques, ni les stratégies industrielles,
ni les effets de mode ne permettent de rendre compte simplement de cet
intérêt. La question n'est plus celle de la nature de la vidéo mais de son
apport à cet art infiniment pluriel des deux décennies précédentes. Il faut
alors faire retour sur le contexte de son émergence pour approcher la
manière dont elle a participé aux investigations critiques et autocritiques
sur le statut de l'art et la représentation. C'est sans doute à travers les
expérimentations concernant les dispositifs que la vidéo a contribué le plus
vivement au développement de nouvelles conceptions de l'œuvre d'art
contemporaine. Dans un grand nombre d'installations qui mettent en scène
la représentation même, le théâtral va se révéler comme une catégorie
centrale, à la fois principe critique et mode d'existence de l'œuvre.
La vidéo surgit dans un contexte artistique radicalement en marge du
modernisme tel que le défendait Clement Greenberg l. Le formalisme lié à
l'obsession de la « spécificité » (chaque art ne devait faire usage que des
moyens qui lui sont propres) et l'autonomie de l'œuvre à l'égard de tout
contexte (refus de l'illusionnisme, des éléments narratifs, etc.) étaient
autant de préoccupations étrangères au développement du happening dans
les années cinquante, au pop art puis à la nouvelle danse, à la performance,
à l'art minimal, etc.
La vidéo des artistes commence avec Fluxus, créé à l'initiative de quel
ques élèves de John Cage au début des années soixante. Fluxus ne se définit
pas comme un mouvement, « c'est un mode de vie, pas un concept artisti
que », selon Nam June Paik 2. D'esprit dadaïste ou zen, il se manifeste
essentiellement dans des concerts happenings, des expositions, des manif
estes, etc. Les rituels de l'art et ses institutions, la notion même d'œuvre
d'art et le marché qu'elle autorise y sont soumis à une dérision et une
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démystification systématiques. C'est avant tout la séparation entre l'art et la
vie qui tente d'être dépassée. Pas d'objets mais des événements qui propo
sent d'autres relations avec le public. Pas d'artistes professionnels non plus.
N'importe quoi peut se substituer à l'art et n'importe qui peut le faire. Si la
musique joue un rôle dominant avec la participation décisive de John Cage,
il est fait appel à toutes les techniques, à tous les matériaux. « Tout pouvait
être retenu, dit Joseph Beuys, de l'acte de déchirer un morceau de papier à
la formulation d'idées visant à transformer la société 3. » Musique, arts
plastiques, danse, poésie sont alors étroitement liés. C'est dans ce contexte
que Nam June Paik et Wolf Vostell intègrent la vidéo à leurs performances
et réalisent aussi leurs premières installations avec des téléviseurs.
Ce n'est qu'à la fin des années soixante cependant que la vidéo est utilisée
plus largement aux États-Unis comme en Europe. La scène artistique se
caractérise alors par un foisonnement de tendances et de dénominations
dont les projets sur bien des points se recoupent et concourent à des ques
tionnements similaires.
La vidéo participe à presque tous ces courants, qu'ils s'appellent art
conceptuel, performance, body art ou land art... Elle est de toutes les fêtes,
impliquée dans tous les labels. Mémoire d'une performance (mais d'emblée
l'instrument impose ses propres données et l'enregistrement engage
l'œuvre même), seule manifestation sensible d'une proposition concept
uelle, élément parmi d'autres d'une réalisation multimédia, elle s'affirme
aussi comme le médium essentiel d'œuvres nouvelles.
Sa position est néanmoins paradoxale. Fréquentant la danse, la musique,
les arts plastiques, etc., elle est d'emblée impure. Et c'est précisément un
aspect essentiel de l'art de cette période que d'avoir opéré les décloisonne
ments les plus divers. Cependant, fraîchement arrivée dans le champ artis
tique, elle est sommée par quelques défenseurs encore tenaces du moder
nisme de prouver sa spécificité et de procéder à son autodéfinition. Si
plusieurs réalisations semblent explorer des questions purement formelles
à partir de principes techniques spécifiques comme le direct, c'est à un
travail critique de portée plus générale que se livrent les œuvres les plus
fécondes. Elles appellent contexte et référence, elles se jouent à travers des
hybridations multiples et des confrontations qui débordent largement les
limites « territoriales » de chaque art pour mettre en cause les limites de
l'art même.
C'est essentiellement à partir d'un double déplacement des problémati
ques artistiques durant les années soixante que l'on peut comprendre l'inté
rêt suscité par la vidéo. D'une part la perception de l'œuvre, son expérience
par le spectateur constituent un enjeu déterminant. Approche à laquelle les
artistes dits de l'art minimal ont contribué de façon décisive. D'autre part le
concept de l'œuvre est tenu pour l'essentiel. Telle a été la position en
particulier des artistes dits conceptuels, allant parfois jusqu'au refus de
toute production matérielle.
D'un pôle à l'autre, l'œuvre est remise en cause dans ses fondements
traditionnels, comme objet unique, achevé, autonome. Se développent alors
222 Dispositifs
d'autres modalités de création comme la performance et l'installation qui
vont dominer aussi la production vidéo. On soulignera ici les liens étroits
que celles-ci entretiennent avec le théâtre pour avancer l'hypothèse qu'elles
ont accompli en quelque sorte certains projets essentiels du théâtre expéri
mental de cette époque, tels que l'exploration de nouveaux rapports avec le
spectateur, sollicité chaque fois de façon différente, ou la mise en œuvre
d'autres logiques discursives.
Expérience de Vœuvre/ Expérience de théâtre.
Art où se croisent différentes disciplines et surtout art du temps, le
théâtre resurgit ainsi avec force dans ces nouvelles approches. Ce qu'un
critique moderniste comme Michael Fried reprochait aux artistes de l'art
minimal était, à travers la manifestation du caractère objectai de leurs
œuvres, leur incapacité à les définir comme peinture ni comme sculpture.
Et le théâtre est précisément « ce qui se trouve entre les arts 4 ». Le verdict
de Michael Fried est clair : tout ce qui s'en rapproche quitte la légitimité
moderniste. « L'adoption littéraliste pour l'objectité ne signifie rien d'autre
qu'un plaidoyer pour un nouveau genre de théâtre ; et le théâtre est main
tenant la négation de l'art 5. »
En fait cet acharnement de Fried contre le théâtre concerne avant tout la
nécessaire implication du public et la dépendance de l'œuvre à son égard. Ce
qu'il dénonce est la complicité « extorquée » au spectateur par cette « sorte
de présence scénique » de l'œuvre minimale. Il pointe ainsi, à travers ses
condamnations, un aspect effectivement essentiel de ces expérimentations :
le déplacement radical de l'attention sur l'expérience de l'œuvre, qui se
rapproche, comme il la décrit, d'une « expérience de théâtre ». «

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