Du sang, du sperme et des larmes - article ; n°1 ; vol.1, pg 117-132
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Description

Les Cahiers du GRIF - Année 1996 - Volume 1 - Numéro 1 - Pages 117-132
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 29
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Gertrude Koch
Anne-Sophie Astrup
Du sang, du sperme et des larmes
In: Les Cahiers du GRIF, Hors-Série N. 1, 1996. Chair et viande. pp. 117-132.
Citer ce document / Cite this document :
Koch Gertrude, Astrup Anne-Sophie. Du sang, du sperme et des larmes. In: Les Cahiers du GRIF, Hors-Série N. 1, 1996. Chair
et viande. pp. 117-132.
doi : 10.3406/grif.1996.1894
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/grif_0770-6081_1996_hos_1_1_1894Du sang, du sperme et des larmes
Gertrud Koch
Le long documentaire BeFreier und BeFreite *. Guerre, viols, enfants, de Helke Sander
a, comme on dit si bien, divisé l'opinion. Les un(e)s la rangèrent parmi les révision
nistes, les autres l'absolvèrent de tout crime, au nom de la liberté cathartique des
tabous brisés. En novembre 92, il y eut, à propos de ce film, dans la Frankfurter
Rundschau, et pas seulement entre Helke Sander et moi, une polémique publique.
Aux États-Unis aussi, le film divisa l'opinion, suscitant une approbation passionnée
chez les un(e)s, un rejet violent chez d'autres. J'aimerais développer ici quelques
arguments étayant ma position critique, car il me semble que le débat sur les rap
ports entre le féminisme et l'histoire est tout à fait crucial aujourd'hui.
Le corps de l'État, du peuple-nation, des femmes
Au cours de ces dix dernières années, le débat féministe est passé de positions
radicales et manichéennes, apparemment nécessaires comme lors de toute phase
fondatrice supposant un bouleversement des paradigmes politiques et théoriques,
à un éventail de positions bien plus nuancées. Ce faisant, le féminisme a pris pour
objet des domaines du savoir et de l'histoire jusqu'alors hors limites afin de mettre
un terme aux contre-vérités qu'ils colportaient Ce n'est bien sûr pas un hasard si
Les Cahiers du Grif 117 le discours féministe a d'abord été un discours sur les droits des minorités, bien
qu'il ait semblé assez vite problématique, et à juste titre, de faire d'un groupe
numériquement majoritaire un groupe socialement minoritaire. Avec l'apparition
d'une sémiotique féministe binaire, aux États-Unis mais aussi en Grande-Bretagne,
où la théorie féministe (et plus particulièrement celle du cinéma) a son centre, le
fait de voir dans la femme l'autre de la société, du patriarcat et de toute sortes
d'institutions et d'agents de l'oppression, prit une telle ampleur que ce n'était plus
seulement la femme qui était posée comme terme du système binaire, mais les
femmes, perçues comme groupe social hétérogène. La composition de ce système
ne fut plus alors analysée en fonction du seul critère d'appartenance de
genre/sexe, mais de plus en plus par rapport à des stratégies d'identité sociale,
ethnique, culturelle, politique. Qu'on voie dans ce passage du féminisme binaire à
un discours pluriculturel un début ou une fin, il ne fait aucun doute que ce change
ment paradigmatique a des fondements réels. Même si ce pluriculturalisme des
années quatre-vingt et du début des années quatre-vingt-dix, qui n'a guère d'assises
théoriques, peut nous paraître indigent, il est une réaction à des bouleversements
sociaux concrets qui ne peuvent rester ignorés. Ce n'est pas aux seuls États-Unis,
en tant qu'ils sont un pays d'immigration depuis longtemps déjà, qu'il fallut de nou
velles hypothèses, de nouveaux concepts en vue de l'intégration sociale, ou, plus
exactement, de la gestion complexe d'une indispensable assimilation permettant la
conservation d'un maximum d'autonomie aux vies individuelles.
Les déplacements territoriaux des édifices théoriques vont de pair avec ceux
des cartes géopolitiques. Alors que les anciens pays coloniaux que sont la France
et la Grande-Bretagne se voient en cette fin de siècle redevenir des pays d'immi
gration, en Allemagne, les événements ont ranimé le débat de la question du
« peuple » allemand. C'est lors du débat constitutionnel fondant politiquement un
État commun, démocratiquement et communautairement constitué par les habi
tants de la RFA et de la RDA, que l'argument ethnique s'est mis non seulement à
occuper le devant de la scène mais est resté le seul en lice : « Nous sommes un
peuple. » Ce ne sont donc pas deux peuples qui se sont unis sur la base d'une
constitution commune et d'un État commun, mais le peuple allemand qui s'est uni
à lui-même, comme s'il n'avait jamais été question que de la constitution d'un
corps national fondé sur l'appartenance ethnique.
Au vu de ce contexte, il semble prudent de préciser les concepts plus anciens
de domination patriarcale pour permettre de comprendre les dramatiques dépl
acements des territoires politiques et des géographies mentales. C'est surtout cette
brutale évolution en Europe, liée à la dangereuse renaissance du rêve national
118 Les Cahiers du Grif fondé sur l'homogénéité ethnique face à la réalité d'États multiethniques définis par
l'émigration et l'immigration, de plus en plus dépendants du point de vue social et
économique d'une intégration transnationale, qui a révélé des phénomènes
sociaux des plus désagréables. L'intégration des femmes en RFA par exemple, lors
de l'unification, s'est avérée très faible, constituant en quelque sorte une membran
e sismographique des tendances droitières, qu'au fond pas grand-chose ne di
stingue des événements de l'ex- Yougoslavie, et qui relie le siècle à venir aux
ruptures barbares de ce siècle-ci.
Dans cette situation explosive, où les débats pluriculturels semblent soudain
devenir un recours à des entités nationales définies par l'appartenance ethnique, le
film d'Helke Sander ne peut laisser indifférent, puisqu'il semble au premier abord y
être question, à propos des viols de masse, d'un problème européen d'une grande
actualité, celui du rapport des sexes dans la guerre. Le film commence par ce
commentaire d'une scène de rue à Berlin en 1 945 :
« C'est un film sur les viols en temps de guerre. Comme c'est la situation de
Berlin que je connais le mieux, le film parle de ce qui s'est produit ici.Tout le
monde le savait, mais personne n'en parlait, comme aujourd'hui au Koweït, en
Yougoslavie...' »
Or, ni les viols du Koweit ni ceux de Yougoslavie n'ont été passés sous silence ;
bien au contraire, ils ont fait l'objet de débats internationaux. Ils sont même deve
nus le symbole par excellence des comportements répressifs ataviques de ces
guerres. D'ailleurs, au printemps 1945, les viols de masse n'ont pas non plus été
occultés \ Ces derniers, et particulièrement ceux qui aboutirent à une grossesse
forcée, tels que les subirent les femmes bosniaques de l'ex- Yougoslavie, ont été
vus comme l'expression d'une idéologie raciste, obsédée par l'idée d'un peuple
« pur », c'est-à-dire homogène du point de vue de l'ethnie. Je trouve d'autant plus
effrayants certains aspects du film d'Helke Sander, qui semblent relever de ces
convictions, fût-ce en renversant le discours habituel. Elle note par exemple dans
son texte d'introduction au livre documentant le film :
« N'y a-t-il pas une certaine ironie de l'histoire à voir que cette guerre, qui
s'était aussi donné pour but la pureté raciale, aura jeté les bases d'un gigantesque
métissage, et que l'Europe d'aujourd'hui a vraiment un autre visage que celle d'il y
a cinquante ans ? Cela aussi n'apparaît clairement qu'au vu des chiffres \ »
Même si ces « chiffres » sont justes, le « visage » de l'Europe est-il vraiment
défini par un « métissage », témoignant de l'échec de son but avoué, la « pureté
Les Cahiers du Grif 119 raciale » ? Dans ce genre d'assertions, Helke Sander ne se laisserait-elle pas elle-
même emporter par la sémantique de l'ethnie et de l'État national ? Mais même si
cette assertion se réclame d'une « certaine ironie de l'histoire », il reste à savoir si
son arithmétique est capable de faire plus que de vernir d'un brillant ironique les
monceaux de cadavres de la Seconde Guerre mondiale.
L'obsession de la transgression des frontières

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