Écrire des vies de femmes - article ; n°1 ; vol.37, pg 57-75
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Écrire des vies de femmes - article ; n°1 ; vol.37, pg 57-75

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Description

Les Cahiers du GRIF - Année 1988 - Volume 37 - Numéro 1 - Pages 57-75
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 30
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mme Christine Planté
Écrire des vies de femmes
In: Les Cahiers du GRIF, N. 37-38, 1988. Le genre de l'histoire. pp. 57-75.
Citer ce document / Cite this document :
Planté Christine. Écrire des vies de femmes. In: Les Cahiers du GRIF, N. 37-38, 1988. Le genre de l'histoire. pp. 57-75.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/grif_0770-6081_1988_num_37_1_1755Ecrire des vies de femmes
Christine Planté
Une biographie est avant tout une affaire de langage. D'un bout à l'autre : depuis
les "sources", les documents que l'on déchiffre et accumule patiemment jusqu'à la
rédaction finale. Les sont, dans leur immense majorité, des textes de
toutes natures. Lorsqu'on cherche à retrouver quelque chose de la vie des femmes
du passé, on ne rencontre donc d'abord ni une "personne", ni "la réalité d'une
époque", ni même des "énigmes" ou des "problèmes", mais d'abord des mots, des
phrases. Celles de ces femmes, celles des autres sur elles, ou autour d'elles, qu'il
importe de traiter comme phrases, comme activité de langage, et non comme des
fragments de réalité qu'il n'y aurait plus qu'à ajuster et assembler. A l'issue de la
recherche, il s'agira encore d'écrire, si ce n'est de raconter ces vies. Confrontée à ce
travail des mots, Virginia Woolf disait dans un texte de jeunesse : "Lorsqu'on écrit
sur une personne, qu'elle soit morte ou vivante, les mots ont bien malheureusement
tendance à former comme une draperie souple qui masque tout signe de vie" K Mais
cette formulation, au plus près du malaise éprouvé par le biographe ou l'auteur de
mémoires, oppose trop encore les mots et la vie, faisant d'eux un écran qui
empêcherait d'accéder à la réalité de la personne vivante, alors qu'il n'est pas de vie
humaine sans langage, et pas de témoignage sur la réalité sans discours du témoin.
Le biographe peut avoir par éclairs, au plus fort de son travail, le sentiment
d'accéder à quelque chose d'une expérience en-deçà ou au-delà du langage, c'est
néanmoins à travers des mots qu'il y accède, et par l'écriture qu'il le transmettra. ,
Ce sont là des évidences, que l'étymologie du mot (bio-vie graphein-écrire)
suffirait peut-être à rappeler. Mais ces évidences, une bonne part des biographies qui
abondent en ce moment sur le marché les ignorent, qui vous proposent des vies de
X "comme si vous y étiez", vous "transportent dans les siècles passés", et
reconstruisent inlassablement l'illusion biographique 2 analysée et démontée par les
approches théoriques. Qu'on se réfère à l'expérience commune : quand on achète
une biographie, on sait bien ce qu'on attend, attente de l'ordre de l'information et de
la lisibilité qui tend à réduire l'écriture soir à un medium quasi transparent, soit à un
habillage élégant et habile qui "fait vivre" et fait éventuellement passer les austérités
de l'érudition historique. Précis, mais pittoresque. Savant, mais vivant Que les mots
fassent vrai, fassent image. Quand réflexion sur le langage et l'écriture il y a, et 57 conscience de leur importance, elles se portent en général sur une seule de ce qu'on
pourrait appeler les "extrémités" de la démarche biographique : ou sur le point de
départ, pour une critique des sources que les historiens aujourd'hui mènent avec
exigence ' ; ou sur la forme de présentation et de rédaction finalement adoptée,
récit portrait ou essai, chronologique ou non, plus ou moins proche de l'écriture
romanesque. Et ces deux moments de réflexion critique ont leur importance, mais
surtout dans le rapport et la tension qu'ils entretiennent. On peut concevoir la
démarche biographique autrement que comme l'art de trouver l'emballage le mieux
adapté possible à un contenu dont l'exactitude aura été au préalable scrupuleusement
vérifié : comme le rapport d'un présent à un passé, et d'un discours à d'autres
discours.
Bien sûr, rien de propre aux femmes dans ces considérations, qui valent pour
toute entreprise biographique. La clarté de l'exposition voudrait ici qu'après les
avoir développées, je consacre un chapitre particulier aux difficultées propres aux
biographies de femmes. Mais la clarté viendrait alors d'un excès de simplicité, et
d'un abord de la question faussé dès le départ. Qui supposerait que notre analyse de
la biographie n'est pas située et informée par le fait que, femmes, nous travaillons
sur des vies de femmes. Et surtout qu'il existe des problèmes spécifiquement
féminins, distincts de ceux de la "biographie en général". Nous avons posé dès le
départ que pour nous la "question femmes" n'était pas un addendum, ni même un
champ de recherches auquel on pourrait appliquer, en les spécifiant, des règles
générales élaborées et expérimentées ailleurs. Elle constitue à la fois un point de
vue, qui à chaque moment peut avoir sa pertinence, et un révélateur d'enjeux qui
vont au-delà d'elle-même. Dans cette réflexion, que j'ai intitulée "Ecrire des vies de
femmes", en faisant de l'étymologie le programme descriptif de notre démarche,
j'essaierai donc de poser simultanément plusieurs ordres de questions, faisant de
chacune un éclairage possible des autres : Comment écrire une vie, ce qui n'est pas
nécessairement la raconter ? Comment parler en même temps de plusieurs vies,
c'est-à-dire aussi d'autre chose que de ces vies, de ce point de vue commun, ou de
ces questions communes qui nous ont poussées à les rassembler et à les croiser ?
Comment parler d'une vie de femme, étant bien entendu que nous ne voulons pas
suggérer par là une qualité féminine particulière de cette vie, mais qu'elle fut celle
d'un individu de sexe féminin, cette appartenance ayant une importance décisive à
nos yeux ? Cette détermination, donnée dès le titre, ne laisse pas d'ailleurs de faire
problème et d'engager ce qui va suivre, car elle fait du sexe * il serait plus exact de
dire ici du genre - l'élément central et déterminant de la vie. Or, on pourrait très
bien, à propos des mêmes individus, raconter des vies de poétesse, d'amoureuse, de
58 révoltée, de pionnière «. . . Point de vue
La difficulté sera pour nous que le point de vue initial n'entraîne pas pourtant un
présupposé de ce qu'est une "vie de femme", et des difficultés qu'il y a à en parler,
qui aboutirait à reproduire le discours générique sur La femme. Indiquer ce risque
ne signifie pas prôner l'abandon du point de vue. "Tout discours historique suppose
un intérêt dont on doit faire la théorie", écrit Karlheinz Stierle s, et aucune
biographie n'est innocente. Elle engage toujours un rapport de son auteur à
l'individu biographe, et suppose un intérêt qu'il soit d'ordre affectif, politique,
idéologique, une visée qui dépasse cette vie en elle-même. Les femmes de notre
corpus, deux d'entre elles surtout Marceline Desbordes-Valmore et Daniel Stern,
ont été abondamment étudiées. Mais on s'est intéressé à elles moins pour elles-
mêmes que pour les enjeux politiques que représentaient Claire Démar et Jeanne
Deroin, qui posaient le problème des rapports entre féminisme et socialisme,
féminisme et mouvement ouvrier. Ou pour le modèle féminin positif et édifiant que
constituait Desbordes-Valmore, à la condition de quelques retouches, négatif et
brandi en épouvantail symbolisant les femmes bas-bleus et l'égoïsme aristocratique
en ce qui concerne Daniel Stern. Devant toutes les biographies dont nous disposons,
il faut faire la part de l'idéologie, du parti-pris, du fantasme. Non qu'en pointant
l'occultation ou la déformation, nous ayons l'illusion d'une "réalité" univoque qu'il
nous serait possible de rétablir. Mais ces lectures, ces récits, ces commentaires font
désormais partie intégrante de l'histoire de ces femmes, c'est à travers eux que nous
nous sommes intéressées à elles, ils informent n

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