Hagiographie, théologie et théocratie dans le Cluny de l an Mil - article ; n°1 ; vol.149, pg 241-257
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Publications de l'École française de Rome - Année 1991 - Volume 149 - Numéro 1 - Pages 241-257
L'hagiographie abbatiale clunisienne s'élabore tardivement, aux alentours de l'an Mil, sous l'impulsion d'Odilon (994-1049), promoteur du culte de saint Maieul. Cluny est alors une seigneurie indépendante et un sanctuaire exempt. On charge donc le saint abbé d'incarner le tête d'un corps autonome, l'Ecclesia cluniacensis.
Ces conditions historiques exceptionnelles (et propres à la Francie occidentale des Xe-XIe siècles) expliquent les implications ecclésiologi- ques de l'hagiographie clunisienne. C'est dans ce cadre narratif qu'Odi- lon et ses frères, combinant les leçons de l'Écriture et les enseignements du platonisme chrétien, pensent l'ordre du monde, le statut des hommes dans le siècle et la paix de l'Église en marche vers l'au-delà sous la direction des plus purs, les saints moines. Ce faisant, les Clunisiens articulent hagiographie et théologie pour jeter les bases d'un gouvernement du monde par les spirituels : une théocratie monastique, sorte d'avant-goût des efforts grégoriens pour encadrer les hommes ici-bas.
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Publié le 01 janvier 1991
Nombre de lectures 125
Langue Français
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Extrait

Dominique Iogna-Prat
Hagiographie, théologie et théocratie dans le Cluny de l'an Mil
In: Les fonctions des saints dans le monde occidental (IIIe-XIIIe siècle). Actes du colloque de Rome (27-29 octobre
1988). Rome : École Française de Rome, 1991. pp. 241-257. (Publications de l'École française de Rome, 149)
Résumé
L'hagiographie abbatiale clunisienne s'élabore tardivement, aux alentours de l'an Mil, sous l'impulsion d'Odilon (994-1049),
promoteur du culte de saint Maieul. Cluny est alors une seigneurie indépendante et un sanctuaire exempt. On charge donc le
saint abbé d'incarner le tête d'un corps autonome, l'Ecclesia cluniacensis.
Ces conditions historiques exceptionnelles (et propres à la Francie occidentale des Xe-XIe siècles) expliquent les implications
ecclésiologi- ques de l'hagiographie clunisienne. C'est dans ce cadre narratif qu'Odi- lon et ses frères, combinant les leçons de
l'Écriture et les enseignements du platonisme chrétien, pensent l'ordre du monde, le statut des hommes dans le siècle et la paix
de l'Église en marche vers l'au-delà sous la direction des plus purs, les saints moines. Ce faisant, les Clunisiens articulent
hagiographie et théologie pour jeter les bases d'un gouvernement du monde par les spirituels : une théocratie monastique, sorte
d'avant-goût des efforts grégoriens pour encadrer les hommes ici-bas.
Citer ce document / Cite this document :
Iogna-Prat Dominique. Hagiographie, théologie et théocratie dans le Cluny de l'an Mil. In: Les fonctions des saints dans le
monde occidental (IIIe-XIIIe siècle). Actes du colloque de Rome (27-29 octobre 1988). Rome : École Française de Rome, 1991.
pp. 241-257. (Publications de l'École française de Rome, 149)
http://www.persee.fr/web/ouvrages/home/prescript/article/efr_0000-0000_1991_act_149_1_4200DOMINIQUE IOGNA-PRAT
HAGIOGRAPHIE, THÉOLOGIE ET THÉOCRATIE
DANS LE CLUNY DE L'AN MIL
En 998, soit plus de 80 ans après la fondation de Cluny par le duc
d'Aquitaine Guillaume le Pieux, le pape Grégoire V accorde au monast
ère son premier privilège d'exemption. Ce document ne garantit pas
seulement la liberté spirituelle du sanctuaire; il représente aussi la pre
mière reconnaissance officielle d'une sainteté abbatiale clunisienne. Ce
privilège accordé à Odilon, cinquième abbé de Cluny entre 994 et 1049,
dresse la liste des possessions concédées aux saints patrons du monast
ère, Pierre et Paul, ou acquises par les premiers abbés. Énumérant ains
i les prédécesseurs d'Odilon, Grégoire V évoque «la bienheureuse mé
moire de saint Maieul» - seul des premiers abbés de Cluny à se voir
décerner pareil brevet de sainteté1.
Fait à première vue étonnant, il faut attendre les alentours de l'an
Mil pour que fleurisse une hagiographie abbatiale clunisienne. On ne
possède rien sur Bernon, le fondateur; rien non plus sur Aymard, tro
isième abbé de 942 à 954, qui fut, il est vrai, une figure de second plan.
Mais Odon? La première grande figure abbatiale clunisienne s'est
éteinte à Saint-Julien de Tours où se conservèrent ses reliques. Le Liber
tramitis aeui Odilonis (c'est-à-dire les coutumes clunisiennes rédigées
sous l'abbatiat d'Odilon) mentionne sa fête avec une discrétion frap
pante. La Saint-Odon ne fait pas partie, comme on pourrait s'y atten
dre, des solennités majeures du monastère2. C'est Hugues de Semur
(1049-1109) qui s'attache au culte d'Odon3.
Odilon est le promoteur de la première hagiographie abbatiale clu-
1 Cf. H. Zimmermann, Papsturkunden 896-1046, II, 351, p. 683.
2 Liber tramitis aeui Odilonis, éd. P. Dinter {Corpus consuetudinum monasticarum,
X), Siegburg, 1980, 132, p. 193.
3 Le fait a été bien dégagé par A. H. Bredero, La canonisation de saint Hugues et
celle de ses devanciers, dans Le gouvernement d'Hugues de Semur à Cluny. Actes du collo
que scientifique international (Cluny, septembre 1988), Cluny, 1990, p. 162. 242 DOMINIQUE IOGNA-PRAT
nisienne. Il est l'auteur d'une Vie et d'hymnes en l'honneur de saint
Maieul, abbé de 954 à 994. Il contrôle la rédaction des autres pièces
contemporaines du dossier hagiographique de Maieul, en particulier
l'importante Vie rédigée par Syrus et le Sermo de beato Maiolo, pièce
anonyme que j'ai récemment éditée4. La tradition hagiographique clu-
nisienne a d'ailleurs très tôt associé les deux figures abbatiales. Ainsi
X'Electio domini Odilonis, petite pièce en hexamètres léonins, composée
dans les années 1003-1010, évoque-t-elle d'un même élan le saint abbé
défunt, Maieul, et son successeur, Odilon5. Ce dernier est, enfin, l'au
teur d'un éloge funèbre dont Patrick Corbet a rappelé récemment toute
l'importance, YEpitaphium domne Adalheidae auguste, la sainte impérat
rice Adélaïde6.
C'est cette imposante production hagiographique qui va nous ser
vir ici de corpus de référence; j'y ajoute les textes composées par Jot-
sald, dans les années 1050, en l'honneur de saint Odilon7. Pour la
commodité de l'exposé, je considère comme acquis (sans plus insister)
que cette production se nourrit, en bonne partie, au terreau doctrinal
des maîtres carolingiens de l'École d'Auxerre : Haymon et surtout Hei-
ric8.
*
* *
À quoi servent les saints dans le Cluny de l'an Mil? À penser le
monde; à éduquer le siècle; à préparer l'au-delà; à garantir la paix du
sanctuaire. Vaste programme, on en conviendra.
4 D. Iogna-Prat, Agni immaculati. Recherches sur les sources hagiographiques de
saint Maieul (954-994), Paris, 1988, p. 287-301 ; on trouvera, dans cet ouvrage, une présen
tation d'ensemble des différentes pièces du dossier hagiographique de saint Maieul.
5 L'Electio a été éditée dans D. Iogna-Prat, op. cit. (n. 4), p. 303-304.
6 Odilon de Cluny, Epitaphium domne Adalheidae auguste, éd. H. Paulhart, Die
Lebensbeschreibung der Kaiserin Adelheid von Abt Odilo von Cluny (Mitteilungen des Insti
tuts für österreichische Geschichtsforschung, Ergänzungsband XX, 2), Graz-Cologne, 1962,
p. 27-45 ; P. Corbet, Les saints ottoniens. Sainteté dynastique, sainteté royale et sainteté
féminine autour de l'an Mil (Beihefte der Francia, 15), Sigmaringen, 1986.
7 JoTSALD, Vita sancii Odilonis, P.L. 142, col. 897-940; Planctus de transitu domni
Odilonis abbatis cluniacensis, ibid., col. 1043-1046, à compléter par quatre hexamètres
publiés par E. Sackur, Zu Iotsaldi Vita sancti Odilonis und Verse auf Odilo, dans Neues
Archiv der Gesellschaft für ältere deutsche Geschichtskunde, XV, 1890, p. 122.
8 Voir D. Iogna-Prat, op. cit. (n. 4). THÉOLOGIE ET THÉOCRATIE DANS LE CLUNY DE L'AN MIL 243 HAGIOGRAPHIE,
Mais avant de détailler ces réponses, il est nécessaire de définir ce
qu'est le Cluny de l'an Mil et de se demander pourquoi la première
hagiographie abbatiale fleurit à cette époque.
Sous l'abbatiat d'Odilon, Cluny connaît deux transformations maj
eures. Dans le contexte d'effritement des pouvoirs publics (royal, ducal
et comtal) qui affecte le royaume de Francie occidentale dans les
années 980-1020, le monastère devient une seigneurie indépendante9.
Dans les mêmes années, le sanctuaire clunisien acquiert la liberté sur le
plan spirituel10. En 1024, le pape Jean XIX confirme et prolonge
l'exemption accordée en 998 par Grégoire V. Désormais ce sont tous les
Clunisiens «où qu'ils soient» (ubicumque positi) qui sont libérés du pou
voir d'ordre et de coercition du diocésain : pas simplement Cluny, mais
aussi ses dépendances11. Tout frère «où qu'il soit» ne relève plus que
de l'abbé. D'où le besoin d'une figure abbatiale idéale et emblématique :
c'est le rôle qu'Odilon fait jouer à Maieul.
Cette acquisition des libertés (temporelle et spirituelle) représente
une sorte de seconde naissance de Cluny. Pendant plus d'un demi-sièc
le, Odilon organise souverainement le monastère, sa vie intérieure
comme ses rapports avec le «monde». Il développe les activités du
scriptorium, déjà fort actif depuis les années 960 12. S'y exécutent des
copies de tout type : à Cluny, on est à la fois scribe et notaire. D'où la
grande cohérence des sources clunisiennes contemporaines invitant
l'historien à p

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