II y a parmi nous des monstres - article ; n°1 ; vol.28, pg 127-163
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Description

Communications - Année 1978 - Volume 28 - Numéro 1 - Pages 127-163
37 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 38
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Monsieur Pierre Lascoumes
Madame Ghislaine Moreau-
Capdevielle
Georges Vignaux
"II y a parmi nous des monstres"
In: Communications, 28, 1978. pp. 127-163.
Citer ce document / Cite this document :
Lascoumes Pierre, Moreau-Capdevielle Ghislaine, Vignaux Georges. "II y a parmi nous des monstres". In: Communications, 28,
1978. pp. 127-163.
doi : 10.3406/comm.1978.1422
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1978_num_28_1_1422Pierre Lascoumes, Ghislaine Moreau-Capdevielle,
Georges Vignaux
II y a parmi nous des monstres...
Argumentations de presse relatives au procès
de C. Buffet et de R. Bontems (1972)
l'information écrite et son discours
« Voyez-vous, les mots ne signifient pas seulement ce que nous avons l'intention
d'exprimer quand nous les employons : de sorte que la signification d'un livre
doit certainement dépasser les intentions de l'auteur. Ainsi toute signification
satisfaisante que l'on peut trouver à mon livre, je l'accepte avec joie comme
étant la signification de celui-ci. La meilleure que l'on m'ait donnée est due à
une dame (elle a publié son interprétation dans un journal), qui affirme que le
poème est une allégorie représentant la recherche du bonheur. Je pense que
cela " tient " admirablement à bien des égards — en particulier pour ce qui
concerne les cabines de bains : quand les gens sont las de la vie et ne peuvent
trouver le bonheur ni dans les villes ni dans les livres, alors ils se ruent vers les
plages, afin de voir ce que les cabines de bains pourront faire pour eux1. »
Sans doute ne sommes-nous pas toujours las de la vie mais il nous arrive bien
quotidiennement d'aller voir ce que « l'information » peut pour nous. C'est une
banalité aujourd'hui que de constater cette consommation devenue besoin des
« échos du monde » : presse, radio, télévision. Filtrés à nos yeux, à nos oreilles,
nourrissant notre imaginaire autant qu'ils s'alimentent de celui-là, leur déve
loppement, leur sophistication sont significatifs du spectaculaire fondant nos
sociétés. Il n'est plus de politique sans eux; il n'est plus d'économique sans leur
médiation. Banalité donc de le constater si on s'arrête au simple étonnement
admiratif ou critique. L'examen des apparences mérite davantage qu'un simple
recensement. Il ne sert pas à grand-chose ainsi d'affirmer qu'il existe une « indust
rie des media » sinon à s'enfermer dans une vision naïvement économiste des
implications de l'information dans la circulation des marchandises et dans
l'échange social. On peut toujours faire l'inventaire des stocks de mots ou d'imag
es. On peut évaluer statistiquement l'importance de leur diffusion numérique
et géographique autant que quantifier leur valeur ajoutée à la « bourse » des
pouvoirs politico-économiques. On n'aura guère montré que des effets, marqué
des indices, rendu compte de transactions.
Il faut alors peut-être revenir à l'observation de ces « cabines de bains » (on
parle de « bain d'informations ») devenues éléments du nécessaire, composantes
de l'économie personnelle de nos conduites. L'écrasante majorité de nous chaque
jour lit un journal, écoute une radio, regarde des images. Nous commentons
1, Lewis Carroll, Lettre à un ami américain à propos de La Chasse au Snark.
127 P. Lascoumes, G. Moreau-Capdeviélle, G. Vignaux
cela, nous nous en inspirons souvent.. Des sociologues parlent des contenus de
l'information, des économistes des capitaux investis dans les media, des psycho
logues des effets des messages. La plupart résument les plus vieilles questions
de l'histoire de la pensée dans quelques formules triviales : conditionnement,
besoin d'illusion, rêve, distraction, drogue. C'est qu'ils prennent le spectaculaire
pour conséquence, la nouvelle pour transmission d'idées, l'image pour évocation,
l'information en général comme reflet. Et pourtant chacun sait depuis Alice que
les miroirs se traversent et qu'ils ne sont pas neutres dans ce qu'ils nous reflètent.
Ce n'est pas que l'information soit perverse parce que manipulée, manipulante.
Se contenter d'une proposition aussi simple reviendrait à croire qu'une raison
pernicieuse et surtout consciente précède et motive tout discours social. Lorsque
nous prenons les « échos du monde » nous savons bien qu'il s'agit de mots et
d'images et donc d'analogies. Ils peuvent se donner comme respect de l'évén
ement (copie) ou se reconnaître comme transformation (anamorphose). C'est leur
jeu. « Lorsque je résiste à l'analogie, écrit R. Barthes x, c'est en fait à l'imaginaire
que je résiste : à savoir : la coalescence du signe, la similitude du signifiant et du
signifié, l'homéomorphisme des images, le Miroir, le leurre captivant. » Toute
information — y compris l'explication scientifique — s'inscrit dans les registres
de l'analogie et ce faisant elle participe du « leurre » plus que du reflet : elle
forme, assure l'imaginaire d'une représentation, d'un univers, d'une science.
Elle n'a pas de sens : elle est sens, lieu de production et caution de celui-ci. Pour
qu'une proposition ait valeur de principe, expliquait Aristote dans les Topiques,
il suffit que dans les conditions concrètes du débat dialectique et dans le milieu
où il se déroule, elle soit reconnue comme telle et que, par son contenu propre,
elle s'impose avec évidence et autorité.
Nous ne jugerons donc pas de l'information en termes de correspondance fidèle
à l'événement ou à la situation qui l'ont motivée, voire à la place-origine qui
l'authentifie mais bien sous la forme d'une « recevabilité » qui dépend des contraint
es pratiques (au sens opératoire) de sa construction : cohérence et vraisemblance.
En d'autres termes, le renvoi à un extérieur du type « réalité » physico-sociale
ou conceptuelle est une condition suffisante mais non nécessaire pour qu'un
discours, une image, un film s'inscrivent dans un auditoire. Il faut encore qu'ils
aient sens pour cet auditoire et constituent dès lors le sens de cet auditoire au
point qu'ils suffisent à celui-ci pour se définir après eux. Cela parce que la fonc
tion primordiale du discours dans les mots ou dans les images est bien d'assurer
à chaque fois la cohérence virtuelle de représentations fondées sur des imaginaires
locaux ou généraux. S'il se donne pour analogon-représentation d'une situation,
il n'en est pas pour autant à chaque fois la reproduction de celle-ci, sa traduction,
son « reflet idéologique ». Parler ainsi d'idéologie dominante revient quelquefois
à formuler un pléonasme. L'idéologie en effet, cela peut être tout banalement,
comme le souligne R. Barthes, « l'idée en tant qu'elle domine » en quelque lieu.
Dès lors cette cohérence nécessaire des représentations n'est pas autre chose que
le leurre opératoire des modalités de construction et de fonctionnement du
spectaculaire de l'information. L'information, pour paraphraser G. Debord2,
se présente à la fois comme la réalité même, comme une partie de la réalité et
1. Roland Barthes, Roland Barthes, coll. a Écrivains de toujours », Paris, Le Seuil,
1975, p. 49.
2. La Société du spectacle, Paris, Buchet-Chastel, 1967, p. 10.
128 Il y a parmi nous des monstres
comme instrument d'unification. Le discours politique, les images publicitaires,
la relation du fait divers sont ainsi des « visions » qui visent à s'objectiver en se
donnant comme réponses matériellement traduites et objectives du regard, de la
question sur le monde.
Toutes ces représentations diffusées sont « atypiques »: leur lieu de référence
n'est ni véritablement une classe, ni un groupe, ni un pouvoir. Elles sont elles-
mêmes pouvoir autonome, lieu de pouvoir et image de pouvoir en tant que
propositions de sens. Tout le jeu de l'information est dans ces « dérives » à partir
de ce qu'on peut savoir des étiquettes-origines de ceux qui ont produit ces
discours ou ces images : parcours « à partir de » mais dans des limites évidem
ment non transgressables qui sont les modalités pratiques de constitution et
d'acceptabilité historiques des sens. Dé

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