L impossibilité du vide : fiction littéraire et espaces habités - article ; n°1 ; vol.73, pg 233-243
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Communications - Année 2002 - Volume 73 - Numéro 1 - Pages 233-243
Habiter, c'est — d'abord ?— en le différenciant donner à l'espace consistance et sens. Entre dénominations socialement convenues et inventions, détournements et petits noms, surnoms et calembours, l'habitant « joue » avec les mots et les lieux de l'habitation, qui forment une espèce de tautologie. En travaillant ce matériau déjà sensé qu'est la langue, l'écriture romanesque joue également sur et avec les désignations de l'espace domestique dont elle éclaire singulièrement les logiques en en exploitant les ressorts dramatiques. De Flaubert à Calet, cet article s'attache à de tels jeux à travers quelques exemples de fiction littéraire.
Living also — foremost ?— involves qualifying, differentiating and orientating a space by giving it both consistence and meaning by naming it. Using socially recognized designations and diverses inventions, nicknames or word games, people « play » with the words associated with living. In a similar way, literature, in working material that is « already sensitized », also plays on and with the designations of quotidian space and gives singular insight into their logic through an exploration of their dramatic actions. From Gustave Flaubert to Henri Calet, this article examines such language games by focusing on a few specific examples.
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 15
Langue Français

Extrait

Mr Jean-Charles Depaule
L'impossibilité du vide : fiction littéraire et espaces habités
In: Communications, 73, 2002. pp. 233-243.
Résumé
Habiter, c'est — d'abord ?— en le différenciant donner à l'espace consistance et sens. Entre dénominations socialement
convenues et inventions, détournements et petits noms, surnoms et calembours, l'habitant « joue » avec les mots et les lieux de
l'habitation, qui forment une espèce de tautologie. En travaillant ce matériau déjà sensé qu'est la langue, l'écriture romanesque
joue également sur et avec les désignations de l'espace domestique dont elle éclaire singulièrement les logiques en en exploitant
les ressorts dramatiques. De Flaubert à Calet, cet article s'attache à de tels jeux à travers quelques exemples de fiction littéraire.
Abstract
Living also — foremost ?— involves qualifying, differentiating and orientating a space by giving it both consistence and meaning
by naming it. Using socially recognized designations and diverses inventions, nicknames or word games, people « play » with the
words associated with living. In a similar way, literature, in working material that is « already sensitized », also plays on and with
the designations of quotidian space and gives singular insight into their logic through an exploration of their dramatic actions.
From Gustave Flaubert to Henri Calet, this article examines such language games by focusing on a few specific examples.
Citer ce document / Cite this document :
Depaule Jean-Charles. L'impossibilité du vide : fiction littéraire et espaces habités. In: Communications, 73, 2002. pp. 233-243.
doi : 10.3406/comm.2002.2122
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2002_num_73_1_2122Jean-Charles Depaule
L'impossibilité du vide :
fiction littéraire et espaces habités
Le verbe habiter comme foyer d'étonnement.
Pierre Getzler '
Deux phrases en guise d'amorce, sur lesquelles on reviendra. L'une est
empruntée à L'Éducation sentimentale :
II l'introduisit, non dans le boudoir ou dans sa chambre, mais dans la
salle-à-manger 2.
L'autre est de Lewis Carroll, qui, à propos d'Alice pénétrant pour la
première fois dans une salle de tribunal, écrit :
Elle en avait lu diverses descriptions dans plusieurs livres et elle fut
toute heureuse de constater qu'elle avait le nom de presque tout ce qui
s'y trouvait3.
Lieux dits, lieux nommés. Un ancrage s'établit, culturel et social, dont
les difficultés de traduction illustrent l'importance : le langage porte les
valeurs qui caractérisent l'usage de l'espace. Langage et espace récipr
oquement se structurent. Un lieu existe, notamment, d'être désigné, su
rnommé, renommé. Les mots « découpent » l'espace, ils l'orientent, ils en
distinguent une portion, ils différencient les parties composant celle-ci
(« l'espace, note Durkheim, ne saurait être lui-même si, tout comme le
temps, il n'était divisé et différencié4 »). Ils le qualifient.
233 Jean-Charles Depaule
Vocabulaires domestiques.
A la lumière de notre expérience, nous pourrions être tentés de conce
voir ces dénominations — au moins celles qui concernent l'habitation, à
laquelle on se limitera ici - comme relevant « naturellement » d'assigna
tions fonctionnelles (salle à manger, salle de bains, cuisine...) qui s'in
scrivent de manière plutôt stable dans l'espace. Rappelons-le, il n'en a pas
toujours été ainsi, les systèmes spatio-symboliques changent (lentement).
A l'âge classique, en français comme dans les autres langues européennes,
le vocabulaire domestique était extrêmement réduit et peu spécialisé.
D'une part, employés souvent sans autre spécification, « salle », « chamb
re » et « cabinet » dénotaient des caractères génériques, des ordres de
grandeur et d'importance, tandis que seuls quelques rares termes, « cui
sine » en particulier, indiquaient de manière explicite une fonction, ou
une relation topologique - comme l'« antichambre » et l'« antisalle » qui,
précédant une chambre ou une salle, la desservaient. Ouvrant la voie à
des recherches nouvelles, Philippe Ariès, dans L'Enfant et la Vie familiale
sous l'Ancien Régime, avait attiré l'attention sur ces aspects lexicaux en
signalant l'adoption au XVIIIe siècle dans l'Europe occidentale de mots
composés, comme « salle à manger », « dining-room », « chambre à cou
cher » : la dénomination des lieux se spécifiait. Auparavant, les meubles
effectivement mobiles se déplaçaient, on les dressait, on lés démontait,
l'espace était qualifié au gré des circonstances. Ainsi, dans la maison
bourgeoise du XVIIe siècle qui cristallisait cet usage dont le théâtre de
Molière rend parfaitement compte - que l'on pense à la salle où M. Jour
dain traite ses affaires, reçoit ses fournisseurs, règle . des questions de
famille, étudie la danse, l'escrime et la grammaire, où une table est dressée
le temps d'un repas -, un même heu pouvait changer d'affectation suivant
la scansion des rythmes quotidiens, hebdomadaires et autres, les pieces
en enfilade communiquaient directement entre elles et le monde des ser
viteurs était mêlé à celui des maîtres.
La mutation lexicale repérée par Ariès est significative d'une évolution
des mœurs, qui se déroulera sur trois plans : social, langagier et spatial,
d'une manière rarement synchrone, car il y aura des anticipations ou des
retards, dans les conceptions et le vocabulaire de l'architecture notam
ment. Au cours des XVIIIe et XIXe siècles lé changement procédera comme
par essais et erreurs, avec des hésitations, des accélérations, des ralenti
ssements, et affectera différemment les divers groupes. Pour Ariès, la pro
pagation des nouvelles façons d'habiter était centrifuge : du haut vers le
bas de la hiérarchie sociale, de la capitale vers la province et de la ville
234 Fiction littéraire et espaces habités
vers la campagne. Mais ces schémas univoques ont depuis été critiqués
et assouplis. Si, comme elles l'ont montré, le mouvement n'est pas linéaire,
Monique Eleb et Anne Debarre ont nettement identifié des tendances,
rappelées ici à grands traits : tandis que le rapport de soi à soi-même et
aux autres se transformait, qu'étaient redéfinis le rôle de la femme, les
rapports des adultes et des enfants, ainsi que ceux des maîtres et des
serviteurs, le territoire de la famille se détachait des autres sphères de la
vie sociale, il se recomposait, et, comme le langage devait tôt ou tard en
rendre compte, les pièces, jadis « convertibles » au gré des circonstances,
se spécialisaient. < Désormais, à chaque activité, à chaque relation impli
quant un ensemble plus ou moins grand d'individus, à chaque fonction
symbolique et pratique, à chaque moment, un lieu, une pièce, un coin
ou, à défaut, un signe. Chaque chose à sa place et même, si possible,
chaque éventualité, dût-elle ne pas se produire, ou une unique fois, ainsi
que l'illustre l'image d'un salon attendant un visiteur qui ne viendra
peut-être jamais.
Les mots qualifient l'espace. Le nommer, comme nous le faisons quo
tidiennement en puisant dans le lexique disponible ou en nous risquant
à détourner ou inventer un terme (un « petit nom »), c'est non seulement
reconnaître un lieu, mais se l'approprier, lui donner consistance en le
faisant sien, lui prêter un sens, le produire en quelque sorte. C'est réactiver
une signification, en réitérant celle, largement partagée, que la société a
fixée, ou s'en écarter pour une nouvelle, voire pour une plus ancienne
maintenue à contre-courant de l'évolution des usages. Un mot contient
une espèce de définition concentrée. Il a la capacité d'exprimer de manière
lapidaire une évidence... évidente si l'on est à l'abri d'un malentendu. En
particulier il' « dit » des différences, des gradations et des hiérarchies
pratiques et symboliques, en distinguant les domaines masculin et fémi
nin, public et privé, personnel et collectif, selon un processus de dénomi
nation différentielle qui attribue à des &#

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