La guerre des interprétations symboliques - article ; n°1 ; vol.55, pg 55-66
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Description

Communications - Année 1992 - Volume 55 - Numéro 1 - Pages 55-66
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 17
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Déyan Deyanov
La guerre des interprétations symboliques
In: Communications, 55, 1992. pp. 55-66.
Citer ce document / Cite this document :
Deyanov Déyan. La guerre des interprétations symboliques. In: Communications, 55, 1992. pp. 55-66.
doi : 10.3406/comm.1992.1834
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1992_num_55_1_1834Deyanov * Déyan
La guerre des
interprétations symboliques
Tout se passe comme si une forte dualité se manifestait dans ces
changements de nom des rues, ces destructions ou déplacements de
statues, ces « déménagements » des guides et précepteurs momifiés
chassés de leurs mausolées, ou bien encore, au-delà, dans l'oubli spon
tané de fragments de nos propres biographies et la subite remémora-
tion de noms oubliés depuis longtemps. L'euphorie politique de 1989
s'est muée en euphorie engendrée par la libération des « lieux de
mémoire », par la redécouverte de la mémoire rayée ou manipulée par
le totalitarisme \ Mais, par ailleurs, quelque chose nous pousse à
recourir à des métaphores psychanalytiques car nous avons la vague
inquiétude que la libération de ces « lieux » s'apparente à un « travail »
au sens analytique, avec tous les processus de condensation, de dépla
cement qui l'accompagnent. Cette « libération » recèlerait donc une
« réécriture de l'histoire » inversant l'écriture totalitaire 2. La situation
post-totalitaire 3 nous dispose - sous des formes qui demeurent à étu
dier - à « l'oubli et [à] la remémoration des noms », à la production de
« souvenirs-écrans », de « lapsus », d'« actes symptomatiques ». Bien
que la Sofia du début des années 90 ne soit pas la Vienne du début du
siècle, c'est en un sens à peine métaphorique que nous pourrions dire
que s'approfondit autour de nous et en nous une psychopathologie de
la vie quotidienne (politique). Et c'est cette qui, peu
à peu, s'est manifestée à travers une violence symbolique, a ouvert le
champ à ce que l'on pourrait appeler une « guerre civile des inter
prétations symboliques ».
Philosophe, directeur de l'Institut de critique sociale de Sofia.
55 Déyan Deyanov
Généalogie des élites post-totalitaires.
Les figures d'une nouvelle rhétorique de l'inconscient politique
censurent l'espace et le temps de la vie publique, restructurent les bio
graphies de nos prédécesseurs et les nôtres, réaménagent les « zones
d'investissement symbolique » (de la taverne et du club de quartier
aux mausolées et aux obsèques politiques ; de la file d'attente - cette
manifestation de la disette - à la manifestation politique - cette file
d'attente devant l'étalage de la démocratie) 4. Les figures de cette nou
velle rhétorique de l'inconscient politique, imperceptibles pour
l'homme de la rue, mues par une dynamique invisible, constituent le
soubassement de la restructuration des capitaux économiques, poli
tiques et culturels. Elles redistribuent secrètement le pouvoir, nour
rissent la formation des élites post-nomenklaturistes. Ce sont elles qui
expliquent ce qui se joue dans les profondeurs « archéologiques » de
l'opinion publique - par contraste avec les strates superficielles qui se
livrent dans les sondages d'opinion. Les figures de cette rhétorique
constituent, à l'insu même de celui qui étudie l'opinion, rivé sur l'ac
tualité du jour, le « texte » de l'opinion publique ; le contexte de la
constitution de celle-ci échappe à toute forme d'enregistrement empir
ique.
Si nous nous en tenons aux strates superficielles de l'opinion
publique, les processus en cours depuis deux ans environ peuvent être
désignés comme spirale post-totalitaire du silence : « Tout un chacun,
parmi les partisans de la politique de l'UFD 5, a le sentiment que ce
qu'il pense jouit de l'approbation de tous. Aussi donne-t-il libre cours
à ses idées, les expose-t-il sans la moindre hésitation ; ceux qui, en
revanche, rejettent la politique de l'UFD, se sentant isolés, se replient
sur eux-mêmes. Un nombre toujours croissant de personnes préfèrent
taire leurs convictions jusqu'au jour où, la spirale se développant sans
cesse, les uns se retrouvent en situation de dominants absolus tandis
que les autres sont comme sans voix. » Pourtant, dans une situation
post-totalitaire, un tel processus n'a en soi rien d'inéluctable, au sens
où nombreux sont ceux qui, rejetant la politique de l'UFD, n'en sont
pas pour autant contraints au silence et à l'isolement \ ce sont eux qui,
se délestant des clichés idéologiques, perdant leur légitimité, se
dépouillant de leur efficacité symbolique, s'installent dans cette posi
tion. Aspirant à acquérir un nouveau potentiel social, ils ont accompli
un acte (¥ autoviolence symbolique 6. La spirale du silence s'est avérée
être le masque public d'une ligne politique qui refusait de montrer son
56 La guerre des interprétations symboliques
visage au grand jour. Les promoteurs à demi conscients de cette att
itude ne peuvent être définis sans réserve comme la « nomenklatura »,
les « apparatchiks », etc. Ils font plutôt partie de ces couches de la
nomenklatura que leur trajectoire biographique conduit vers les élites
post-nomenklaturistes en formation. Quelles sont ces couches ?
La structure économique de la société dans laquelle nous avons
vécu jusqu'en 1989 (et dans laquelle nous vivons encore dans une cer
taine mesure) reproduit inexorablement le déficit, le manque. Celui-ci
se trouve compensé par le « dédoublement », c'est-à-dire la
« deuxième économie », le « deuxième réseau » : piston, clientélisme,
pots-de-vin, etc. 7. Entre le vendeur et l'acheteur d'un produit défici
taire, s'entremet un individu qui, doublant le rôle de l'acheteur, peut
le faire au titre de « protégé de quelqu'un ». Notre univers quotidien
était envahi par un argent ne permettant pas réellement d'acquérir
quoi que ce soit, par des bulletins de vote n'autorisant pas à voter, des
journaux ne donnant pas d'informations. Cependant, le totalitarisme
ne se contentait pas d'être un système reproduisant le déficit
compensé par les « dédoublements » évoqués plus haut ; il était aussi
un système où le deuxième réseau demeurait en dehors de la sphère
publique - dans les zones opaques où ce système pénétrait la
privée 8. La société n'était pas peuplée que d'objets dépouillés de leur
puissance : d'autres finissaient par acquérir de la « force » - mais
« dans le dos » de l'espace public, alors que ce dernier ne cessait de se
transformer en décor de carton-pâte. C'est dans ce rapport entre un
espace public en carton-pâte et la vie réelle située en dehors de cet qu'est actif l'héritage totalitaire aujourd'hui 9. Les groupes qui,
à l'époque, avaient intérêt à redonner leur « puissance » aux choses -
de façon que l'argent permette d'acheter, que les journaux puissent
informer - ont été contraints d'utiliser les « couloirs » percés par le
deuxième réseau, d'imiter les codes régissant le comportement de ses
acteurs, de reproduire, comme lui, les clichés idéologiques légitimés
dans l'espace public de carton-pâte. Ces groupes qui s'avançaient mas
qués - et sans lesquels aucun homme politique réformateur, de Dub-
6ek à Gorbatchev, n'aurait pu s'imposer - ont été capables de redistri
buer le pouvoir de la nomenklatura dans leur propre intérêt, mais à la
seule condition de rendre leur « puissance » aux choses 10 ; on peut les
appeler les tenants du « troisième réseau ». Lorsque le pouvoir totali
taire était encore en place, la nomenklatura était profondément strati
fiée, et cette différenciation alors à demi voilée se répercute mainte
nant d'une façon importante dans la formation des élites
post-nomenklaturistes .
La révolution « positionnelle » entreprise par la nomenklatura à
partir de 1985, sous l'égide de la glasn

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