La lecture sans l interprétation - article ; n°1 ; vol.48, pg 105-120
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Description

Communications - Année 1988 - Volume 48 - Numéro 1 - Pages 105-120
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 47
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Fredric Jameson
La lecture sans l'interprétation
In: Communications, 48, 1988. pp. 105-120.
Citer ce document / Cite this document :
Jameson Fredric. La lecture sans l'interprétation. In: Communications, 48, 1988. pp. 105-120.
doi : 10.3406/comm.1988.1723
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1988_num_48_1_1723Jameson Fredric
La lecture sans l'interprétation
Le postmodernisme et le texte vidéo
L'étude suivante se fonde sur la présupposition que la vidéo occupe une
position unique dans la hiérarchie ou le système des Beaux-Arts
d'aujourd'hui ; un système qui a été restructuré à cette époque que beaucoup
appellent « postmoderne », avec une utilisation universelle des médias, qui a
marqué une rupture radicale avec les systèmes culturels du passé. Cette
rupture implique davantage que la seule introduction d'arts nouveaux et
plus spécifiquement technologiques (et cette « reproduction mécanique »
dont Walter Benjamin a parlé). Elle a commencé à se manifester avec le
cinéma et a émergé, chronologiquement parlant, en pleine « modernité ».
Aujourd'hui, par une transformation dialectique de la quantité en qualité,
l'omniprésence des médias n'atteint pas seulement tous les « Beaux-Arts »
traditionnels, dans leur forme aussi bien que dans leur contenu ; elle
modifie la logique même de la culture et de l'espace que celle-ci occupe dans
la vie quotidienne, ce qui exige de nouvelles descriptions théoriques ;
comme s'y sont attachés les théoriciens du « postmoderne », en particulier
Jean Baudrillard.
Dans ces pages, on prendra la vidéo comme un mode d'accès privilégié à
ce type de description de notre système culturel en général ; ce qui ne veut
pas dire que sa propre analyse théorique est sans problème, bien au
contraire. Tout d'abord, il faut noter que, quelles que soient leurs apparent
es similitudes, la vidéo diffère radicalement du cinéma ; non seulement par
son infrastructure technique et par sa réception, mais aussi par l'originalité
des formes qu'elle peut engendrer dans ses réalisations les plus personn
elles.
Cela signifie que la théorie filmique — qui a aujourd'hui une tradition si
riche, ses propres règles et méthodologies, une gamme d'approches très
distinctes — doit être écartée d'entrée de jeu et, pour ainsi dire, « ajour
née », en vue de développer une théorie autonome de la vidéo. A propos de
cette décision méthodologique, une parabole tirée du domaine linguistique
s'impose à l'esprit : discutant de l'hésitation des écrivains juifs de l'Europe
centrale entre écrire en allemand ou en yiddish, Kafka faisait observer un
jour que ces langues se ressemblaient trop pour qu'une traduction satisfai
sante de l'une à l'autre soit possible. En particulier, étant donné les simi-
105 Fredric Jameson
litudes thématiques entre des questions soulevées lors des débats sur le film
dit « expérimental » dans les années 50 et 60 et celles que la vidéo semble
générer, cette exclusion semble bien ascétique et bien funeste ; nous privant
d'emblée d'une multitude de concepts apparemment utiles.
Tout ce qui précède pourrait être formulé autrement, à savoir que, dans
l'analyse de la vidéo, la possibilité même d'une théorie est toujours en
question, fait confirmé par les nombreuses tentatives déjà faites dans ce
domaine, dont le thème récurrent reste l'absence, le retard, le refoulement
ou même l'impossibilité de la théorisation de la vidéo de quelque manière
que ce soit 1. Le concept de « flux total » de Raymond Williams demeure en
effet le seul cadre théorique unanimement accepté pour toute une gamme de
spéculations plus fragiles sur la vidéo.
Mais ce concept de « flux total » a deux conséquences très particulières
pour l'étude des « textes vidéo », qui confirment nos restrictions sur le
transfert de la théorie cinématographique, en différenciant radicalement,
en tant qu'objet d'étude, le « texte vidéo » du film. Et, chemin faisant, elles
produisent des problèmes méthodologiques nouveaux quant à son analyse,
qui ne paraissent pas concerner le cinéma.
En premier lieu, pour commencer par la réception et une description
phénoménologique, le rapport à la temporalité est modifié dans ce nouveau
médium qu'est la vidéo : qu'il s'agisse de l'enchaînement de feuilletons
commerciaux sur le poste familial ou d'heures passées à regarder des
extraits de « vidéo expérimentale » au musée, il y a d'abord le fait que nous
ne sommes plus en train de regarder une simple œuvre isolée. Mais, de plus,
des contraintes temporelles entrent en ligne de compte, sous la forme d'une
pure durée cumulative ; la vision est alors une activité continue plutôt
qu'un ajustement à tel ou tel temps fort esthétique. En effet, les films de
fiction ont peu d'intérêt à orienter notre attention sur leur longueur propre
en « temps réel » : la fictionnalité est, en fait, le mot juste pour exprimer cet
« autre temps » que nous connaissons au cours d'un spectacle, à l'intérieur
des limites du temps physique. A l'inverse, non seulement les plus courtes
unités de la vidéo expérimentale sont perçues comme beaucoup « plus lon
gues » à la projection, mais, en outre, l'un des traits récurrents de l'art vidéo
entraîne une « réflexivité » temporelle qui n'est pas forcément agréable. Son
temps réel est alors mis en relief et le spectateur n'est que trop conscient de
la lenteur de son écoulement, de sa durée inexorable ; puisque nous sommes
dans l'obligation de vivre totalement chaque seconde des dix ou vingt minut
es de sa durée.
Cette mise en relief systématique par le texte vidéo de son propre « temps
réel », la pénible non-fictionnalité des minutes passées à le regarder pour
raient donc justifier l'hypothèse que la vidéo « expérimentale » ou « artist
ique » est la vérité d'une spécificité générique et structurale de ce médium.
Cette vérité est souvent obscurcie par les vidéos commerciales et narratives
qui ont tendance à emprunter leurs formes et leurs normes esthétiques au
cinéma. Bien sûr, le temps réel est également douloureusement présent
dans la vidéo commerciale, dans sa scansion par la publicité. (Elle nous
106 La lecture sans V interprétation
programme d'ailleurs à tel point que ses coupures nous paraissent naturell
es, comme la longueur conventionnelle des épisodes entre elles. Ainsi
sommes-nous peut-être surtout conscients de ces spots publicitaires là où ils
se font remarquer par leur absence, sur des chaînes de télévision non
commerciales par exemple.) Quoi qu'il en soit, l'intériorisation de ces repè
res externes est résorbée dans la forme même de la vidéo « expérimentale »,
dont le contenu le plus profond peut bien être décrit comme étant celui de
l'Ennui, au sens classique d'une confrontation existentielle avec la réalité
brute et la matérialité inexorable du temps lui-même. Dans la vidéo, tou
tefois, ce n'est plus un problème « métaphysique », comme dans les disci
plines plus anciennes de la littérature ou de la philosophie — encore une
raison pour laquelle la vidéo peut prétendre être une manifestation part
iculièrement privilégiée du « postmoderne » ; c'est une question technologi
que et la marque de la présence de la machine et de la mécanique elle-
même. Autrement dit, la temporalité en question ici n'est plus subjective, ni
davantage une dimension de l'expérience phénoménologique de quelque
vestige d'un sujet personnel ; c'est très précisément le temps de la machine,
auquel ces machines que sont nos corps de spectateurs doivent s'adapter,
que cela nous plaise ou non. C'est à cette condition seulement que l'on peut
percevoir ce nouveau médium.
Cependant, le concept de flux total a encore une deuxième conséquence
qui est particuliè

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