La parole incarnée : voir la parole dans les images des XIIe et XIIIe siècles - article ; n°22 ; vol.11, pg 13-30
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Description

Médiévales - Année 1992 - Volume 11 - Numéro 22 - Pages 13-30
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 15
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Madame Isabelle Toinet
La parole incarnée : voir la parole dans les images des XIIe et
XIIIe siècles
In: Médiévales, N°22-23, 1992. pp. 13-30.
Citer ce document / Cite this document :
Toinet Isabelle. La parole incarnée : voir la parole dans les images des XIIe et XIIIe siècles. In: Médiévales, N°22-23, 1992. pp.
13-30.
doi : 10.3406/medi.1992.1237
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1992_num_11_22_1237Médiévales 22-23, printemps 1992, pp. 13-30
Isabelle TOINET
LA PAROLE INCARNÉE :
VOIR LA DANS LES IMAGES
DES XIIe ET XIIIe SIÈCLES
Au Moyen Age, l'Incarnation du Verbe divin constitue pour de
nombreux théologiens le point de départ de toute une réflexion sur la
parole. Selon saint Augustin, cet événement de l'histoire permet de réhab
iliter le langage humain1. Dans la culture médiévale, d'une manière
plus générale, le corps est toujours très présent lorsqu'il est question de
la parole. Il peut faire l'objet d'une véritable mise en scène pour qualif
ier tel ou tel type de propos : le blasphème, les paroles médisantes, par
exemple, viennent plutôt du ventre, des « régions basses » et cherchent
à parvenir jusqu'à la bouche2 tandis que la parole divine est direct
ement posée dans la bouche de celui qui est chargé de la transmettre3.
1. Pour cette question, voir l'ouvrage de M.L. Colish, A study in the medieval
theory of knowledge, Newhaven et Londres, 1968, et plus particulièrement le chapitre
Saint Augustine : the expression of the Word.
2. Par exemple un extrait de la Règle du Maître, texte rédigé pendant le premier
quart du vi« siècle par un moine dont on ignore le nom, évoque clairement un trajet
des mauvaises paroles du bas vers le haut du corps : « Quand un péché monte de la
racine du cœur et qu'il aperçoit que le mur extérieur de clôture, autrement dit la bou
che et les dents lui interdit de sortir, il devra retourner derechef à la racine du cœur,
y périr dans l'avortement au lieu de naître par la langue et de grandir jusqu'au châti
ment. » La règle du Maître, in trod., texte et trad, de A. Vogue, Sources chrétiennes
106, pp. 402-403.
3. Dieu posa sa parole dans la bouche de Balaam : « Dominus autem posuit ver-
bum in ore suo » (Nb. 23, 5).
Dieu parlant à David dans le désert lui demande d'ouvrir la bouche : « Dilata
os tuum et implebo illud » (Ps. 81, 11).
Ce verset est illustré au folio 235 du psautier de Saint-Alban. Dans la partie supé
rieure de l'initiale, Dieu se penche vers David et regarde dans sa direction. Sa main
droite est posée sur une sorte de baguette qui part de sa bouche et aboutit dans celle
du psalmiste. Cette baguette est probablement le symbole de la parole divine reçue
directement par le roi David de la bouche de celui qui la profère. Cette parole, ce
message viennent d'en haut comme le montrent la position de Dieu et le mouvement
de son corps. 14
Mais puisqu'ici nous parlons d'images, l'incarnation c'est égale
ment un mode de présence particulier de la parole, un mode de pré
sence par lequel elle accède au visible. Que l'on pense à l'acte de parler
ou à la forme oralisée de la pensée et des sentiments, la représenta
tion de la parole par l'image pose en effet problème : cette dernière
est fixe et muette. Dans les lignes qui suivent, il s'agit donc d'examin
er, à partir de quelques exemples4, comment aux XIIe et XIIIe siè
cles ce phénomène sonore prend corps dans les images.
Le corps, c'est d'abord la bouche qui s'ouvre pour exprimer les
pensées et les sentiments sous la forme de sons articulés. Dans les
images, le rapport entre les mouvements de la bouche et la naissance
de la parole ne peut être pensé en ces termes : le corps ne donne pas
à entendre mais plutôt à voir de la parole. En un premier temps, nous
nous attachons à montrer la pertinence de cette notion du corps
comme support visuel de la parole.
D'une manière plus métaphorique, le corps de la parole dans
l'image, ce sont aussi les mots qui, au sein de la représentation figu
rée ou en ses marges, laissent comme une trace du discours prononcé.
En un second temps, nous posons donc la question du statut de l'écri
ture et de son rapport à la parole dans l'image.
Cette enquête ne propose pas une étude chronologique au sens
strict du terme, mais elle est attentive à la manière dont le passage
d'une « culture de mode oral » à une « culture de mode écrit » qui
s'opère peu à peu entre le xii* et le xme siècle, a pu influencer les
représentations figurées de la parole : le mot « corps » tel qu'il vient
d'être successivement et brièvement défini permet de rendre compte
de ces évolutions.
Ouvrir la bouche
L'image étant par nature muette, seules l'ouverture ou la ferme
ture de la bouche peuvent a priori permettre de distinguer entre le
silence et la parole : la visibilité immédiate du discours prononcé sem
ble bien résider dans ce mouvement d'ouverture. Pourtant, à regar
der les images de plus près, on réalise qu'il est loin d'en être tou
jours ainsi ! Différentes recherches, celles de l'abbé Garnier notam-
4. Les illustrations retenues pour l'enquête proviennent de manuscrits anglais. Ces
derniers offrent en effet de nombreuses représentations intéressantes et originales de
la parole. Faut-il établir un lien entre cet intérêt pour la figuration de la parole et
la « situation linguistique » particulière de l'Angleterre après la conquête normande :
la cohabitation avec l'anglais compris de tous, et le latin, du « français insulaire » dont
on encourageait l'utilisation dans les classes sociales élevées ? Nous nous contentons
ici de formuler une hypothèse dont l'exploitation nous entraînerait hors des limites impart
ies à cet article. Ce dernier rend compte de l'état d'une recherche en cours et ne pré
tend aucunement à l'exhaustivité ! 15
ment sur le langage des gestes au Moyen Age5, ont bien mis en évi
dence le fait que la parole et la communication orale ne sont pas for
cément représentées par une ouverture de la bouche mais plutôt par
un geste de la main ou par un phylactère. Pour tenter de comprend
re ce qui se passe dans les images, il faut penser l'ouverture et la
fermeture de la bouche en fonction des lois qui leur sont propres,
et des problèmes que pose une telle représentation.
L'image n'est pas seulement muette, elle est également fixe. Il
n'y a donc pas de distinction possible entre l'ouverture de la bouche
et la bouche ouverte. Ouvrir la bouche suppose un mouvement qui
modifie l'aspect de cette partie du corps : le passage de la bouche
fermée — on ne voit alors que les lèvres — à la bouche ouverte —
bouche qui se présente alors comme une cavité. Représenter l'ouver
ture de la bouche, c'est-à-dire la bouche qui s'ouvre, c'est forcément
montrer la bouche ouverte. Or, pour des raisons aussi bien morales
qu'« esthétiques », il ne sied pas de représenter un corps ouvert, en
quelque sorte inachevé. Ainsi, les personnages dont la bouche est
ouverte ne sont-ils pas forcément figurés en train de parler : cette posi
tion exprime souvent un rang social inférieur, une nature mauvaise
ou méchante. Le contexte peut certes nous permettre d'associer le
mouvement d'ouverture ou plus exactement la position ouverte à la
prise de parole, mais l'artiste, pour évoquer l'action de parler, n'en
condamne pas moins la bouche à demeurer perpétuellement ouverte.
La représentation de l'action se trouve donc elle aussi condamnée,
avec l'image, à devenir représentation d'un état6. L'idée d'une ouver
ture qui se prolonge au-delà du temps nécessaire à la prise de parole
doit être replacée dans le cadre plus général de cette conception médié
vale des mouvements du corps selon laquelle le beau geste, le bon
geste doit correspondre dans sa configuration à une fonction précise
et rester en tout état de cause, modeste7. Au xme siècle par exemp
le, Barthélémy l'Anglais, reprenant dans le De Proprietatibus
Rerum* un passage de V Histoire des animaux d'Aristote remarque
qu'« à former la voix, il faut par nécessité ouvrir et clore les lè

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