Le plaisir de la peur - article ; n°1 ; vol.57, pg 157-192
37 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Le plaisir de la peur - article ; n°1 ; vol.57, pg 157-192

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
37 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Communications - Année 1993 - Volume 57 - Numéro 1 - Pages 157-192
36 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 20
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

François Flahault
Le plaisir de la peur
In: Communications, 57, 1993. pp. 157-192.
Citer ce document / Cite this document :
Flahault François. Le plaisir de la peur. In: Communications, 57, 1993. pp. 157-192.
doi : 10.3406/comm.1993.1873
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1993_num_57_1_1873François Flahault
Le plaisir de la peur
L'Etoile mystérieuse et l'araignée géante
You never know what is enough,
Unless you is more than enough.
William Blake, Proverb of Hell
En cherchant l'œil de Dieu, je n'ai vu qu'une orbite
Vaste, noire et sans fond, d'où la nuit qui l'habite
Rayonne sur le monde et s'épaissit toujours.
Un arc-en-ciel étrange entoure ce puits sombre,
Seuil de l'ancien chaos dont le néant est l'ombre.
Gérard de Nerval, Le Christ aux oliviers
Le goût pour les récits qui font peur est universel. Les enfants, les
adolescents en sont particulièrement friands. Pourtant, cette peur —
comme le cauchemar, dont elle est souvent proche — demeure assez
mal connue. Je tente ici, à partir d'un album d'Hergé, d'en pénétrer
certains ressorts. L'analyse du récit n'est donc pas une fin en soi ; il s'agit
plutôt d'une recherche anthropologique, d'une investigation dont les impli
cations sont philosophiques.
Voici, en résumé, l'histoire de L'Etoile mystérieuse :
Une nuit, Tintin remarque dans le ciel une étoile inconnue et qui grossit.
Il se rend à l'Observatoire, en force l'entrée et croise dans les coul
oirs un étrange vieillard. « C'est le châtiment ! », annonce celui-ci. Tintin
pénètre sous la coupole où se trouve le grand télescope. Deux savants
sont plongés dans leurs calculs. L'un d'eux l'invite à jeter un coup
d'œil à la lunette. Tintin recule d'horreur : sur toute la surface de cet
énorme soleil qu'est l'étoile mystérieuse s'étale une gigantesque arai
gnée noire ! Le professeur Calys identifie le monstre, qui a la forme
d'une épeire Diadème. Il s'agit en fait d'une inoffensive petite arai
gnée qui se promenait sur l'objectif de la lunette. Mais l'énorme boule
de feu, elle, se dirige vers la Terre ! Calys annonce la fin du monde
pour le lendemain matin, à huit heures, douze minutes, trente secondes.
157 François Flahault
Tintin et Milou quittent l'Observatoire. Le macadam fond. Les gens
— certains sont en pyjama — regardent l'étoile avec inquiétude. Voici
à nouveau le vieillard. Enveloppé d'un grand drap, frappant sur un
gong et annonçant lui aussi la fin des temps, le prophète poursuit Tint
in. Une fois chez lui, notre héros s'assoupit dans un fauteuil.
Le prophète l'a suivi, il est entré. Tintin veut le chasser, mais celui-ci
déploie une affiche où est figurée une épeire Diadème : «Voici le châ
timent », dit le prophète. La pendule sonne, c'était un rêve. Huit heu
res douze : la terre tremble.
Mais ce n'est pas la fin du monde. Erreur de calcul. Le bolide est
passé à côté de la Terre, seul un fragment qui s'en est détaché est
tombé dans l'océan Arctique.
Grâce à la spectroscopie, Calys fait une découverte sensationnelle :
l'aérolithe contient un métal inconnu. Sans doute une partie de l'aéro
lithe émerge-t-elle de l'océan : une expédition scientifique s'organise.
Le professeur Calys la dirige, Tintin et Milou y participent, le capi
taine Haddock commande le navire. Alors que V Aurore est encore à
quai, le prophète, grimpé au sommet du mât, menace une dernière
fois nos amis avant d'être reconduit à l'asile d'aliénés. Le whisky d'Had
dock embarqué, Y Aurore prend la mer. Cependant, poussé par la cupid
ité, un puissant financier de la Sâo Rico a monté une expédition rivale.
Une nuit de gros temps, alors que Tintin et Haddock sont sur la pas
serelle, un navire d'une taille très supérieure fonce sur Y Aurore. Il s'en
faut de peu qu'il ne le coule (encore une collision évitée de justesse).
En Islande — toujours à la suite des ordres donnés par le financier — ,
on refuse de ravitailler Y Aurore en mazout. Mais Haddock rencontre
par hasard un capitaine de ses amis et, grâce à sa complicité, il fait
le plein de carburant.
Le navire se rapproche du pôle : la mer est maintenant semée d'ice
bergs. Une colonne de vapeur à l'horizon : c'est l'aérolithe. Cepend
ant, Y Aurore doit s'écarter de sa route pour répondre à un appel de
détresse — faux message émis par l'expédition adverse. Celle-ci
s'apprête à aborder sur l'île que forme la partie émergée de l'aéroli
the. Tintin, grâce à l'hydravion de Y Aurore et après un saut en para
chute, prend pied le premier sur cette nouvelle terre et y déploie le
drapeau de l'expédition scientifique.
Tintin est maintenant seul sur l'île avec Milou. Il mange quelques mai
gres provisions. Cette situation de pénitence lui rappelle le prophète
annonçant le châtiment. Il voit alors une petite araignée s'échapper
de sa boîte à biscuits. Le lendemain matin, Tintin est réveillé par des
explosions. Il en comprend bientôt la cause en voyant un champignon
de la taille d'un œuf grossir, devenir plus grand que lui, puis exploser
en se volatilisant. Ce sont ensuite des arbres qui grandissent à vue
d'œil : ils proviennent des pépins de la pomme que Tintin a mangée
la veille. Celui-ci pense avec effroi à l'araignée. Mais il entend l'hydra-
158 Le plaisir de la peur
vion qui revient le chercher. Soulagé, il danse de joie. C'est alors qu'il
aperçoit, non loin de lui, l'araignée devenue géante. Il s'enfuit, elle
le poursuit, il tombe... et une pomme (géante) écrase l'araignée. L'île
s'enfonce, elle va disparaître. Tintin accroche à la corde qu'on lui a
lancée un bloc de «calystène». L'aérolithe disparaît dans la mer avec
Tintin. Mais celui-ci refait surface. Il rapporte à bord de Y Aurore un
échantillon de cette matière inconnue au pouvoir génésique si extraor
dinaire.
La construction même du récit est familière à l'amateur de contes de
tradition orale. Le récit comporte trois actes. Le premier pourrait avoir
pour titre «La fin du monde». Le deuxième acte commence après le
tremblement de terre provoqué par la chute d'un fragment de l'étoile :
c'est la quête du calystène (il faut avouer que cette longue partie n'est
pas la plus captivante). Le troisième acte correspond au bref séjour de
Tintin sur l'île : on pourrait l'intituler «Un paradis infernal». Les deux
premiers actes se répondent l'un à l'autre comme le court-circuit à la
médiation : à une collision (rencontre entre deux mondes qui auraient
dû rester à distance l'un de l'autre), à un télescopage impossible à évi
ter, s'oppose dans le deuxième acte un contact auquel il faut au contraire
parvenir en dépit des obstacles et des embûches, et qui nécessite l'aide
d'auxiliaires. Au suspense d'un anéantissement imminent répond celui
de la quête et de la concurrence. Ce schéma est l'un des plus fréquem
ment utilisés dans les contes. L'épisode du « court-circuit » implique géné
ralement une transgression (comme par exemple dans Barbe-Bleue ou
La Femme à la recherche de son époux disparu), et nous verrons que tel
est le cas dans L'Étoile mystérieuse. Quant au troisième acte, c'est en
quelque sorte une reprise condensée des deux premiers : imminence de
la destruction (le retour de l'araignée géante), puis, in extremis, réussite
de la mission.
Pourquoi relire L'Étoile mystérieuse? Sans doute parce que cet album
figure en bonne place dans le paysage culturel de mon enfance. Mais
aussi pour une autre raison.
Si j'avais envie de revenir à L'Étoile mystérieuse, c'est que, depuis mon
enfance, l'image de l'araignée occupant tout le champ de la lunette est
restée gravée en moi. En une seule scène, Hergé a su exprimer la dimens
ion cosmique ou ontologique que comporte le fantasme de l'araignée
géante.
Je pourrais m'abriter derrière l'efficacité d'une image

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents