Le thème en musique classique - article ; n°1 ; vol.47, pg 93-117
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Description

Communications - Année 1988 - Volume 47 - Numéro 1 - Pages 93-117
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 81
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Françoise Escal
Le thème en musique classique
In: Communications, 47, 1988. pp. 93-117.
Citer ce document / Cite this document :
Escal Françoise. Le thème en musique classique. In: Communications, 47, 1988. pp. 93-117.
doi : 10.3406/comm.1988.1708
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1988_num_47_1_1708Françoise Escal
Le thème en musique classique
La notion de theme en musique a connu des fortunes diverses. Après
une période de surestimation dans l'analyse, elle a subi des revers, est
devenue suspecte à beaucoup et a même été violemment contestée par
certains. Dans une perspective formaliste, on l'a niée, on l'a radiée de
la liste des composants de la forme, au bénéfice de la phrase, de la
proposition, du motif, de la cellule : à partir de Webern, nous a-t-on dit,
le thème se perd dans l'expérience de la composition. Je voudrais
cependant tenter de maintenir cette notion, d'éprouver sa validité, sa
pertinence dans la musique classique, c'est-à-dire dans la musique
tonale telle qu'elle a été écrite en Europe du 17e au 19e siècle.
Si je maintiens ce terme, c'est aussi parce qu'il est employé, référé
pour d'autres langages que la musique, présent dans un certain nomb
re de métalangages, dans la critique littéraire notamment. C'est, en
effet, à un rapprochement, une confrontation du thème littéraire et du
thème musical que je vais procéder pour commencer.
A première vue, il semble que tout oppose le thème littéraire et le
thème musical. Le thème, en littérature, renvoie à un contenu
(l'amour, la mort), alors que la musique est un langage sans plan du
signifié (Hjelmslev : « ... le sens est ordonné, articulé, formé de
manière différente selon les différentes langues »). Certes, elle n'est pas
vide de sens : sinon, pourquoi serait-elle ce langage intersubjectif que
nous savons ? Elle produit des discours, sinon des signes, et son mode
de signifiance est le sémantique '. A cet égard, la déclaration de Stra
vinsky : « Je considère la musique, par son essence, comme impuis
sante à exprimer quoi que ce soit : un sentiment, une attitude, un état
psychologique, un phénomène de la nature... » n'est qu'un paradoxe,
ou une vue cavalière, ou une interpellation provocatrice. Il reste que la
notion de thème littéraire comme unité de contenu n'est guère appli-
93 Françoise Escal
cable à la musique. La thématique littéraire peut bien se constituer
comme discipline. Le même objectif, en musique, soulève beaucoup
plus de difficultés :
La fonction de la musique se montre irréductible à tout ce qu'il
serait possible d'en exprimer ou d'en traduire sous forme verbale,
et n'importe quel discours, émanât-il du commentateur le plus
inspiré, ne sera jamais assez profond pour l'expliciter 2.
Le thème en littérature est une unité de sens. Du moins dans les
littératures classiques. Certaines littératures, modernes notamment,
refusent la psychologie ; elles empruntent délibérément leurs situa
tions aux genres populaires (roman policier des Gommes et du Voyeur ;
adultère feuilletonnesque de la Jalousie ; roman d'aventures du Labyr
inthe ; érotisme et violence des bandes dessinées de la Maison de
rendez-vous). C'est que la fonction de l'écrivain se situe ailleurs ; elle
est d'abord de construire, d'agencer : chez Robbe-Grillet, pour le nom
mer, la forme est avant tout répétition. Ses romans ont une construc
tion thématique et s'organisent comme autant de variations autour
d'un nombre limité d'éléments, et ces éléments, ces thèmes, il tend à
en évacuer le contenu. Au reste, pour lui, « le véritable écrivain n'a
rien à dire » :
... Le contenu de l'œuvre romanesque ne peut en fait comporter
que la banalité du toujours-déjà-dit : un enfilage de stéréotypes
dont toute originalité se trouve par définition absente.
Ces « idées reçues » n'ont « aucun intérêt par elles-mêmes » et c'est en
cela qu'elles constituent, pour lui, le « seul matériau possible pour
élaborer l'œuvre d'art — roman, poème, essai — , architecture vide qui
ne tient debout que par sa forme » : la liberté de l'écrivain « ne réside
que dans l'infinie complexité des combinaisons possibles 3 ». La poéti
que robbe-grillétienne repose sur le jeu d'une combinatoire et le thème
n'est plus qu'un composant de la forme. En ce sens, cette poétique
serait expérience des limites, transgression, si on accepte l'hypothèse
de Lévi-Strauss d'après laquelle musique et roman se seraient partagé
l'héritage du mythe :
En devenant moderne avec Frescobaldi puis Bach, la musique a
recueilli sa forme, tandis que le roman, né à peu près en même
temps, s'emparait des résidus déformalisés du mythe, et, désor
mais émancipé des servitudes de la symétrie, trouvait le moyen de
se produire comme récit libre. On comprendrait mieux ainsi les
94 Le thème en musique classique
caractères complémentaires de la musique et de la littérature
romanesque depuis le 17e ou le 18e siècle jusqu'à nos jours ; l'une
faite de constructions formelles toujours en mal de sens, l'autre d'un sens tendant vers la pluralité, mais se désagrégeant
lui-même par le dedans à mesure qu'il prolifère au-dehors, en
raison du manque de plus en plus évident d'une charpente interne
à quoi le nouveau roman tente de remédier par un étaiement
externe, mais qui n'a plus rien à supporter 4.
Quoi qu'il en soit, le thème en musique est une unité signifiante, et
c'est pour cela en général qu'il se repère, se laisse circonscrire, dél
imiter dans son être-là, à la surface de l'énoncé, alors que le thème,
dans une œuvre littéraire, suppose un travail d'explicitation de la part
du lecteur, de l'analyste. C'est sa nature formelle qui, en musique,
facilite son repérage, alors que, en littérature, il est une construction
conceptuelle et relève d'un processus d'intégration. Le thème des occa
sions manquées, ou de l'échec, dans l'Éducation sentimentale, je le
déduis in fine des relations de Frédéric avec Mme Arnoux, avec les
autres femmes, avec l'humanité en général dans l'ordre de la vie privée
et dans l'ordre de la vie politique. Au terme de ma lecture et du
processus d'intégration auquel j'ai soumis les différents épisodes ou
scènes du roman, le thème émerge comme une « étiquette de niveau
supérieur », comme un « principe unificateur », un dénominateur
commun à tous ou presque tous les aspects du roman. En aucun cas il
ne peut être observé : il est, à proprement parler, invisible. Il est
implicite : on ne peut pas isoler dans l'œuvre littéraire un segment qui
puisse être appelé son thème. Le thème littéraire n'est pas un énoncé,
s'il peut faire parfois l'objet d'une formulation explicite. Il n'est pas
une « entité dans », un « segment inclus dans le continuum du texte »,
mais une « construction qui s'effectue à partir d'éléments discontinus
du texte 3 ». Il est supralinéaire. Mais il est aussi transtextuel. S'il est
immanent, il est aussi transcendant par rapport au texte : deux, plu
sieurs textes peuvent s'offrir comme des manifestations d'une même
entité qui les transcende {V Amour et l'Occident). S'il ne se manifeste
qu'à travers l'œuvre, il n'est pas un signifié dont le « dicible » serait
épuisé par ce que le texte en dit, il est à la fois intérieur et extérieur
au texte. Il transhume, transite, traverse plusieurs œuvres : il est
général.
Au contraire, le thème musical est particulier : Brahms, Variations
sur un thème de Haydn, de Paganini... Il est, sauf exception, unique à
l'œuvre ou à une même série d'œuvres : 33 variations de Beethoven,
50 d'autres compositeurs viennois, tchèques et allemands sur la seule
valse de Diabelli. Il est, en tout état de cause, immanent. Il est une
95 Françoise Escal
unité objectivement

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