Les phénomènes... et le reste - article ; n°1 ; vol.36, pg 7-17
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Description

Communications - Année 1982 - Volume 36 - Numéro 1 - Pages 7-17
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 11
Langue Français

Extrait

Jean-Luc Giribone
Les phénomènes... et le reste
In: Communications, 36, 1982. pp. 7-17.
Citer ce document / Cite this document :
Giribone Jean-Luc. Les phénomènes.. et le reste. In: Communications, 36, 1982. pp. 7-17.
doi : 10.3406/comm.1982.1535
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1982_num_36_1_1535Jean -Luc Giribone
Les phénomènes... et le reste
Regardant une photographie de Jérôme, frère de Napoléon,
Roland Barthes se dit « avec un étonnement que depuis [il n'a]
jamais pu réduire : " Je vois les yeux qui ont vu l'Empereur " ».
« Je parlais parfois de cet étonnement, poursuit-il, mais comme
personne ne semblait le partager ni même le comprendre (la vie est
ainsi faite à coups de petites solitudes), je l'oubliai. Mon intérêt
pour la photographie prit un tour plus culturel x. »
Tout l'attrait de Roland Barthes pour la photographie et,
partant, tout ce qu'il a à dire d'elle, est contenu dans cet
étonnement que personne ne parvenait à partager, comme si la
position de Barthes était toujours de se sentir seul dans un goût,
une sidération, une exaspération. La Chambre claire sera le récit
des étapes de l'interprétation progressive de cet attrait, le déploie
ment explicatif de ce regard. Il y a eu « coup de foudre », comme
on dit, c'est-à-dire un corps transi par une sensation, une
reconnaissance, un déjà ou un jamais vu — comme Werther
médusé par Charlotte distribuant de la nourriture aux enfants 2,
ou encore comme la sidération brusque que l'on éprouve à
comprendre de l'intérieur une évidence, un lieu commun entendu
et connu depuis longtemps, mais de l'extérieur (tel saisissant tout
à coup, après le piétinement d'une conversation ayant buté sur la
généralité et l'épaisseur des mots, ce qu'il peut induire de concret,
de particulier derrière l'« incommunicable », la « solitude des
êtres » et autres clichés de ce genre) ; puis vient le temps du
dépliement, de l'explication de ce qui était là.
Dans l'instant premier, la vérité était donnée, mais confusé
ment, comme une sensation ; en un sens, tout était déjà là, comme
dans une rencontre amoureuse où, dit-on souvent, l'essence se
joue dans le premier regard ; mais tout restait à dire, et même à
comprendre ; il fallait encore suivre un fil d'Ariane pour sortir du
labyrinthe fascinant de l'instantanéité et de son mystère. Au
moment du voir succède donc le temps du comprendre, qui est Jean-Luc Giribone
celui de toute phénoménologie ; car ce que voit le phénoménolo-
gue, il lui faut encore l'expliciter, le déployer et le décrire : preuve
qu'il ne sait pas, lui-même, ce qu'il voit. C'est là ce qui distingue
du regard commun, « naturel », la visée phénoménologique. De
Husserl, on peut retenir que le regard qui, seul, conduit aux
phénomènes n'est pas celui que vous, moi, les autres, tout le
monde, les sujets « psychologiques », portons spontanément sur le
monde ; il y faut une opération qui fasse tourner le sujet sur le
cadran de sa perception : c'est Yépochè, mise entre parenthèses de
tout savoir, certitude, et même incertitude, sur l'existence du
monde extérieur ; un cogito radicalise, débarrassé du doute même
en ce que le doute est encore prise de position ; ni le sujet
psychologique tel quel, ni un autre : celui-ci, mais s'étant soumis à
une opération, s'étant fait subir une transformation.
Ainsi changé, le Regard aperçoit autre chose que ce qu'il voyait
tant qu'il était mondain et naturel : Heidegger, reformulant à sa
façon la phénoménologie, dira que ce regard voit ce qui ne se voit
pas : le caché, le latent, l'obnubilé, non pas en tant qu'il serait
situé derrière les phénomènes, mais parce que les phénomènes
eux-mêmes se dérobent, et que « c'est justement parce que, de
prime abord, les phénomènes ne sont pas donnés qu'il est besoin
d'une phénoménologie 3 » .
Le regard phénoménologique, se portant sur le monde, dédoub
le celui-ci en deux plans : un patent et un latent. Voir est, de
prime abord, voir ce qui ne se voit pas : là est la nécessité de cet
acte. Si la vérité, qu'il faut tirer de ses limbes, ne s'atteint pas par
le regard naturel, s'il y faut un regard spécifique, opérationnel,
croire qu'on peut l'atteindre comme ça, dira Roland Rarthes,
relève de la fausse évidence d'un bon sens poujadiste, qui établit
« une équivalence entre ce qui se voit et ce qui est 4 » : assertion
qui montre que le regard de Rarthes aussi est phénoménologique,
c'est-à-dire dédoublant. Mais il l'interprète — du moins au
moment des Mythologies — en termes éthiques et politiques :
cacher la vérité (historique, sociale) derrière une fallacieuse
évidence (naturelle, éternelle), c'est, selon Marx, l'essence même
de l'idéologie ; analyse qui illumine toutes les Mythologies,
puisque le mythe sera précisément cette opération qui masque le
message idéologique derrière la lénifiante évidence du bon sens :
par exemple, la domination crue du colonialisme maquillée,
fardée (et par là même fondée, naturalisée) en l'image de ce jeune
Noir saluant, admiratif, le drapeau français.
Or, nous sommes là dans l'archéologie du signe : si, sous l'effet Les phénomènes... et le reste
du regard barthésien, l'objet se dédouble, c'est cette dualité du
signifiant et du signifié qui rendra d'abord compte de cette
duplication : la phénoménologie s'exprime alors comme sémiolog
ie, l'objet s'interprète comme signe.
Cette promotion du signe se fait contre l'illusion du naturel 5,
qui n'est que la confusion des deux plans du manifeste et du
latent. Le naturel, le spontané est un roc qui recule sans cesse :
trompeur en ce qu'il prétend être le fin mot, détenir une vérité à
laquelle on pourrait s'arrimer, s'arrêter, alors que la vérité lui est
oblique, transversale. Comme illusion, obnubilation, cette pseu
do-vérité doit être dénoncée : « Pas de sémiologie qui ne s'assume
comme sémioclastie », dit Roland Barthes, et toute son œuvre sera
parcourue par l'exigence d'une éthique du signe (lequel doit, au
moins, se donner comme tel).
Sans doute faut-il voir là un mouvement profond, celui par
lequel le geste phénoménologique finit toujours par se poser
comme éthique : chez Husserl, horreur du psychologisme et
volonté d'en sortir, d'accéder à un transcendantal atteint par
Vépochè ; chez Heidegger, la révélation, l'éclosion de l'Etre au sein
de l'étant est une mission historiale, destin que nous recevons
d'être, au sein d'un mondeA technicien et producteur, ceux par qui
se réparera l'oubli de l'Etre consommé par la métaphysique
occidentale ; chez Sartre, cette mission, d'historiale, devient
historique : l'aliénation de l'être, l'écrasement de la chose en objet
sont remplacés par l'aliénation historique du travailleur, telle que
l'a décrite Marx : la liberté inauguratrice de l'être-là, du sujet
authentique heidegerrien, reçoit un contenu social et politique :
l'engagement pour une cause, qui définit la responsabilité de
chacun dans la situation collective. Barthes, à sa façon plus
feutrée, appartient bien à cette trahison : les signes finissent par en
apparaître dans sa dernière œuvre, dédiée à Sartre, pleine de
références explicites à la tradition phénoménologique. Faire surgir
ce qui ne se voit pas, dénoncer l'illusion et s'engager dans cette
dénonciation, tel est, dès le début, son programme.
Les Mythologies se veulent donc une sémioclastie. Elles dénonc
ent. Mais quelque chose résiste à cette dénonciation : chose
souvent sentie par les lecteurs, murmurée ici et là, à titre de résidu,
de je-ne-sais-quoi, de reste. Oui, il dénonce des mythes, mais il a
l'air d'en Jouir, de ces mythes, entend-on dire souvent. Les
Mythologies ne disent pas

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