Lucile de Chateaubriand et les Mémoires d outre-tombe - article ; n°1 ; vol.40, pg 98-112
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Annales de Bretagne - Année 1932 - Volume 40 - Numéro 1 - Pages 98-112
15 pages

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Publié le 01 janvier 1932
Nombre de lectures 54
Langue Français

Extrait

L. Legras
Lucile de Chateaubriand et les Mémoires d'outre-tombe
In: Annales de Bretagne. Tome 40, numéro 1, 1932. pp. 98-112.
Citer ce document / Cite this document :
Legras L. Lucile de Chateaubriand et les Mémoires d'outre-tombe. In: Annales de Bretagne. Tome 40, numéro 1, 1932. pp. 98-
112.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0003-391X_1932_num_40_1_1690L. LEGRAS
LUCILE DE CHATEAUBRIAND
ET LES
MÉMOIRES D'OUTRE-TOMBE
Chateaubriand a élevé, dans ses Mémoires, un somptueux
monument à sa sœur Lucile : sur la tombe abandonnée il
n'avait pas même, de son propre aveu, posé une pierre.
L'hommage des Mémoires, d'une inspiration très sincère,
n'est-il pas, en quelque partie, une réparation, en quelque
autre, une excuse sujette à l'examen ?
Nul doute que Chateaubriand n'ait beaucoup aimé et admiré
sa sœur. Son aînée de quatre ans, elle avait partagé ses jeux
et ses chagrins d'enfant : « Veuille, mon frère, donner un
seul coup d'œil sur les premiers moments de notre existence ;
rappelle-toi que souvent nous avons été assis sur les mêmes
genoux et pressés ensemble tous deux sur le même sein ;
que déjà tu donnais -des larmes aux miennes, que, dès les
premiers jours de ta vie, tu as protégé, défendu ma frêle
existence, que nos jeux nous réunissaient et que j'ai partagé
tes premières études. Je ne te parlerai point de notre ado
lescence, de l'innocence de nos pensées et de nos joies et du
besoin mutuel de nous voir sans cesse ». Ainsi parle Lucile
dans un dernier billet à son frère *.
1. Dans celui du moins qui nous est donné en dernier lieu, Mém. A'O.-T.,
II, p. 499. Je cite d'après le texte définitif (II« Partie, livre IV, « écrit à Paris
en 1839, revu en décembre 1846 »), qui apporte plusieurs corrections de style
à celui de 1826, et l'ampute de deux mots qu'on eût pu mal interpréter.
M. Georges Collas a relevé un certain nombre de ces corrections ; mais, même
sur le texte de 1826, il y a évidemment lieu de faire des réserves. LES MÉMOIRES d' OUTRE-TOMBE 99 ET
Et lui-même, plus tard, a peint trop brillamment cette
adolescence pour qu'on ose ou le croire sur parole ou le
rectifier2. Lucile inspiratrice, alors ou un peu plus tard?
Oui, bien sûr ; mais Lucile mystique et ossianesque, iLucile
assise à minuit devant l'horloge de la grande tour, Lucile
voyante ? On doute ; on songe que le roman de René et les
rêveries d'où il est sorti sont la source manifeste de cette
histoire 3. Il est vrai toutefois qu'aux heures les plus noires
de son exil, Chateaubriand paraît ne s'être guère souvenu
que d'elle : c'est à elle seule, du moins, qu'il fait allusion
dans une note copiée par Sainte-Beuve sur l'Exemplaire
Confidentiel de VEssai sur les Révolutions : « Les femmes
valent infiniment mieux que les hommes ; elles sont fidèles,
sincères et constantes amies. Si elles cessent de vous aimer,
au moins elles ne cherchent point à vous nuire ; elles respec
teront toujours leurs anciennes liaisons dans l'objet qu'elles
ont une fois chéri. Elles ont de V élévation dans la pensée,
sont généreuses, obligeantes. Le plus grand génie que faie
encore trouvé était chez une femme. Cette femme existe. Que
de grandes, d'excellentes qualités ! Le bonheur suprême serait
sans doute de trouver une femme sensible qui fût à la fois
votre amante et votre amie ; il n'y aurait plus de malheur à
craindre pour un homme qui posséderait un pareil trésor * ».
Toutes les pages des Mémoires où Chateaubriand nous a peint
Lucile ne sont qu'un éloquent et poétique commentaire des
lignes que j'ai soulignées. Elles louent mieux Lucile que les
deux contes insérés malgré elle dans le Mercure du 12 mars
1803, et que les trois proses recueillies, revues peut-être par
Chateaubriand 5. Seules, quelques phrases détachées de ses
2. Mém. d'O.-T., pp. 140 et suiv.
3. Annales de Bretagne, XXXVIII, n° 4, 1929, Chateaubriand et René.
4. Sainte-Beuve, Chateaubriand et son groupe..., il, p. 250. J'ai signalé, dans
l'article de cette Revue rappelé ci-dessus, une apparence de lien, du moins un
rapport de temps entre cette note de l'Es fat et la conception de René.
5. Mém. d'O.-T., I, pp. 144 et suiv. En 1826, il n'en avait cité aucune ; en 1834',
il en avait cité guatre : l'Aurore, A la lune, l'Innocente, l'Envie (d'après les
notes prises par Sainte-Beuve sur le manuscrit de 1834 et publiées par Jules
Tkoubat dans la Rev. d'hist. litt. de la France, 1900, pp. 382 et suiv.). La der
nière a été supprimée dans le texte définitif. 100 LUCILE DE CHATEATJBBIAND
lettres sauraient donner une idée de ce génie mélancolique
et comme emprisonné, ou plutôt (dirais-je) de cette délicatesse
éthérée du sentiment qui peine à trouver une expression
terrestre. « Je pourrais prendre pour emblème de ma vie la
lune dans un nuage avec cette devise : Souvent obscurcie,
jamais ternie. » C'est bien aussi l'image de son style. Son
cœur était au-dessus : le regard, l'accent devaient donner à
sa parole, où brillaient parfois des mots exquis, un charme
suprême. Génie inspirateur plutôt qu'inspiré.
Mais Chateaubriand joignait à son affection, à son admirat
ion pour sa sœur une pitié trop justifiée. iLucile ne connut
jamais, semble-t-il, les joies de la vie. Ne croyons que des
faits certains. Les premières lettres que nous ayons de Cha
teaubriand laisseraient supposer que, vers 1789, elle fréquenta
le monde et prit même le ton du monde6. Mais elle fut
toujours effacée. Après Gombourg, elle vécut constamment
chez autrui, surtout chez ses sœurs, tantôt à Paris, tantôt à
Fougères et aux environs 7 ; encore eut-elle le malheur de
perdre d'abord sa sœur préférée, Julie de Parcy ; et, près
des autres, elle souffrit, à la fin, de menues taquineries ou
de précautions exigées par son état de santé 8. Cependant,
ayant partagé leurs joies, elle avait partagé leur détresse, et
suivi même dans la prison de Rennes, durant près de dix
mois, sa mère, sa sœur Julie et Mme de Chateaubriand, sa
belle-sœur, volontairement et parce que, dit-elle, son frère
lui avait fait promettre de ne s'en point séparer 9 ; si elle
6. Ceci se conclut de quelques lignes fâcheuses écrites par son frère en mars
1789. Mais elle-même déclare le contraire dans une lettre à M»e de Beaumont,
du 2 septembre 1803 : « Quoique parvenue à mon âge, ayant, par circonstance
et par goût, mené presque toujours une vie solitaire, Je ne connaissais,
Madame, nullement le monde : j'ai fait enfin cette maussade connaissance »,
lettre citée dans les Mêm. d'O.-T., II, p. 360, et qui tend à infirmer les détails
donnés par Chateaubriand sur les succès qu'elle aurait connus chez Malesherbes.
7. Cf. Et. Aubeée, Lucile et René de Chateaubriand chez leurs sœurs, â
Fougères.
8. Voir ses lettres à Chênedollé, des 1er et 23 juillet 1803, et une lettre de
Chênedollé lui-même, citées par Sainte-Beuve, ouvr. cité, pp. 338, 239 et 240.
9. Voir la note de Biré (d'après F. Saulnier) au tome I« des Mém. d'O.<T.,
pp. 146-147. ET LES MÉMOIRES d'oUTRE-TOMBE 101
pesa à sa belle-sœur, par son amitié ombrageuse pour son
frère sans doute, ce lui fut un malheur de plus. A l'âge de
31 ans, elle avait épousé un M. de Gaud, qui en avait 70,
mais qui lui donnait un foyer : chassée par son mari au bout
de quelques semaines, elle s'était retrouvée seule et bientôt
veuve. Elle vit, peu après, mourir sa mère, puis sa sœur
Julie. A l'aube du nouveau siècle, tandis qu'elle se remettait
de ces deuils cruels, il sembla qu'un tardif bonheur pût
encore lui sourire : la vanité de cette dernière espérance
l'acheva. Son frère, « la meilleure partie d'elle-même »
(écrivait-elle en 1803), était revenu d'exil et, dans sa gloire
naissante, avait rencontré Mme de Beaumont. Lucile se lia
avec elle d'une innocente et tendre affection, dont deux lettres,
insérées par Chateaubriand dans ses Mémoires, nous ont
laissé une expression touch

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