Note sur la stratification du pouvoir - article ; n°3 ; vol.4, pg 469-483
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Description

Revue française de science politique - Année 1954 - Volume 4 - Numéro 3 - Pages 469-483
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1954
Nombre de lectures 13
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Raymond Aron
Note sur la stratification du pouvoir
In: Revue française de science politique, 4e année, n°3, 1954. pp. 469-483.
Citer ce document / Cite this document :
Aron Raymond. Note sur la stratification du pouvoir. In: Revue française de science politique, 4e année, n°3, 1954. pp. 469-483.
doi : 10.3406/rfsp.1954.452658
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1954_num_4_3_452658Note sur
la Stratification du Pouvoir
RAYMOND ARON
L'expression de « classe dirigeante » n'apparaît pour ainsi dire
pas dans la sociologie française. Durkheim, à ma connais
sance, ne l'a pas utilisée. Le marxisme, dont l'influence s'est
exercée aussi sur la sociologie française, connaît la notion mais en
un sens particulier. D'après Marx, ou plutôt d'après l'interprétation
courante du marxisme, la classe détentrice des moyens de pro
duction serait automatiquement la classe politiquement dirigeante,
confusion qui permet de créer la mythologie du prolétariat se trans
formant en classe dirigeante. La minorité qui possède le pouvoir
dans une société donnée, ne se confond jamais réellement avec les
millions de travailleurs dans les usines. Les gouvernants prétendent
parfois commander au nom du prolétariat, comme, en d'autres temps,
ils prétendaient régner au nom de Dieu. Personne n'a jamais sug
géré que Dieu se transformait en classe dirigeante.
L'école sociologique qui a traité le plus volontiers de la classe
dirigeante, celle que l'on appelle aujourd'hui l'école machiavé-
îienne, depuis Machiavel jusqu'à Mosca et Pareto, a été peu
considérée en France. Cette école a mauvaise réputation en raison
de son cynisme ou de ce que l'on baptise ttl. Je n'ai jamais pu
prononcer le nom de Pareto devant mon maître C Bougie sans
m'attirer des propos indignés. Les machiavéliens sont coupables
d'un double crime : ils écarter t et les conceptions fa orites de la
gauche française et celles des marxistes. Dans tous les pays et Raymond Avon
dans tous les siècles, disent-ils, il y a un petit nombre d'hommes
qui exercent les fonctions directrices de la société. Les masses sont
tenues, manipulées par la force ou la ruse ou un mélange des deux,
elles accordent à leurs maîtres une adhésion plus ou moins sincère
ou forcée. A partir de ces propositions banales et générales, les
machiavéliens inclinent à accentuer dans l'histoire le rôle des minor
ités. A cette constance du pouvoir, ils opposent les variations des
« formules » (Mosca) par lesquelles il se justifie. Le changement
des — idéologie et système constitutionnel — est loin de
demeurer sans conséquence, il laisse subsister l'opposition fonda
mentale de la classe dirigeante et des masses.
Quoi qu'en pensent les adversaires de cette école, de telles
analyses n'aboutissent nécessairement ni au pessimisme radical, ni
au fascisme. Mosca, qui avait passé la plus grande partie de sa
carrière intellectuelle à critiquer la démocratie parlementaire, a fini
par reconnaître, dans sa vieillesse, que, tout compte fait, ce détes
table régime était le meilleur des régimes connus dans l'histoire du
monde, au moins en ce qui concerne les garanties accordées aux
individus.
Je prendrai pour point de départ les difficultés dans lesquelles
s'embarrasse Pareto lorsqu'il veut définir la classe dirigeante 1. y
Pareto suggère deux définitions. D'après la première, appar
tiennent à l'élite tous ceux qui ont réussi : le violoniste virtuose
appartient à l'élite exactement comme le président du Conseil.
Pareto, ayant le goût des plaisanteries faciles, ajoutera que la pros
tituée qui a réussi dans son métier appartient également à l'élite.
Cette définition n'est pas contradictoire, mais elle est, au fond, à
peine utilisée dans le Traité de sociologie générale. Plus ou moins
clairement, le sociologue italien recourt à une autre définition, plus
1. J'utiliserai indifféremment les deux notions de classe dirigeante et d'élite
sans faire aucune sorte de différence entre elles. Il va de soi également que
je ne reconnais aucune supériorité spirituelle à ceux qui appartiennent à l'élite
ou classe dirigeante. Il est assez vraisemblable que, moralement, beaucoup des
hommes de l'élite sont inférieurs à ceux qui ne lui pas.
470 La Stratification du Pouvoir
étroite, selon laquelle devraient être inclus dans l'élite les quelques
hommes qui exercent effectivement, dans la société, les fonctions
politiquement dirigeantes.
En fait, la première définition me paraît trop large. Il peut se
faire qu'à certaines époques, tous ceux qui réussissent dans leur
métier appartiennent à la classe dirigeante. Peut-être a-t-on le droit
de dire que l'ouvrier stakhanoviste, dans la Russie soviétique, en
fait partie, de même que l'écrivain dont les livres se vendent par
millions d'exemplaires, de même que le membre du parti qui s'est
élevé en haut de la hiérarchie. Mais, de manière générale, une telle
définition ne rend guère de service. Par classe dirigeante, on entend
le petit nombre qui détient ou exerce le pouvoir. Or il n'est pas
vrai que tous ceux qui ont réussi dans leur métier en possèdent une
parcelle, si faible soit-elle.
La tendance des auteurs machiavéliens, de Pareto en particulier,
est de présupposer que la classe dirigeante constitue une unité. Or
il me paraît, au contraire, facile de montrer qu'il n'y a ni néces
sairement ni régulièrement unité de la classe dirigeante.
Dans n'importe quel groupe élémentaire, qu'il s'agisse d'une
classe d'écoliers ou d'une section de fantassins, on aperçoit des hié
rarchies multiples. Certains individus sont puissants, c'est-à-dire
ont la capacité de déterminer l'action des autres individus, parce
que leur situation sociale leur confère officiellement autorité sur les
élèves ou les soldats. D'autres individus exercent une action grâce
au prestige dont ils bénéficient. Le maître commande aux écoliers
par fonction, il est plus ou moins obéi d'après ses qualités personn
elles. D'autre part, un élève, qui n'est pas toujours le meilleur,
mais celui qui « chahute » le mieux ou qui inspire le plus de symp
athie, se fait suivre ou imiter par ses camarades.
Ce que l'on observe dans le groupe élémentaire se reproduit à
l'échelle de la société dans son ensemble. Certains hommes ont la
capacité de déterminer l'action de leurs semblables, c'est-à-dire
détiennent quelque puissance, parce qu'ils cnt reçu un certain
poste dans une organisation. D'autres exercer t une action, plus ou
moins diffuse, sur leurs semblables parce que kur valeur est recon
nue par les autres et qu'ils apparaissent exemples à suivre ou
modèles à imiter. La distinction entre ptiissance d'une organisation
et prestige d'une personne est évidemment trop simple. Il nous faut Aron
maintenant determiner les principaux groupes qui se partagent le
pouvoir dans la collectivité considérée globalement.
Je partirai d'une distinction classique en sociologie, celle du
pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. Détiennent le premier,
dans- les collectivités complexes, ceux qui ferment les manières de
penser de leurs semblables, ceux qui proclament et font respecter
les normes du bien et du mal, la hiérarchie des valeurs. "Détiennent
îe second ceux qui, par leur position de fait, dans la société ou dans
l'Etat, ont les moyens d'imposer aux autres certaines conduites.
Le pouvoir spirituel n'implique pas îe recours à la force physique,
îe temporel, qui n'emploie pas toujours la force, implique
par essence la possibilité de ce recours. Ajoutons qu'en fait, les
pouvoirs spirituels organisés, c'est-à-dire les Eglises, se sont bien
souvent donné ou ont emprunté à l'Etat les moyens de force.
Dans les sociétés industrielles d'Occident, on constate un phé
nomène de portée considérable : le pouvoir spirituel est divisé. En
dehors du clergé des Eglises traditionnelles, une catégorie sociale
que, faute d'un meilleur ter

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