Notes sur un impossible sujet de l histoire - article ; n°1 ; vol.37, pg 112-124
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Notes sur un impossible sujet de l'histoire - article ; n°1 ; vol.37, pg 112-124

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Description

Les Cahiers du GRIF - Année 1988 - Volume 37 - Numéro 1 - Pages 112-124
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 28
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Nicole Loraux
Notes sur un impossible sujet de l'histoire
In: Les Cahiers du GRIF, N. 37-38, 1988. Le genre de l'histoire. pp. 112-124.
Citer ce document / Cite this document :
Loraux Nicole. Notes sur un impossible sujet de l'histoire. In: Les Cahiers du GRIF, N. 37-38, 1988. Le genre de l'histoire. pp.
112-124.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/grif_0770-6081_1988_num_37_1_1758sur un impossible Notes
sujet de l'histoire
Nicole Loraux
Simple protocole d'un bref exposé pour introduire i un débat autour de Façons tragiques
de tuer une femme (Paris, Hachette, 1985). Dans l'interrogation soulevée par le titre du
séminaire "Femmes sujets de discours, femmes sujets d'histoire", je voyais l'occasion de
quelque chose comme un bilan, après un travail de plusieurs années sur les représentations
grecques du féminin. Car j'ai moins réfléchi sur les femmes grecques en tant qu'eUes seraient
sujets d'histoire ou sujet de l'histoire que je ne me suis préoccupée du discours : introuvable
discours des femmes - bien sûr, U y a Sappho, mais encore faudrait-il que celle-ci ne se
contente pas de retourner le discours masculin -, interminable discours grec sur les femmes,
océan de discours i propos de ces êtres pour qui "le silence est une parure" - c'est Ajax qui,
chez Sophocle, le dit à sa compagne. Mais, du discours grec sur les femmes, j'ai dû, très vite, en
venir au discours grec sur le féminin, voire à ce qu'on pourrait plus généralement appeler le
rapport grec au féminin.
Sujets d'histoire, les femmes grecques ? Pour l'époque classique, celle qui
m'intéresse, U faudra à coup sûr que l'historien renonce à son très puissant fantasme
de réalité pour entrer dans l'univers des représentations. Sans doute n'y renoncera-t-
il pas sans avoir tout tenté : aux peintures des vases, aux plaisanteries du genre
comique, U demandera d'abord de se faire documents, voie d'accès vers du réel,
comme si les femmes peintes sur les vases n'étaient pas immobilisées dans la
généralité d'un type, comme si la comédie n'était pas un genre littéraire, avec ses
lieux communs, bien propres à susciter d'abord le rire. Peut-être alors l'historien se
tournera-t-il vers les épigrammes funéraires, censées répondre à une définition plus
satisfaisante du document Mais, sur ce que fut réeUement la vie de la morte, ces
inscriptions, au Vème ou au IVème siècle, donnent fort peu d'informations : encore
et toujours des stéréotypes, et souvent l'idée que, d'une femme, U n'y a rien à dire,
sauf à donner la parole au mari qui, le plus brièvement possible, attestera qu'elle fut
une bonne épouse. A la très officielle tribune du Céramique, Périclès affirmait
solennellement que la vertu d'une femme est qu'on parle le moins possible d'elle,
pour la louange comme pour le blâme (et il se trouve que cette déclaration n'a pas 113 i échappé à la vigilance de Virginia Woolf) * ; ce n'est pas une autre opinion qui, sur
les tombes privées, s'exprime à propos des mortes, nommées et cependant
anonymes. Et les épigrammes, donc, expriment un doute, plus d'une fois répété : s'U
existe une gloire des femmes, s'U existe un kleos gunaikôn, celle-ci l'eut en partage.
Façon de louer chaque morte au détriment de la "race des femmes".
Kleos mérite qu'on s'y arrête un instant. Dans l'épopée, ce mot désigne à la fois le
genre épique et la gloire : le bruit que l'on fait autour d'un nom. S'U existe un kleos
des femmes, U s'est tout entier réfugié dans quelques Ulustres inconnues, défuntes
de surcroît. Mais, des femmes comme teUes, il n'y aurait rien à dire. Ni pour le
porte-parole de la cité, ni pour celui de la maison, ni pour l'historien, ce détenteur de
mémoire.
En ce qui concerne l'historien, quelques précisions, toutefois : sans doute, chez
Hérodote, est-U souvent question de femmes, mais elles sont filles ou épouses de
rois et de dynastes, filles ou épouses de tyrans. Celles-là sont individualisées. Et
puis, U y a les femmes en général, qui apparaissent dans tous les développements
sur les us et coutumes des autres, ceux qui ne parlent pas le grec et que, décidément
l'on nomme barbares. Mais du côté grec, dès lors qu'Hérodote en vient au récit
proprement dit des guerres médiques, au livre V, leurs apparitions se raréfient sauf
peut-être à Sparte. H est vrai qu'à Sparte U y a deux rois et des problèmes de
légitimité : aussi les accouchements des femmes de rois constituent-ils des moments
de crise, que le récit prend en charge ; U est vrai aussi que, traditionnellement, les
femmes y prennent la parole : ainsi Hérodote nomme Gorgô, qui était fille du roi
Cléomène et femme de Léonidas, et mentionne ses conseils avisés. Mais le cas des
Laconiennes Ulustres est-U vraiment différent de celui des femmes de dynastes ? On
en doutera, à voir Hérodote souligner avec insistance le caractère archaïque des
coutumes Spartiates, quasi barbares, dit-il.
Mais à Athènes, plus rien de tel -et il en ira de même chez Thucydide pour -
d'autres cités. Des interventions rares, et inorganisées, de groupes de femmes dans
ce que j'appelle les "interstices de l'histoire" *, ces moments de crise aiguë où
l'essence de la cité est remise en question. Chez Hérodote, par deux fois, les
femmes d'Athènes interviennent dans le récit, violemment Elles tuent, en le lardant
de leurs agrafes - arme typiquement féminine, Oedipe en sait quelque chose et aussi,
dans l'Hécube d'Euripide, le roi Polymestor -, l'unique survivant d'une bataille
perdue ; et elles lapident la femme et les enfants d'un conseiller qui avait osé
suggérer que l'on entende au moins les propositions d'un envoyé du roi de Perse
(cela se passe pendant les guerres médiques et, de leur côté, les hommes d'Athènes
ont lapidé le malheureux conseiller). Quant à La guerre du Péloponnèse racontée
par Thucydide, on y trouve aussi, en tout et pour tout - mais, cette fois, hors
114 i d'Athènes, cité-modèle -, deux interventions de femmes en groupes. Dans la viUe de . ¦
Platées assiégée, l'ennemi s'est gUssé par trahison, et le combat de rue fait rage,
auquel les femmes participent à leur manière (ce sera un topos de l'historiographie
grecque, que les femmes apparaissent dès lors que le combat se déroule à l'intérieur
de la cité : vouées à rester à l'intérieur, les soeurs, les filles et les épouses volent
alors au secours des leurs). Et, en plein coeur de la guerre civile, aux côtés du
peuple de Corcyre, il y a des femmes. Si j'ajoute que la civile de Corcyre est
pour Thucydide, paradigmatique de l'horreur qu'est à une cité la division, on
comprendra l'importance de l'épisode.
Car voici que, de deux façons, l'écriture historique doit prendre acte de la
division. CeUe qui déchire la cité, celle qui oppose et juxtapose deux sexes. Dans un
cas comme dans l'autre, U s'agit bien pour les Grecs d'une catastrophe, et pourtant ils
s'en accommodent, nécessairement. Ils s'accommodent tant bien que mal de la
division des sexes, et, s'ils pensent la guerre civile comme le fléau par exceUence,
ils ne sauraient s'empêcher de toujours la réintroduire au sein de la cité -cela
s'appelle l'histoire et du plus haut archaïsme à l'époque hellénistique, l'histoire de la
Grèce est faite de guerres civUes. J'aimerais traquer les signes de l'accointance -ou,
du moins, du recoupement- entre ces deux divisions. Pour l'heure, le témoignage
d'un mot me suffira : l'adjectif antianeira, qui signifie à la fois "hostile aux
hommes" et "égale aux hommes", caractérise chez Homère les Amazones, ces
guerrières qui valent les mâles, mais Pindare le détourne pour désigner la guerre
civUe comme destructrice d'hommes '. Le tour est joué : une division en appelle une
autre, et c'est ainsi que les femmes se gUsseront à même la déchirure de l'ordre
civique.- Dans le conflit, comme en leur élément le plus propre.
Représentations que tout cela ? Il faut bien l'accepter, sauf à se faire historien de
l'

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