Opinion sur rue : un sottisier pour l année - article ; n°1 ; vol.10, pg 5-13
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Communication et langages - Année 1971 - Volume 10 - Numéro 1 - Pages 5-13
Les lapsus, les jeux de mots, les mots d'esprit sont annexés dans l'arsenal courant de la psychanalyse : c'est qu'ils ne sont plus considérés comme simples objets d'amusement. Freud les a haussés au rang d'indices, de révélateurs, voire de dénonciateurs, variables selon les individus, renouvelés d'une société à l'autre, d'une époque à l'autre. Mais il y a aussi les mots mal compris, déformés, mal répétés, les notions confuses, les idées toutes faites, qui ne sont pas moins significatifs : chaque temps a le sottisier qu'il mérite et chaque temps, sous une forme ou sous une autre, effectue le recensement de ses paroles.
Pour l'émission « R.T.L. non-stop » de Philippe Bouvard, Gérard Pabiot s'était mis en tête d'interroger des gens, dans la rue. Les premières réponses ont été telles qu'il a continué... jusqu'à en faire un livre, en même temps qu'un disque, qui rassemblent les réponses les plus savoureuses. Ce sont ces dernières que Gérard Blanchard étudie ici, en classant les distorsions les plus remarquables.
9 pages

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Publié le 01 janvier 1971
Nombre de lectures 17
Langue Français

Extrait

Gérard Blanchard
Opinion sur rue : un sottisier pour l'année
In: Communication et langages. N°10, 1971. pp. 5-13.
Résumé
Les lapsus, les jeux de mots, les mots d'esprit sont annexés dans l'arsenal courant de la psychanalyse : c'est qu'ils ne sont plus
considérés comme simples objets d'amusement. Freud les a haussés au rang d'indices, de révélateurs, voire de dénonciateurs,
variables selon les individus, renouvelés d'une société à l'autre, d'une époque à l'autre. Mais il y a aussi les mots mal compris,
déformés, mal répétés, les notions confuses, les idées toutes faites, qui ne sont pas moins significatifs : chaque temps a le
sottisier qu'il mérite et chaque temps, sous une forme ou sous une autre, effectue le recensement de ses paroles.
Pour l'émission « R.T.L. non-stop » de Philippe Bouvard, Gérard Pabiot s'était mis en tête d'interroger des gens, dans la rue. Les
premières réponses ont été telles qu'il a continué... jusqu'à en faire un livre, en même temps qu'un disque, qui rassemblent les
réponses les plus savoureuses. Ce sont ces dernières que Gérard Blanchard étudie ici, en classant les distorsions les plus
remarquables.
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Blanchard Gérard. Opinion sur rue : un sottisier pour l'année. In: Communication et langages. N°10, 1971. pp. 5-13.
doi : 10.3406/colan.1971.3863
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_1971_num_10_1_3863OPINION SUR RUE:
UN SOTTISIER
POUR L'ANNÉE
par Gérard Blanchard
Les lapsus, les jeux de mots, les mots d'esprit sont annexés dans l'arsenal
courant de la psychanalyse : c'est qu'ils ne sont plus considérés comme
simples objets d'amusement. Freud les a haussés au rang d'indices, de
révélateurs, voire de dénonciateurs, variables selon les individus, renou
velés d'une société à l'autre, d'une époque à l'autre. Mais il y a aussi les
mots mal compris, déformés, mal répétés, les notions confuses, les idées
toutes faites, qui ne sont pas moins significatifs : chaque temps a le
sottisier qu'il mérite et chaque temps, sous une forme ou sous une autre,
effectue le recensement de ses paroles.
Pour l'émission « R.T.L. non-stop » de Philippe Bouvard, Gérard Pabiot s'était
mis en tête d'interroger des gens, dans la rue. Les premières réponses
ont été telles qu'il a continué... jusqu'à en faire un livre, en même temps
qu'un disque 1, qui rassemblent les réponses les plus savoureuses. Ce sont
ces dernières que Gérard Blanchard étudie ici, en classant les distorsions
les plus remarquables.
UNE SUITE A LA SUITE DE « BOUVARD ET PECUCHET »
On a ri des Perles du facteur et de la Foire aux cancres et
autres « bêtisiers » de notre temps. II y a un humour presque
surréaliste dans le télescopage rafraîchissant des mots, dans
le jeu du « cadavre exquis » qui juxtapose n'importe quoi avec
n'importe quoi, dans une spontanéité qui en dit long sur les
images dont notre inconscient est chargé. Les poètes jouent
ainsi avec les mots, mais dans les limites raffinées d'un jeu
savant par lequel il est bon de savoir jusqu'où on peut aller
trop loin. Certains, ô Raymond Queneau ! ont vivifié leurs
inspirations aux trouvailles du langage parlé. Quand on dit
que nous sommes dans une civilisation de l'image, on devrait
bien prendre garde à l'importance croissante de la radio, valo-
risatrice du langage « tel qu'on le parle ».
Le livre et le disque de Gérard Pabiot ont versé au dossier
du langage une double pièce à conviction sur laquelle il est
intéressant, ici, de réfléchir. La suite à Bouvard et Pécuchet
annoncée dans la préface de Philippe Bouvard n'est exacte que
le temps d'un jeu de mots.
1. Le disque est édité par Pathé-Marconi et le livre par la Table ronde. Opinion sur rue : un sottisier pour l'année
Flaubert a décrit dans le Second Volume de « Bouvard et Pécu
chet»2 ces deux imbéciles, courbés sur leur pupitre et qui
copient, d'abord au hasard, tous les papiers qu'ils trouvent,
manuscrits et imprimés, cornets de tabac, vieux journaux,
lettres, affiches, livres déchirés ; qui classent ces papiers selon
les styles (médical, agricole, littéraire, politique, officiel, etc.).
« Pas de réflexions ! Copions, il faut que la page s'emplisse.
Egalité de tout, du bien et du mal, du farce et du sublime, du
beau et du laid, de l'insignifiant et du caractéristique. Il n'y a que
des faits, des phénomènes. Joie finale. Ils ont trouvé le bon
heur... Finir par la vue des deux bonshommes penchés sur leur
pupitre et copiant. »
Du « sottisier » de Flaubert devait sortir « la glorification de
tout ce qu'on approuve. J'y démontrerais, écrit-il en 1852 à
Louise Colet, que les majorités ont toujours raison, les minorités
toujours tort. J'immolerais les grands hommes à tous les bour
reaux ; pour la littérature, j'établirais que le médiocre, étant
à la portée de tous, est le seul légitime et qu'il faut donc bannir
toute espèce d'originalité comme dangereuse, sotte, etc. On
y trouverait donc, par ordre alphabétique, sur tous les sujets
possibles, tout ce qu'il faut dire en société pour être un homme
convenable et aimable... »
De ce monument élevé à la bêtise humaine, on ne connaît
bien qu'une petite partie : le Dictionnaire des idées reçues.
Par exemple, Flaubert, Bouvard et Pécuchet recueillent les avis
de Ernest Hello, Lessing, Fénelon, J.-J. Rousseau, De Maistre,
Bossuet et Dupanloup sur Molière. Ernest Hello, dans le
Style, théorie et histoire, avait écrit : « C'est un homme de
talent, n'essayons pas d'en faire un homme de génie. Il est
nul dans ses dénouements, parce qu'il n'a jamais fait la part
de Dieu. Son œuvre est le contraire d'une œuvre d'art. L'art
délivre. Molière asservit. La tête étroite de Molière. »
Gérard Pabiot fait dire à un quidam : « La maison de Molière ?
Ça ne se fait plus maintenant. En général, ce sont des loge
ments construits au début de ce siècle qui sont en pierre de
o Molière dans Paris. Si Robert Manuel est dans une maison de
^L Molière, tant mieux pour lui, ça fait très cossu. »
« II s'agit là d'un glissement de sens, de deux langages dont les
g, mots ne coïncident pas. Alors que, chez Flaubert, il. s'agit du
j§ jugement prétentieux d'un pédant typique d'un monde qui étale
*j ses contradictions, l'univers culturel des interviewés de Pabiot
c est celui du « niveau 0 » de la culture savante. Ses références
•2 ne sont pas les mêmes. Son humour est involontaire et il n'est
S d'ailleurs sensible, comme celui du Canard enchaîné, qu'aux
2. par Gustave Geneviève Flaubert Bollème : le (Paris, Second Denoël, Volume 1966). de « Bouvard et Pécuchet », établi et présenté Linguistique 7
auditeurs pouvant apprécier les distances entre les réponses
des « incultes » et les « bonnes réponses » données par les
« cultures ».
UNE NOUVELLE « AFFAIRE D0MINIC1 »
« Nous sommes dans un procès de mots », écrit Jean Giono
dans les premières pages de ses Notes sur l'affaire Dominici3.
Les interviews de Pabiot nous amènent aussi à un procès de
mots. Exemple (dans le procès Dominici) :
Le président, s'adressant à l'accusé : Etes-vous allé au pont ?
(II s'agit du pont de chemin de fer).
L'accusé: Allée ? Il n'y a pas d'allée, je le sais, j'y suis été.
Jean Giono relève : « Pour lui, Dominici, qui n'emploie jamais
le verbe aller, pour dire : aller au pont, aller à la vigne, aller
à la ville, il croit qu'il s'agit de substantif : une allée, une
allée d'arbres, une allée de vignes, et il répond : « II n'y a pas
d'allée, je le sais, j'y suis été. » Or, comme il est surpris par
la phrase du président (combien anodine, cependant, et j'ajoute
que le président ne pouvait pas s'exprimer autrement ; moi-
même, si j'

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