Initiation à la vie malheureuse. De l impossibilité du pardon chez Kant et Kierkegaard - article ; n°4 ; vol.96, pg 581-597
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Revue Philosophique de Louvain - Année 1998 - Volume 96 - Numéro 4 - Pages 581-597
Both for Kant and for Kierkegaard the specific quality of man, in the face of the Faktum of the Law that is always unsatisfied or before God, is to be an irremediable sinner: it is then a matter of analysing the strategies adopted by Kant and Kierkegaard, both of them setting out from a priori culpability, in order to accomplish a double gesture of exclusion and of inclu- sion of grace and of pardon, which excludes from these notions whatever could cast doubt on the infinite requirement of the moral law, while retaining at least an openness towards something beyond this strict economy of sin. To follow these two strategies will lead us to an unfortunate outcome shared by Kant and Kierkegaard: to think through the constitutive culpability of the Ego is to manifest, in fine, the primacy of ethics, of the thorn in the flesh; it is also to endure the hardest covenant, namely that of an infinite requirement and of the impossibility of forgiveness; it is finally to submit oneself, through ethical probity, to what may be called an initiation into unhappy life. (Transl. by J. Dudley).
Chez Kant comme chez Kierkegaard, la qualité spécifique de l'homme est d'être, placé devant le Faktum de la Loi toujours insatisfaite ou devant Dieu, irrémédiablement pécheur: il s'agit alors d'analyser les stratégies que mettent en place Kant et Kierkegaard, pour effectuer, en partant l'un comme l'autre d'une apriorité de la culpabilité, un double geste d'exclusion et d'inclusion de la grâce et du pardon, qui excluent de ces notions ce qui pourrait remettre en cause l'infinie exigence de la morale tout en conservant au moins l'ouverture vers un au-delà de cette stricte économie du péché. Suivre ces deux stratégies nous conduira à une issue malheureuse partagée par Kant et Kierkegaard: penser jusqu'au bout la culpabilité constitutive du Moi, c'est alors manifester, in fine, le primat de l'éthique, de l'écharde dans la chair; c'est aussi endurer l'alliance la plus dure, celle de l'exigence infinie et de l'impossibilité du pardon; c'est enfin se soumettre, par probité éthique, à ce qu'on pourrait appeler une initiation à la vie malheureuse.
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Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 49
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Olivier Dekens
Initiation à la vie malheureuse. De l'impossibilité du pardon chez
Kant et Kierkegaard
In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 96, N°4, 1998. pp. 581-597.
Citer ce document / Cite this document :
Dekens Olivier. Initiation à la vie malheureuse. De l'impossibilité du pardon chez Kant et Kierkegaard. In: Revue Philosophique
de Louvain. Quatrième série, Tome 96, N°4, 1998. pp. 581-597.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1998_num_96_4_7114Abstract
Both for Kant and for Kierkegaard the specific quality of man, in the face of the Faktum of the Law that is
always unsatisfied or before God, is to be an irremediable sinner: it is then a matter of analysing the
strategies adopted by Kant and Kierkegaard, both of them setting out from a priori culpability, in order to
accomplish a double gesture of exclusion and of inclu- sion of grace and of pardon, which excludes
from these notions whatever could cast doubt on the infinite requirement of the moral law, while
retaining at least an openness towards something beyond this strict economy of sin. To follow these two
strategies will lead us to an unfortunate outcome shared by Kant and Kierkegaard: to think through the
constitutive culpability of the Ego is to manifest, in fine, the primacy of ethics, of the thorn in the flesh; it
is also to endure the hardest covenant, namely that of an infinite requirement and of the impossibility of
forgiveness; it is finally to submit oneself, through ethical probity, to what may be called an initiation into
unhappy life. (Transl. by J. Dudley).
Résumé
Chez Kant comme chez Kierkegaard, la qualité spécifique de l'homme est d'être, placé devant le
Faktum de la Loi toujours insatisfaite ou devant Dieu, irrémédiablement pécheur: il s'agit alors
d'analyser les stratégies que mettent en place Kant et Kierkegaard, pour effectuer, en partant l'un
comme l'autre d'une apriorité de la culpabilité, un double geste d'exclusion et d'inclusion de la grâce et
du pardon, qui excluent de ces notions ce qui pourrait remettre en cause l'infinie exigence de la morale
tout en conservant au moins l'ouverture vers un au-delà de cette stricte économie du péché. Suivre ces
deux stratégies nous conduira à une issue malheureuse partagée par Kant et Kierkegaard: penser
jusqu'au bout la culpabilité constitutive du Moi, c'est alors manifester, in fine, le primat de l'éthique, de
l'écharde dans la chair; c'est aussi endurer l'alliance la plus dure, celle de l'exigence infinie et de
l'impossibilité du pardon; c'est enfin se soumettre, par probité éthique, à ce qu'on pourrait appeler une
initiation à la vie malheureuse.Initiation à la vie malheureuse
De l'impossibilité du pardon chez Kant et Kierkegaard
«La seule difficulté en l'espèce, c'est
l'impossibilité de la chose.»
S. Kierkegaard, Stades sur le chemin de la vie
Une initiation à la vie malheureuse
Coupable? Non coupable? La question n'a peut-être pas de sens. Ou
plutôt n'en a-t-elle que dans un monde sans Dieu, ou sans loi morale, sans
cette présence infinie à côté de quoi tout le reste est petit, ou cette infinie exi
gence qui rend mauvais tout ce qui n'est pas saint. Coupable donc. Telle est
la situation, la qualité spécifique même de l'homme, du sujet comme sub-
jectus sous l'Infini, quand il est placé, de manière à la fois originelle et pre
mière, face à ce fait que devant Dieu, nous avons toujours tort — dira Kier
kegaard — , ou devant ce Faktum de la loi, inatteignable, insatisfaite comme
impératif de sainteté: que ce soit chez Kierkegaard dans le premier cas, ou
chez Kant dans le second, il semble que la culpabilité soit, comme consé
quence d'une demande infinie, le fait même d'être homme, l'humanité.
Ce que nous voudrions ici suggérer pourrait s'appeler la résistance de
la culpabilité. Une résistance qui, puisqu'elle s'accompagne, chez Kant
comme chez Kierkegaard, d'une haute conscience de ce qu'est la grâce
divine comme don gratuit résistant lui-même, en principe du moins, à la
stricte comptabilité du péché et du rachat, impliquerait un rejet relatif de
toute forme de salut, de pardon, de rédemption, en tant que ceux-ci, en
annulant ou en atténuant, sous quelque forme que ce soit, la culpabilité,
annulerait ou atténuerait par là même la subjectivité et le Moi comme Moi
devant Dieu. Nous assisterions en ce sens chez les deux auteurs que nous
allons discuter, à la fois à une mise à l'écart de la grâce comme ferment de
décomposition de l'exigence éthique, et à son intégration dans une éthique
désireuse de ne pas désespérer de l'homme, et de laisser entrouverte la voie
d'un pardon comme rupture de l'épuisante économie du péché.
Il s'agit alors d'analyser les stratégies que mettent en place Kant et
Kierkegaard, pour effectuer, en partant l'un comme l'autre d'une apriorité 582 Olivier Dekens
de la culpabilité, ce double geste d'exclusion et d'inclusion de la grâce et
du pardon. On peut bien parler de stratégies, puisque le dispositif utilisé
ici met en œuvre toutes les possibilités d'une logique du supplément, de
la marge, de la marginalisation — et ce dans le corps même du texte —
et que le philosophe doit se montrer plus habile encore que les économies
qu'il manipule, celle du péché et de l'infinie torsion du complexe et de la
mauvaise conscience, celle du pardon qui en enlevant le péché, l'inscrit
en même temps plus profondément dans la chair du pécheur.
Suivre ces deux stratégies, tout à fait différentes dans leurs modalit
és, nous conduira néanmoins à une issue malheureuse, malheur partagé
par Kant et Kierkegaard, malheur comme ce à quoi les logiques du sup
plément ou de la marge auront dû nous accoutumer: penser jusqu'au bout
la culpabilité constitutive du Moi, c'est alors manifester, in fine, le primat
de l'éthique, de la loi, de l'écharde dans la chair; c'est aussi endurer
l'alliance la plus dure, celle de l'exigence infinie et de l'impossibilité du
pardon; c'est enfin se soumettre, par probité éthique dirions-nous, à ce
qu'on pourrait appeler, contre-paraphrasant Fichte, que Kierkegaard res
pecte mais critique si souvent, une initiation à la vie malheureuse.
Culpabilité et éthique
Afin d'établir la similitude des points de départ entre Kant et Kier
kegaard et leur commune affirmation de l'apriorité du péché, nous nous
intéresserons d'abord à Kant et à sa Religion dans les limites de la
simple raison.
Kant pose ici à la fois — et c'est cet «à la fois» qui fait la difficulté
de la chose — le caractère perverti de l'homme, toujours susceptible
d'accueillir l'exception et des mobiles non universalisâmes dans le fon
dement des maximes de son action, et la présence en lui de la loi morale
comme fait tout aussi indubitable, tout aussi agissant, du moins dans
l'intention. Quid juris, c'est une vraie révolution qui semble ici nécess
aire pour rétablir le bon principe dans le cœur humain, et qui est exigée
par le devoir lui-même; mais quidfacti, nous ne pouvons pas, seul, ren
verser la perversion. Nous devons donc nous contenter, et c'est l'unique
conciliation possible, d'une révolution dans notre manière de penser, et
d' «une réforme progressive pour la manière de sentir»1: la difficulté
1 E. Kant, La religion dans les limites de la simple raison, in Œuvres philoso
phiques, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, t. III, 1986, p. 64. Initiation à la vie malheureuse 583
n'est pas pour autant annulée, puisque c'est à une réforme infinie que le
devoir nous enjoint, tant «la distance que nous devons franchir en nous
entre le bien que nous devons réaliser, et le mal dont nous partons, est
infinie»2. Réforme infinie, distance infinie; et donc aussi inéluctabilité
de l'échec: jamais notre conduite ne sera adéquate à la sainteté de la loi.
Celle-ci demeure pour nous un prototype3; et la raison pratique ne peut
rien produire de plus haut que l'obligation de nous en approcher à
l'infini, tout en nous tenant à l'écart de cette dangereuse conviction4 qui
ferait de cette approche asymptotique une certitude apodictique —
bonne conscience.
Nous voyons ici que le devoir comme fait impose au sujet de se
cons

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