Pour une étude sémiologique des personnages de Pamela - article ; n°1 ; vol.39, pg 117-132

Élisabeth Detis

Description

XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles - Année 1994 - Volume 39 - Numéro 1 - Pages 117-132
16 pages

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• Publié par: SOCIETE_D-ETUDES_ANGLO-AMERICAINES
• Publié le: 01 janvier 1994
• Nombre de lectures: 28
• Langue: Français
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Extrait

Elisabeth Soulier-Detis
Pour une étude sémiologique des personnages de Pamela
In: XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°39, 1994. pp. 117-
132.
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Soulier-Detis Elisabeth. Pour une étude sémiologique des personnages de Pamela. In: XVII-XVIII. Bulletin de la société
d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°39, 1994. pp. 117-132.
doi : 10.3406/xvii.1994.1934
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xvii_0291-3798_1994_num_39_1_1934POUR UNE ÉTUDE SÉMIOLOGIQUE
DES PERSONNAGES DE PAMELA
Dès l'institution par l'incipit du roman d'un pacte de lecture de type
autobiographique,1 il est clair que l'Autre, inscrit en outre dans une
quasi-monodie épistolaire, n'existe que médiatisé par la focalisation de
Pamela-narratrice. Même quand cet atout majeur paraît temporairement
donné à un autre narrateur (lorsque Mr. B. rend compte, grâce à une
analepse complétive,2 de ses sentiments lors des scènes précédant le
départ de Pamela chez ses parents, par exemple), c'est toujours la même
plume qui retranscrit un récit à la limite du métadiégétique. De ce choix
narratif originel découlent non seulement l'organisation des
interrelations entre personnages (un couple et les autres), mais aussi la
mise en œuvre de choix esthétiques tantôt divergents (schématisme des
"conduct books"3 et dimension gothique de l'emprisonnement de
l'héroïne par exemple), tantôt convergents (raffinement psychologique
de la comédie de mœurs et suspense de l'œuvre théâtrale entre autres).
Pamela, roman sur le roman, en ce que l'écrit y est action, réaction,
moteur dramatique, vecteur de réflexion et créateur de genre formel,
privilégie tout naturellement chez ces signes que sont les personnages la
caractéristique d"'embrayeurs," celle des trois catégories définies par
Philippe Hamon au côté des "personnages-anaphores" et des
"personnages-référentiels."4 Le troisième aspect (permettant le renvoi à
des "rôles," des "emplois stéréotypés," qu'ils soient "sociaux,"
"historiques," "mythologiques," "allégoriques"), le second (concernant
la faculté de "rappels," de "mémoire," de "semeurs d'indices") et le
premier (marquant "la présence en texte de l'auteur, du lecteur ou de
leurs délégués") ont été souvent analysés ensemble ou séparément.5 Il
paraît intéressant ici de mettre en relation chacune de ces fonctions (ou
plutôt partie de celles-ci) avec le type de forme littéraire antérieure,
contemporaine, voire ultérieure qu'elle sert, dessert, écarte ou prône, et
1. Voir Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique (Paris: Seuil, 1975).
2.Gérard Genette, Figures 111 (Paris: Seuil, 1972) 10.
3. Cet aspect est particulièrement bien étudié par Nancy Armstrong dans Desire and
Domestic Victim: A Political History of the Novel (New York: Oxford UP, 1987).
4. Philippe Hamon, "Pour un Statut sémiologique du personnage," Poétique du récit
(Paris: Seuil, 1977) 122-24.
5. Hamon 122-23. 118 ELISABETH DÉTIS
ce afin de déterminer l'apport de l'ouvrage au genre du "roman" du dix-
huitième siècle.
Le premier axe "référentiel" selon lequel se regroupent les quelque
quatre-vingts acteurs de Pamela est de nature socioprofessionnelle, ainsi
qu'il convient dans un livre dont l'intérêt essentiel "is not that Pamela is
nubile and will finally marry her employer-tormenter, but that she is a
'incarcerated' in her employer's household."6 servant and is effectively
Pamela et Mr. B., la vertueuse chambrière et son maître libertin,
écrasent de tout leur poids dramatique et thématique Lady Davers
(l'illustration du "çà") et le père de Pamela (l'honnête laboureur ayant
connu des jours meilleurs), qui gagnent toutefois en importance vers la fin
du roman, participant à la redéfinition de l'ordre social, qui par son
revirement, qui par la dignité de son attitude. Accompagnant ces deux
rôles-titres et leurs faire-valoir, quatre autres acteurs "de
renforcement," Jervis (la gouvernante intègre) et John (le messager),
Jewkes (version domestique de toutes les Mother Midnight de l'époque)7
et Williams (le prêtre juste mais faible) poursuivent le partage des
attributions selon le même critère (masculin/féminin) que celui régissant
les deux "couples" de départ. L'interdépendance des interrogations
sociales et sexuelles est ainsi soulignée de façon oblique. Le cadre est
celui que Christian Pons définit comme les "romans de mésalliance."8 La
mère de Pamela, réduite à une simple signature, se contente de constituer
le narrataire-prétexte à la continuation du récit (une fois que Pamela a
son père auprès d'elle) et Colbrand, cet "ambulatory phallus,"9 joue vite
les utilités, reléguant l'obscurité gothique et l'atmosphère oppresssive
de la chronique scandaleuse aux lisières de l'action.
Les personnages semblent à première lecture se répartir, ainsi qu'il
sied dans une œuvre héritière des "conduct books," en groupes non
seulement opposés mais antinomiques selon une ligne de fracture socio-
morale. Pamela s'oppose à son maître dans l'action, comme Lady Davers
au père de l'héroïne par les valeurs respectivement incarnées. Pamela et
Jervis sont du bon côté de la barrière, tandis que Jewkes et Mr. B. sont du
mauvais. Ce dernier est impliqué dans une relation de rivalité
amoureuse avec Williams. Le père de Pamela et le suborneur de sa fille
sont les tenants de la sincérité et du mensonge, de l'honnêteté et du
6. Robert Folkenflik, "Pamela: Domestic Servitude, Marriage, and the Novel," ECF 5
(1993): 253.
Midwives," 7. Voir à ELH ce sujet 43 (1976): l'article 500-16, de Robert où la A. combinaison Erickson, "Mother de la sage-femme Jewkes, Pamela, et de and la mère the
maquerelle dans ce personnage est bien analysée.
8. Christian Pons, Richardson et la littérature bourgeoise en Angleterre (Aix-en-Provence:
Ophrys, 1969) 389.
9. Folkenflik 265. SÉMIOLOGIE DES PERSONNAGES DE PAMELA 119
libertinage. Des deux belles-sœurs, Lady Davers est "née," Pamela de
basse extraction. Les mises en rapport binaires sont constantes et
paraissent contribuer, par leur schématisme fondé sur l'exemplarité de
leurs pôles, à l'écriture d'une parabole au sens univoque.
Servant le même dessein, la présentation des deux classes sociales
principales représentées dans le roman, la "gentry" et la domesticité,
crée une impression de séparation radicale et essentielle entre les
deux.10 En effet ces groupes constitués sont présentés de manière
successive et symétrique. La bonne société du Bedfordshire vient au tout
début juger de visu la beauté de Pamela (38),11 les maris seront les
premiers à rendre visite à Pamela-épouse-légitime, tandis que la
reconnaissance de ce statut par la visite de félicitations de leurs épouses
clôt l'histoire (449). Ce sont elles qui ont la dent la plus dure et c'est
d'elles que devra venir la reconnaissance ultime, ce que souligne la
similarité exacte de composition des deux groupes (initial et terminal)
de visiteuses. Entre ces deux épisodes, le conformisme criminel (aux yeux
de Pamela) des classes dominantes du Lincolnshire est suggéré à grands
traits par de brèves allusions à des personnages socialement typés
comme Lady Jones (111), Sir Simon Darnford (111), son épouse et ses
filles (164), qui choisissent d'ignorer les appels au secours de Pamela,
puis de se rendre avec empressement à l'invitation de Mr. B. (253). Le
voyeurisme qui préside aux contacts entre Pamela et ses "betters" trouve
un écho dans la scène de retrouvailles entre elle et les domestiques du
Bedfordshire qui, des fenêtres, la regardent arriver, mais dans ce cas
avec bienveillance (414). Ce retour est la contrepartie exacte du départ
(83) où, là encore, les domestiques de la maisonnée étaient représentés en
portrait de groupe, à