Prêtres et laïcs dans le légendaire contre-révolutionnaire, ou les rôles inversés - article ; n°2 ; vol.89, pg 229-235
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Prêtres et laïcs dans le légendaire contre-révolutionnaire, ou les rôles inversés - article ; n°2 ; vol.89, pg 229-235

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Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest - Année 1982 - Volume 89 - Numéro 2 - Pages 229-235
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Publié le 01 janvier 1982
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Langue Français

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Michel Lagrée
Prêtres et laïcs dans le légendaire contre-révolutionnaire, ou les
rôles inversés
In: Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 89, numéro 2, 1982. Les paysans et la politique (1750-1850).
pp. 229-235.
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Lagrée Michel. Prêtres et laïcs dans le légendaire contre-révolutionnaire, ou les rôles inversés. In: Annales de Bretagne et des
pays de l'Ouest. Tome 89, numéro 2, 1982. Les paysans et la politique (1750-1850). pp. 229-235.
doi : 10.3406/abpo.1982.3088
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0399-0826_1982_num_89_2_3088PRÊTRES ET LAÏCS
DANS LE LÉGENDAIRE
CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRE
OU LES ROLES INVERSES
par Michel LAGREE
En mettant à part la dimension spécifique du fait religieux, et en
s'en tenant aux rapports de l'appareil ecclésiastique avec la société rurale,
aux rapports des agents entre eux, prêtres d'une part, laïcs de l'autre,
nous restons bien dans le champ du politique, que notre colloque étend
à « toutes les manifestations des différents types de pouvoirs ». Au
demeurant, et s'agissant de l'Ouest, la médiation du religieux est omni
présente dans l'histoire politique contemporaine (1). D'une double mé
moire, collective et orale d'un côté, archivistique de l'autre, est issue une
très prolixe historiographie catholique de la Révolution en Bretagne, dès
les premières décennies, gonflée de nouveaux affluents tout au long du
dix-neuvième et au début du vingtième siècle. Elle tend à réactualiser
explicitement l'apologétique des premiers siècles, évoquant les actes des
persécutés, martyrs ou confesseurs de la foi (2), sur un ton et en des
termes très proches de ceux de Lactance : la Providence récompense
les uns, châtie les autres, rétablit un ordre symbolique bousculé. Ce
discours sur l'événement est destiné aux presbytères, et au-delà, à la
prédication ; il contribue donc à entretenir une certaine vision de la
société révolutionnaire, laquelle n'est pas loin d'apparaître comme un
monde à l'envers, un gigantesque charivari où clergé et laïcs occupent
des positions inusitées, et pratiquement inversées.
L'image du prêtre, du « bon prêtre » s'entend, voué à la clandestinité
à partir de 1792, devrait être, statistiquement, celle de l'absent, de l'émigré,
cas majoritaire. Mais c'est celui de l'« athlète du Christ », réfractaire
resté sur place au péril de sa vie, qui retient nécessairement l'attention
(1) A. Siegfried, Tableau politique de la France de l'Ouest, 2e éd., Paris, 1964 ;
Y. Lambert et M.-A. Bremaud, Catholicisme et société dans l'Ouest, cartes et statis
tiques, t. I, le XXe siècle, Rennes, I.N.R.A., 1980 ; M. Lagrée et R. Neveu, id., t. II,
le XIXe siècle, I.A.R.E.H., 1981 ; Histoire religieuse de la Bretagne, sous la
direction de G. Devailly, C.L.D., 1980.
(2) Abbé Carron, Les confesseurs de la foi dans l'Eglise gallicane, 4 vol., Paris,
1820 ; Tresvaux, Histoire de la persécution révolutionnaire en Bretagne à la
fin du dix-huitième siècle, Paris, 1845. 230 ANNALES DE BRETAGNE
et fournit matière à édification (3). Conformément aux règles du genre
hagiographique, les détails de la vie quotidienne sont occultés par les
hauts faits et les circonstances extraordinaires, mais une lecture attentive
jette quelques lueurs sur l'intégration du prêtre clandestin au monde rural.
S'il a disparu, littéralement fondu dans la foule anonyme, c'est jusqu'à
en prendre les apparences extérieures. Le déguisement en paysan est
souvent cité, et si Mgr Brute de Rémur se souvenait avoir reconnu un
prêtre en tel appareil, malgré « les cheveux noirs flottant sur les épaules,
la longue barbe », le vicaire de Montreuil-sur-Pérouse, qui parcourait
le pays « vêtu d'une peau de bique » et les pieds enlacés dans de « solides
ganaches » ne fut même pas reconnu lors de son arrestation. Homme
seul, sans foyer par définition, il peut se faire passer pour un valet dans
la ferme qui l'héberge, tel le recteur d'Availles. Mais c'est alors se condamn
er à une existence par trop sédentaire, alors que le prêtre caché doit
se déplacer, voir beaucoup de monde. D'où le recours tout aussi fréquent
au déguisement en marchand, ici en marchand de bœufs pour un trajet
entre Rennes et Saint-Pern, là, dans le Trégor, en « Rochois » ou mar
chand de la Roche-Derrien, prétextant le commerce des ferrailles et des
graines de lin, et menant en même temps le marché et les sacrements (4).
Servais Androuet, chapelain de Plumaugat (C.-du-N.) s'était fait établir
un passeport de « citoyen français, marchand, âgé de quarante-six ans »,
au point que son hagiographe éprouve le besoin de souligner qu'on ne
doit pas douter que cela puisse l'empêcher de remplir ses fonctions
sacrées. Les apparences de bourgeois coïncidaient sans doute mieux avec
l'allure extérieure, mais aussi l'accent et le degré de maîtrise de la
langue française des prêtres, fussent-ils d'origine rurale, mais certains
choisissaient des apparences plus modestes, comme à Paramé, tel « portant
le costume d'ouvrier, ayant une barbe déjà longue, et semblant chercher
du travail » (5), ou, à Tremblay, ces proscrits dépistant les patrouilles,
tantôt charrons, tantôt menuisiers ou faiseurs de paniers. Le travesti
ssement le plus cocasse est sans doute celui de l'abbé Engerran n'hésitant
pas à porter le viatique à Saint-Malo, attiffé en laitière de Paramé, monté
sur un âne flanqué de hottes, et cachant son pied bot sous un cotillon.
Mais le plus audacieux, attesté à Tinténiac et Irodouër, est celui de garde
national, prenant le service à son tour, singularisé tout au plus par le refus
des « paroles grossières ou déshonnêtes », encore que tel pseudo-garde
national rennais s'en allait à des catéchismes et confessions nocturnes
« en répétant d'une voix assurée tous les refrains du jour » (6). Donner
le change peut conduire à des situations tout à fait inusitées pour un
ecclésiastique : le recteur de Moulins, habillé en maçon, portant baquet
(3) Ces deux ouvrages ont inspiré à leur tour dans l'Ouest une masse considérable de
monographies, tant départementales (cf. A. Lemasson, Les Actes des prêtres inse
rmentés dans le diocèse de Saint-Brieuc, Saint-Brieuc, 1927) que locales, voire paroiss
iales, impossible à citer toutes ici. Les matériaux retenus pour cette étude concer
nent essentiellement la Haute-Bretagne, et au premier chef le département d'Ille-
et-Vilaine, auquel appartiennent, sauf indication contraire, les noms de lieux ment
ionnés (cf. Notes manuscrites sur la Révolution dans le diocèse de Rennes, attribuées
à l'abbé A. Leray, 4 vol., Archives du Grand Séminaire de Rennes).
(4) Lemasson, op. cit., p. 43.
(5) Chanoine Guillotdt de Corson, Les Confesseurs de la Foi sur le territoire de
l'archidiocèse de Rennes pendant la Grande Révolution, Rennes, 1900, p. 14.
(6) Ibid., p. 58, 78. ANNALES DE BRETAGNE 231
et truelle, entre bras-dessus bras-dessous avec une jeune fille et son frère,
complices, dans un cabaret fréquenté par les militaires, pour y administrer
une femme à l'étage, non sans avoir auparavant payé à boire (7). Au-delà
du simple déguisement, l'assimilation s'accentue avec l'exercice d'un
travail effectif, voué à assurer la subsistance dans un pays déjà pauvre,
et saigné par les réquisitions de tous bords.
H est probable que beaucoup de ces nouveaux paysans d'apparence
participèrent, plus ou moins symboliquement, aux travaux des champs,
mais les mentions sont plus explicites pour l'artisanat, et tout particuli
èrement les métiers du bois. Le recteur de Saint-Ganton était resté jusqu'en
1799 « dans une petite chaumière, vivant du travail de ses mains en
faisant le métier de tourneur », comme d'autres confrères menuisiers, à
St-Brieuc-des-Iffs ou à Irodouër. Dans un autre ordre, le vicaire de
Saint-Gilles, arrêté à Saint-Malo en 1793, y avait travaillé, c

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