Quelques images de l'Ethiopie... - article ; n°1 ; vol.2, pg 60-62

Colette Braeckman

Description

Les Cahiers du GRIF - Année 1974 - Volume 2 - Numéro 1 - Pages 60-62
3 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Publié par: LES_CAHIERS_DU_GRIF
• Publié le: 01 janvier 1974
• Nombre de lectures: 19
• Langue: Français

Extrait

Colette Braeckman
Quelques images de l'Ethiopie...
In: Les Cahiers du GRIF, N. 2, 1974. Faire le ménage c'est travailler. pp. 60-62.
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Braeckman Colette. Quelques images de l'Ethiopie.. In: Les Cahiers du GRIF, N. 2, 1974. Faire le ménage c'est travailler. pp.
60-62.
doi : 10.3406/grif.1974.905
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/grif_0770-6081_1974_num_2_1_905quelques images de l'Ethiopie...
jours marche depuis leur village affamé vers l'un
ique route de cette province du Wollo où parvenaient
d'hypothétiques secours. présent l'empereur tant siècle image A propos d'histoire curieux de et, marque, Hailé de à se et fortiori, l'Ethiopie, Sélassié, soit de un prestige longtemps portrait l'avenir. tellement la seule qu'il stéréotypé contenté, La image forte faisait personnalité qu'elle dont c'était chargé oublier notre masune de le
Chacun pour sol
Dans ces camps, on devinait malgré tout les carac
téristiques du mode de vie de ces paysans amharas quait le reste du pays, a longtemps réussi à écarter
qui peuplent les provinces « historiques » du Choa, les critiques et l'attention trop sourcilleuse du reste
du Godjam, du Wollo, qui forment le cur de l'Emdu monde, tenu éloigné de cette place forte par des
pire : l'influence prépondérante de la religion, l'inddistances immenses, des glacis de montages qu'au
ividualisme, une soumission à l'autorité traditionnelle cune route ne trouve et par une distance culturelle
qui fait penser à notre Moyen Age. Individualisme : qui peut paraître infranchissable. Il aura fallu que la
chaque famille restait obstinément groupée dans le famine endémique dans ce pays prenne soudain, au
hangar, sans trop s'occuper de ses voisins et il était cours des derniers mois, des proportions tragiques,
très difficile de trouver des bonnes volontés pour que la mort lente qui est le lot de millions d'hommes
effectuer des besognes d'intérêt collectif, comme soudain s'accélère et que des centaines de cadavres
nettoyer les lieux, couper le bois pour le feu, aider aient été jetés en pâture aux hyènes sur des chemins
à la cuisine par exemple. C'était le règne du chacun où passèrent quelques étrangers, pour que le monde
pour soi, à un point tel que les plus malins s'arranse décide soudain à regarder au delà des immeubles
geaient régulièrement pour aller revendre au marché de verre et de béton d'Addis Abeba, au-delà de
les couvertures distribuées par les étrangers naïfs. l'image impériale qui n'est que le prestigieux paravent
Chacun pour soi, à un point tel que la plupart des d'un pays misérable, féodal, qui fait parfois songer à
réfugiés refusaient d'utiliser les latrines que l'on avait l'Inde. C'est du reste le Pakistan et l'Inde qu'évo
fait creuser à l'extérieur du camp estimant extrêmequaient les équipes médicales britanniques qui uv
ment malsain de se rendre ainsi au même endroit raient dans les centres de réfugiés ouverts plus de
qu'autrui 1 De même, les Ethiopiens étaient extrêmesix mois après le début de la famine : même crasse,
ment jaloux de leurs prérogatives et de leurs autorimême promiscuité, même résignation immobile, mê
tés traditionnelles ; les incidents étaient fréquents mes maladies aussi rassemblées côte à côte dans
entre les responsables éthiopiens, fonctionnaires ou ces antichambres de la mort qu'étaient les camps
étudiants, et les étrangers qui voulaient distribuer les et les infirmeries : malaria, typhus, polyomiélite, chol
secours et organiser la vie de manière plus rationéra, lèpre, méningite, tuberculose, etc..
nelle, par exemple en séparant les malades des
Dans ces abris de boue séchée et de tôle ondulée, bien portants.
femmes et hommes étaient couchés côte à côte sur
Mais la découverte de ces camps de réfugiés n'était des nattes de paille ou à même le sol, attendant les
jamais que le prélude à celle des villages de l'intésporadiques distributions de nourriture. Les enfants,
rieur, communautés fermées, autarciques, coupées deeux, jouaient dans les herbes folles des alentours ou
puis des siècles du reste du monde par les hautes lorsque leur cas était incurable et qu'inconsciemment
montagnes, les communications difficiles, par une ils le sentaient, ils demeuraient immobiles dans un
langue différente et une religion particulière qui n'a coin du hangar ou à l'extérieur, et leurs compagnons,
pu se maintenir qu'en se défendant contre l'influence silencieusement, s'écartaient de ces petits corps ra
de l'Islam et contre les pénétrations étrangères. bougris qui attendaient la mort.
Propriété et religion Car la plupart de ces enfants moribonds étaient
orphelins, leurs parents avaient péri au cours du long Le type de développement ou plutôt de sous-déve
loppement de ces villages amharas du Wollo dépend exode qui les avait menés au bout de jours et de
60 de deux facteurs essentiels dans tout le pays : la tionnée, s'étendent les grands domaines. Ceux-ci se
religion d'une part, et de l'autre le type de propriété sont constitués d'une manière purement féodale :
du sol. pour récompenser les militaires, les prêtres, les fonc
tionnaires ou pour s'assurer leur fidélité l'Empereur
La religion orthodoxe est en effet religion d'Etat et a distribué de grands territoires où les propriétaires
l'Eglise (qui legitimise l'ascendance de l'Empereur et
ont un droit de juridiction presque absolu, y compris la fait remonter au roi Salomon) est l'un des plus
dans certains cas celui de lever une armée I Ceux
solides piliers du régime. Cette autorité s'exerce à qui vivent sur ces terres sont des tenanciers qui
tous les niveaux, d'autant plus profondément que 90 % doivent au propriétaire un loyer qui varie entre le
de la population du pays vit de l'agriculture et que,
tiers et les deux tiers de la récolte. Dans de telles
jusque dans les villes, le mode de vie tout entier conditions, d'une part le propriétaire a ses revenus
est villageois. Dans ces villages précisément, ce sont suffisamment assurés pour le dispenser de tout
les prêtres et la religion qui règlent la vie quoti investissement dans l'agi iculture et, de l'autre, le
dienne : il y a plus de 180 jours de jeûne obligatoire métayer préfère travailler le moins possible, vivre
par an, autrement dit avec interdiction absolue de dans une économie de subsistance car de toutes ma
manger viande, volailles, ufs, poissons, sous peine nières les surplus qu'il pourrait éventuellement obtenir
d'être mis au ban de la communauté. Les paysans lui échapperaient. Quoi d'étonnant dès lors qu'un
doivent se contenter de céréales, de légumes. Lors sixième seulement des terres de l'Ethiopie soit cul
que, à cause de la sécheresse, ces denrées font tivé et que l'on puisse parcourir des centaines de
défaut, on meurt un peu plus vite, mais saintement... kilomètres sans apercevoir un seul tracteur, une
C'est ce qui s'est produit notamment l'an dernier seule machine agricole ! A quelques kilomètres de
durant le Carême qui impose ici 55 jours de jeûne fleuves puissants, de rivières qui charrient tout le flot
d'affilée... En outre, les prêtres sont de grands pro de la saison des pluies, très abondante en haute mont
priétaires terriens qui exigent de leurs tenanciers agne, des terres s'érodent, se dessèchent, le bétail
outre une rente qui peut s'élever jusqu'aux deux tiers meurt faute de fourrage et le paysan doit s'exiler,
de la récolte, des services multiples comme l'entre alors que creuser des puits artésiens ou élever de
tien bénévole de leurs terres particulières, des lieux petits barrages sur les cours d'eau pourrait assurer
du culte, etc. un rendement excellent sur une terre que les spécial
istes s'accordent pour considérer comme l'une des Dans ces villages qui vivent complètement en de
plus fertiles d'Afrique i hors de la circulation monétaire, plus de 90 % des
gens sont analphabètes. Mais le gouvernement éthio Au lieu de cela, presque toute la force de travail
pien conteste ces chiffres en soulignant que le clergé des femmes éthiopiennes est absorbée par le service
apprend aux villageois quelques rudiments de lecture de l'eau. Chaque jour, presque toutes les femmes du
et d'écriture. Dans un sens, cela est exact, les prê pays doivent aller au puits, à la source souvent dis
tres donnent à leurs ouailles une connaissance juste tante de plusieurs kilomètres. Leur journée s'éc