Remarques sur la littérature factographique en Russie - article ; n°1 ; vol.71, pg 143-177
36 pages
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Remarques sur la littérature factographique en Russie - article ; n°1 ; vol.71, pg 143-177

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Description

Communications - Année 2001 - Volume 71 - Numéro 1 - Pages 143-177
35 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2001
Nombre de lectures 23
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Mr Leonid Heller
Remarques sur la littérature factographique en Russie
In: Communications, 71, 2001. pp. 143-177.
Citer ce document / Cite this document :
Heller Leonid. Remarques sur la littérature factographique en Russie. In: Communications, 71, 2001. pp. 143-177.
doi : 10.3406/comm.2001.2082
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2001_num_71_1_2082Heller Leonid
Le mirage du vrai
Remarques sur la littérature factographique en Russie
II faudrait purger les revues littéraires de toute la
nouvelle littérature et [...] la remplacer par du
concret : la science, des réflexions, la philosophie.
Parfois, mais pour cela un livre ferait mieux l'affaire,
pourrait-on éditer une valise pleine de vieilles lettres.
Vassili Rozanov
Le fait réel, présenté dans un style littéraire, sans les
détails superflus, éclairé par une faible lumière de la
fiction, donne à voir la nature des choses bien mieux
qu'un compte rendu minutieux et véridique.
{Constantin Paoustovski
La belletristika est l'opium du peuple.
Nikolaï Tchoujak
/. Dire vrai : une mission.
Le philosophe Nicolas Berdiaev, auteur de la fameuse Idée russe, a
proposé de distinguer entre le « messianisme » de la Russie et son « mis-
sionisme », entre sa propension mystique à se considérer comme la Troi
sième Rome, un Pays Elu, et la conscience aiguë des devoirs que lui impose
cette situation d'exception.
Parmi ces missions historiques — protection de l'Europe devant les
Tatares, défense de la foi orthodoxe, lutte contre les tyrans de Bonaparte
à Hitler -, il en est une dont la réalisation est confiée à l'art et, en premier
lieu, à la littérature. Dans la meilleure étude du roman russe depuis
Melchior de Vogué, Jean Bonamour évoque les efforts que ses auteurs
déploient pour « sauver la Russie et les Russes en montrant la vraie
143 Heller Leonid
voie1 ». Ce « grand dessein » participe d'une mission plus haute encore :
révéler au monde la vérité sur lui-même.
Entendons-nous. Telle fut, jadis, la mission de tous les arts, de toutes
les littératures. La culture du Moyen Age attribue un statut de réalité
semblable aux forces divines et matérielles, aux événements historiques
et mythiques, aux personnages réels et surnaturels. Le lecteur d'un texte
médiéval s'émerveille non pas devant l'effort d'imagination dont témoigne
celui-ci, mais devant le miracle de la Création dont il consigne la trace.
Dans ces conditions, le « non-vrai », la « fiction », n'apparaît qu'à la
périphérie du système fondé sur la Vérité documentaire des Écritures. Un
glissement se produit vers le XIIIe siècle : après avoir découvert la thémat
ique contemporaine et la ville, « espace à plusieurs centres, à plusieurs
sens... », l'art reconnaît « qu'il n'a d'autre vérité que celle de la subject
ivité qui s'incarne en lui » et « la littérature reconnaît que sa matière est
fictive » 2. L'unique « discours du monde » cède peu à peu sa place
aux multiples « discours sur le monde » 3. Expression directe de l'imagi
naire symbolique qui assure leur cohésion, la fiction gagne en puissance
et en prestige.
On se souvient que, pour John Ruskin, les deux premières époques de
la culture européenne, païenne et chrétienne, se définissent par la place
centrale qu'elles réservent au Divin et, en ce qui concerne la seconde, par
la prédominance de l'idée de Vérité sur celle de Beauté4. L'ère nouvelle
commence lorsque Raphaël place sur un pied d'égalité, dans ses fresques
commanditées par Jules II, la Théologie et l'Art, le Royaume du Christ
et celui d'Apollon. Mais Dieu ne saurait partager sa place. Il se voile.
L'Esthétique se met en avant. C'est cela, dit Ruskin, le sens du « moder
nisme » qui dure depuis l'an 1500.
Pour évidente que cette analyse puisse paraître, elle n'en est pas moins
utile : elle nous fait comprendre l'hésitation de la culture russe à accepter
le caractère irréversible de ce passage vers la modernité. La Russie tient
à son « discours du monde ». Et elle rechigne à abandonner sa mission
initiale. Du moins, c'est l'image qu'elle se fait d'elle-même et qu'elle prend
encore au sérieux (à preuve : l'œuvre de Soljénitsyne), et c'est ainsi que
l'Occident aime la voir : mystique et obsédée par sa quête de vérité.
Abstenons-nous de nourrir davantage les clichés et fixons un point de
départ : les genres et les formes d'expression - la logographie et la poésie,
le témoignage et la fable, le romanesque et le discursif — tissent dans la
tradition russe un réseau de rapports quelque peu différent de celui qui
a cours en Occident, notamment en ce qu'elle accorde relativement plus
de poids aux modalités du « vrai », qui se confondent fréquemment avec
le « non-fictionnel ».
144 Remarques sur la littérature factographique en Russie
2. Une terminologie en migration. .
Rien n'est moins clair qu'un tel constat. Aujourd'hui, en pleine post
modernité, > le seul lieu où la fiction s'oppose nettement à son supposé
contraire, ce sont les listes des meilleures ventes en librairies. Evitons la
discussion quant aux natures respectives de la fiction, de l'imaginaire, du
réel (selon la tripartition chère à Wolfgang Iser5) ; la fluidité historique
de ces notions suggère qu'on en recherche les limites au cas par cas.
En russe, la « fiction » se dit vymysel: « ce qui vient de la pensée »,
mysl'>(et non de la réalité extérieure) ; le mot reste proche de son étymo-
logie et ne prend de sens générique ni en littérature ni au cinéma — d'autres
termes y remplissent ce rôle.
Dès le XVIIIe siècle, l'expression slovesnost\ dérivée de slovo (« mot »,
« parole »), définit toute la création verbale et permet d'éviter Poxymore
de « littérature orale » en parlant de la tradition populaire. Sous
slovesnost' se pare du qualifil'influence des « belles-lettres » françaises,
catif iziachtchnaïa (« belle ») ; son extension se réduit, laissant au-dehors
le folklore et les textes que Gérard Genette appelle « pragmatiques6 »
(science, politique, économie, etc.). Malgré ses consonances vieillies et
légèrement pédantes, le terme survivra jusqu'à la révolution de 1917,
pour devenir ensuite l'indice d'un énoncé anté- ou antisoviétique.
Or, dès le début, il est concurrencé par l'internationale litératoura, qui,
pour prétendre au titre de « belles -lettres », tantôt se qualifie elle aussi
d' iziachtchnaïa tantôt, et plus volontiers, imite les usages abondants de
l'allemand Kunst. Le très ancien khoudojestvo (« art » au sens de maîtrise
technique) est adopté à cette fin ; on parlera donc, et on parle encore, de
la khoudojestvennaïa litératoura (« littérature d'art ») et de la khoudo-
jestvennaïa proza (calque exact de Kunstprosa : « prose d'art »).
Ce n'est pas tout. La même expression française, après s'être german
isée et polonisée, prend au début du XIXe siècle la forme russifiée de
belletristika. Synonyme de « prose d'art » dans le langage courant, ce mot
s'en détache dans le discours spécialisé. Les années 1830-1840 voient
s'établir une typologie classant les œuvres littéraires en artistiques, didac
tiques et « belletristiques »7. Certains critiques,* dont le plus influent de
tous, Vissarion Biélinski, définissent ces dernières comme une littérature
de loisirs fondée sur une narrativité débridée 8. L'auteur de romans des
tinés au grand public appelé belletrist (mot en vogue depuis le Werther
de Goethe) sera considéré avec dédain, sinon appréhension, à proportion
de l'influence morale et pédagogique incertaine de ce type de production,
surtout quand elle suit l'exemple français, jugé congénitalement frivole.
145 Leonid Heller
Cette coloration péjorative s'atténue avec le temps, mais ne s'estompe
jamais entièrement

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