L Etat-providence, de François Ewald (Note de lecture)  ; n°3 ; vol.4, pg 195-204
11 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

L'Etat-providence, de François Ewald (Note de lecture) ; n°3 ; vol.4, pg 195-204

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
11 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Sciences sociales et santé - Année 1986 - Volume 4 - Numéro 3 - Pages 195-204
10 pages

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 64
Langue Français

Extrait

Nicolas Dodier
L'Etat-providence, de François Ewald (Note de lecture)
In: Sciences sociales et santé. Volume 4, n°3-4, 1986. Handicap et politique sociale. pp. 195-204.
Citer ce document / Cite this document :
Dodier Nicolas. L'Etat-providence, de François Ewald (Note de lecture). In: Sciences sociales et santé. Volume 4, n°3-4, 1986.
Handicap et politique sociale. pp. 195-204.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/sosan_0294-0337_1986_num_4_3_1045Sociales et Santé - vol. IV - n° 3-4 - novembre 1986 Sciences
NOTE DE LECTURE
François Ewald, L'Etat providence, Paris, Grasset, 1986.
Le livre de François Ewald sur la naissance et le déve
loppement de l'Etat-providence a toutes les allures d'une
fresque. Fresque par l'ampleur de l'objet : l'élucidation et la
genèse de la rationalité juridique au fondement de la constel
lation de toutes ces entités (institutions de sécurité sociale,
dispositifs de représentation des salariés, textes de droit,
etc.) qui constituent l'Etat-providence. Fresque par l'exten
sion de la période balayée : l'auteur remonte jusqu'à l'élabo
ration en 1804 du Code Civil, pour montrer les torsions que
la conception de la société contenue dans les dispositifs
modernes d'assurances sociales a fait subir au principe de
responsabilité sur lequel étaient basées, aux débuts de l'i
ndustrialisation, la philosophie politique et les pratiques juri
diques. Fresque enfin par le mouvement de l'œuvre : au
départ, deux arrêts de Cour d'appel (1836 et 1839) et un
arrêt de la Cour de cassation (1841), qui ponctuent la juri
sprudence des procès autour des accidents du travail ; puis,
en 1898, une loi décisive sur la réparation de ces accidents,
dont l'accouchement aura duré vingt ans; enfin, s'engouf-
frant dans la brèche ainsi ouverte, obéissant à la même logi
que, un jaillissement de lois, de codes (code du travail, code
de la sécurité sociale), de nouvelles techniques de gouverne
ment, une nouvelle conception du droit, des nouveaux outils
d'appréhension de la société (la justice sociale, les inégalités,
la prévention...), qui forgent maintenant notre environne
ment conceptuel quotidien. Car c'est le projet d'Ewald, ce
qui donne à son livre ce souffle indispensable pour tenir tout
au long de ses 600 pages denses l'attention du lecteur malgré
la diversité et l'hétérogénéité apparente des objets abordés,
que de montrer, par un patient travail d'archéologie de nos
notions, dans une filiation revendiquée aux recherches de
M. Foucault, le fondement commun de tous ces dispositifs, 196 NICOLAS DODIER
par-delà les divergences politiques avérées de ceux qui les
utilisent et les transforment.
Ce socle originel, cette clef de lecture qui lui permet
d'ouvrir toutes les portes du droit social, Ewald les trouve
dans la notion de risque, considérée comme une technologie
politique : nous vivons, dit-il, dans des sociétés assuran-
tielles. Entreprendre une genèse de nos passe donc
nécessairement par un approfondissement de la rationalité
inhérente à l'idée de risque, et par une découverte de ses
origines. D'où la place centrale, dans l'ouvrage, des pages
consacrées à la question, brûlante au XIXe siècle, des acci
dents du travail : en créant la notion de risque professionnel,
la loi de 1898 codifie juridiquement une nouvelle manière de
penser et de gérer la causalité.
Dans la période de l'industrialisation, les accidents du
tavail sont au départ d'un conflit de responsabilités qui cris
tallise les oppositions. Les chapitres qu'y consacre Ewald
sont parmi les plus intéressants de son ouvrage : au-delà des
discours de la dénonciation sur l'augmentation des risques
du travail au XIXe siècle, il s'attache à comprendre quelle
lecture radicalement nouvelle du monde du travail se met en
place à cette époque : « Notre propos est de montrer com
ment l'industrialisation n'a pas seulement détruit des vies,
des modes d'existence ancestraux ou des milieux naturels,
mais a aussi produit de la vérité. On voudrait montrer, en
particulier, que la montée du problème de l'accident et la
multiplication des pratiques de risque sont liées à l'institu
tion d'un nouveau régime social de vérité: c'est-à-dire de
nouvelles manières pour les hommes de s'identifier, de gérer
la causalité de leurs conduites, de penser leurs rapports,
leurs conflits et leur collaboration, de définir leurs obliga
tions mutuelles » (p. 26, souligné dans le texte). Par consé
quent, plutôt que de dénoncer la loi de 1898 une
élaboration idéologique qui tendrait à masquer, sous une
apparente « neutralité », la réalité des accidents et les anta
gonismes de classe qui en sont responsables (1), il montre
(1) Voir par exemple B. Mattéi[14] et M. JufféflO]. En 1976, les Temps
Modernes consacraient un numéro spécial au problème des accidents du
travail et des rapports entre la justice et les entreprises, à la suite des
incarcérations de patrons par les juges Charette et Pascal. F. Ewald lui-
même y développait une critique acérée de la loi de 1898, coupable à ses
yeux de disculper le patron et de légaliser, au nom de la prévention,
l'ordre disciplinaire dans les ateliers. On mesurera la distance parcourue
depuis. DE LECTURE 197 NOTE
quelle nouvelle construction de la réalité du monde indust
riel est instaurée dans cette notion de risque professionnel.
Dans le domaine de l'histoire du droit, il introduit la même
rupture par rapport aux conceptions essentialistes du droit,
que les sociologues intéressés par les processus de construc
tion de la réalité, par rapport à ceux qui évaluent les
croyances à la mesure des connaissances objectives. Il
n'existe pas de dispositifs juridiques, ni d'outils de connai-
sances plus neutres ou plus justes que d'autres, mais des
modes de lecture des accidents (le libéralisme, l'économie de
patronage, le risque professionnel), dotés les uns et les autres
d'une cohérence interne, mais profondément antagonistes
entre eux. Pour F. Ewald, le risque professionnel est une
manière de penser la responsabilité des accidents du travail
qui, tirant partie de l'émergence des pratiques d'assurance
(première compagnie d'assurance-vie en 1787, caisse
d'épargne, sociétés de secours mutuels), répond aussi bien à
l'échec de la doctrine libérale qu'à la crise du patronage à la
fin du XIXe siècle.
La doctrine libérale sous-tend la jurisprudence du XIXe
siècle en matière de réparation des accidents du travail. A
partir de 1841, la doctrine lie le dédommagement de l'ou
vrier à sa capacité à prouver la faute de son patron. Cette
procédure de réparation, basée sur le Code Civil, favorise en
fait la multiplication des procès engagés par les ouvriers
contre leurs patrons ; elle entretient ainsi, selon le patronat,
un climat de « guerre civile ». De plus elle limite à outrance,
et de plus en plus avec l'industrialisation, les possibilités
effectives de dédommagement offertes à l'ouvrier : dans un
nombre toujours plus grand de cas, la victime est en effet
incapable de prouver la faute patronale, en raison notam
ment de la complexité croissante des processus de fabricat
ion. Le régime de patronage est en opposition directe avec
l'échange contractuel qui fonde la doctrine libérale, car il
fait du rapport salarial une relation hiérarchique et de
subordination. F. Ewald nous offre des pages lumineuses sur
le développement de ces institutions patronales dont il mont
re qu'elles sont, par définition, un contre-droit : contradic
tion entre l'appartenance de l'ouvrier à une « famille », celle
de l'entreprise, et l'expression de droits, importance du
« sentiment » dans les rapports patrons-ouvriers. Les institu
tions patronales, qui, en contribuant à la sécurité de l'ou
vrier, visent à cultiver des rapports de dépendance
personnelle vis-à-vis du patron, n'ont de valeur que dans la NICOLAS DODIER 198
stricte mesure où elles ne sont pas exigées par le droit.
Limité dans son implantation, secoué à partir des années
1870 par des grèves répét

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents